Avec un taux de chômage historique, les jeunes en Grèce sont les premières victimes de la crise. Un jeune sur deux n’a pas d’emploi. Cette explosion du chômage a commencé en 2010 avec la crise de la dette et les mesures d’austérité imposées au pays. Depuis, la situation n’a cessé de s’aggraver en raison de la récession qui frappe actuellement la Grèce. Le pays est à bout de souffle et la jeunesse, sans espoir. De plus en plus, beaucoup de jeunes Grecs, âgés entre 20 et 35 ans, décident de quitter le pays pour trouver un emploi à l’étranger. C’est le cas de Pamos, Kostas ou Maria. Nous sommes allés à leur rencontre à Athènes.
La place Syntagma, en face du Parlement, c’est l’endroit où tous les Athéniens se donnent rendez-vous. Une place qui a accueilli toutes les révoltes et contestations du peuple grec depuis l’indépendance du pays. Aujourd’hui, c’est contre les mesures d’austérité du gouvernement que les Athéniens se retrouvent. Des mesures qui touchent d’abord et avant tout les jeunes : un chômeur sur deux a moins de trente ans.
C’est le cas de Pamos, 23 ans. Il passe son temps avec ses amis sur cette place, le temps de discuter, de fumer une cigarette ou de penser à l’avenir. Comme de nombreux jeunes, Pamos est sans emploi et vit chez ses parents. Il gagne un peu d’argent, pas plus de 300 euros par mois pour des travaux d’électricien qu’il fait par-ci, par-là. « C’est impossible pour moi d’ouvrir ma propre entreprise. Je n’ai pas les moyens et aucune banque ne voudrait me prêter de l’argent parce que je suis trop jeune ». Face à toutes ces difficultés, Pamos économise pour partir à l’étranger trouver un emploi. Destination : l’Allemagne. « Il n’y a plus d’espoir pour nous dans ce pays. On a beau chercher un emploi, il n’y en a plus. Quand on en a un, on travaille des heures pour presque rien. Il y a beaucoup d’abus aussi de la part des patrons. Puis, c’est difficile pour mes parents de m’aider comme je suis au chômage. Donc il faut partir, tout quitter et recommencer une nouvelle vie. Pour moi, l’Allemagne, c’est le pays où il y a du travail pour tout le monde ». Pamos est loin d’être le seul dans le cas. Depuis 2008, ils sont plus de 50 000 jeunes à avoir quitté le pays. D’ailleurs, dans le centre d’Athènes, non loin de la place Syntagma, les files sont longues devant les ambassades pour les jeunes désirant quitter la Grèce.
« La seule solution, c’est de partir »
Dans quelques semaines, Kostas, 29 ans, partira aux Pays-Bas pour trouver un emploi. Il est ingénieur agronome et n’a rien trouvé dans son domaine depuis sa sortie de l’université. « Je ne crois pas que je trouverai un emploi un jour ici en Grèce. La seule solution, c’est de partir. Ce n’est pas un choix facile de laisser toute une partie de sa vie de côté, sa famille, ses amis. » Cela fait plusieurs années que Kostas se prépare pour ce départ. « Depuis quatre ans, je suis saisonnier chaque été. Cela me permet de mettre de l’argent de côté. J’essaie aussi de dépenser le moins possible car tout a augmenté en Grèce. Par exemple, un café coûte 4,5 euros, c’est hors de prix pour moi. » Kostas joue aussi dans un groupe de musique. Le soir, il fait des concerts avec des amis pour gagner un peu d’argent en faisant la tournée des cafés et des restaurants dans le quartier d’Exarchia, d’où sont parties les émeutes en décembre 2008, suite au meurtre d’un jeune par un policier. « On est obligé de se débrouiller pour gagner un peu d’argent. C’est aussi un moyen pour avoir un peu de nourriture dans les restaurants, sans rien payer. C’est peut-être étonnant mais avec la crise, les Grecs sont devenus plus solidaires entre eux. »
Maria vit, elle aussi, dans ce quartier. Elle a 25 ans et vient de quitter l’École Polytechnique qui se trouve à Exarchia. Mais comme la plupart des jeunes de son âge, et malgré son diplôme universitaire, elle est sans emploi. « Pour vivre, ce sont mes parents qui m’aident car je ne reçois aucune aide. Ils ont beaucoup de courage, mes parents car ils n’ont pas des salaires élevés. Mais dans chaque famille, c’est la même situation, plusieurs membres sont sans emploi. Il n’y a plus d’espoir, ni d’avenir pour les jeunes. On est une génération perdue. » Maria ne veut pas partir à l’étranger pour trouver un emploi. Dans quelques semaines, elle partira travailler dans un village à la campagne dans le nord du pays. Depuis le début de la crise, ils sont près de 1,5 million de personnes qui partent comme Maria à la campagne pour trouver un emploi et travailler la terre. « J’ai beaucoup d’amis qui sont partis à l’étranger pour trouver un emploi, mais j’aime trop mon pays que pour le quitter. J’ai donc décidé de travailler dans l’agriculture. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour gagner un salaire. Vous savez, on prendrait tout et n’importe quoi pour travailler, même si c’est souvent pas très bien payé. »
« On vit comme dans un pays en guerre »
Rester pauvre ou partir, c’est le dilemme des jeunes Grecs. « Les travailleurs grecs ont perdu 50 % de leur salaire et les premières victimes de cette crise, ce sont les jeunes qui sont au chômage », explique Giorgis, 31 ans. Il est policier municipal et gagne à peine 600 euros par mois. Il risque de perdre son emploi à cause des coupes budgétaires annoncées dans tous les secteurs publics. « On vit comme dans un pays en guerre. La situation est devenue horrible : le chômage explose, tout le monde est désespéré parce que c’est impossible de trouver un emploi, parce que les services publics s’effondrent les uns après les autres par les mesures d’austérité. Il n’y a plus d’argent dans les hôpitaux, dans les écoles et on brade nos salaires. On n’a aucune garantie pour l’avenir car l’État ne sait plus comment nous payer. »
Un constat que partage Stathis, 32 ans, enseignant en informatique. Actuellement, il a perdu son emploi et ne sait pas s’il pourra continuer à enseigner. « Dès qu’on n’a plus d’emploi en Grèce, on vit dans l’insécurité permanente car il faut payer son loyer, ses factures… tout ce qui permet de vivre, au fond. Aujourd’hui, il y a 1,5 million de chômeurs dans le pays et les mesures d’austérité prises par le gouvernement, l’Europe et le FMI n’aident vraiment pas. Au contraire, la dette augmente, le chômage aussi et c’est la récession. C’est un cercle vicieux : les salaires ont diminué alors que les prix augmentent. Moi-même, comme professeur, j’ai vu mon salaire diminuer de 1 000 à 700 euros. Les salaires sont trop bas alors que les prix ne cessent d’augmenter. Essence, électricité, tout a doublé de prix. C’est très dur pour vivre, même quand on a un salaire. Le salaire minimum en Grèce est de 400 euros alors qu’un appartement coûte environ 300 euros par mois. Comment faire pour vivre dans une telle situation ? »
Comme d’autres, Stathis hésite à partir à l’étranger. « Beaucoup de mes amis sont déjà partis en France, en Allemagne ou en Angleterre où ils ont trouvé un emploi. Si c’est nécessaire, si je n’ai plus d’emploi, je n’hésiterai pas à partir. » Pour lui, il n’y a vraiment plus d’espoir en Grèce et à Athènes, la situation est devenue vraiment catastrophique. « À côté des problèmes d’emploi, il y a de plus en plus de jeunes qui tombent dans la drogue ou basculent dans la criminalité. Certains quartiers d’Athènes sont devenus la proie des revendeurs de drogue : on voit des jeunes zombies avec des jambes gonflées à force de s’injecter des aiguilles sales. D’autres quartiers sont devenus des ghettos de criminalité où les premières victimes sont les immigrés et les SDF. On ne sait vraiment pas où toute cette crise va nous mener. »
Dans le champ de bataille
Un haut-fonctionnaire à Athènes nous explique que la situation n’est pas prêt de s’améliorer en Grèce. Il dit qu’il est dans son ministère « dans le champ de bataille » car il voit aux premières loges les décisions qui vont être prises, les difficultés qui vont toucher la population dans les prochains mois, et les jeunes en particulier. Face à cela, il se dit « désemparé » parce qu’il doit suivre les ordres qui viennent de Bruxelles. « On ne veut pas donner aux jeunes Grecs les moyens de s’en sortir. Les salaires diminuent, la consommation diminue, la production aussi. Du coup, les magasins ferment, le chômage augmente. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2011 et 2012, la Grèce a eu une diminution de son PIB de 12 %, et l’année n’est pas encore finie. La seule approche de l’Union européenne a été jusqu’ici celle du budget, on ne fait que du chiffre sans aucune perspective sociale et personne ne voit rien. C’est important de ne pas faire de déficit, évidemment, mais pour le moment, la Grèce est rentrée dans une guerre, sans voir le sang. Les victimes, ce sont les travailleurs, les jeunes, les retraités, on est en train de tous les sacrifier sur l’autel de l’austérité. »
Les prochains mois vont amener un nouveau lot de mesures d’austérité en Grèce. Avec des coupes budgétaires qui ne favoriseront pas la reprise. Pour les jeunes Grecs, cette « génération perdue », le chômage fera plus que jamais partie de leur quotidien. Face à l’austérité, ils veulent tous se battre, chacun à leur manière, trouver des solutions pour leur avenir personnel et celui de leur pays, même si cela doit se faire à l’étranger, loin de leur famille et de leurs amis.
Rencontre avec Vangelis Demiris, journaliste et auteur de « La face cachée de la crise grecque ». Il y révèle les coulisses de cette tragédie économique.
Depuis le début de la crise, de plus en plus de jeunes quittent la Grèce pour trouver un emploi à l’étranger. Peut-on parler au sujet de ces jeunes d’une génération perdue ?
Oui, c’est une catastrophe, une hémorragie pour l’avenir du pays de voir quitter des gens doués, qualifiés, qui ont un diplôme, qui parlent plusieurs langues. Mais ils se retrouvent sans emploi et sont désespérés face à l’avenir. C’est la raison pour laquelle ils quittent le pays. Attention, ce sont des gens qui ne vont jamais rentrer dans le pays. C’est une génération sacrifiée de jeunes gens, victimes d’un système qui a très mal marché pendant trente ans. C’est vraiment un drame car il n’y a à l’heure actuelle aucune perspective d’avenir, on est dans l’impasse.
Pour quelle raison ?
Parce que les mesures d’austérité qui ont été imposées à la Grèce ne fonctionnent pas. Les services publics sont à l’arrêt, les retraités sont désespérés et les salaires ont diminué énormément. On se rend compte qu’on s’est trompé, mais c’est un peu tard. Cela fait cinq ans que la Grèce est en récession et tout le monde ne parle que de croissance. Quand on voit que 54 % des jeunes sont au chômage, c’est que la recette est inappropriée. La priorité absolue pour le moment, c’est le besoin de liquidité sur le marché. Tant qu’il n’y en aura pas, rien n’ira, rien n’avancera. On ne peut pas renégocier l’entièreté du programme de ces mesures d’austérité. Par contre, on devrait l’étaler sur plusieurs années. Car pour que la dette soit viable en 2020 comme c’est prévu actuellement, il faudrait la croissance dès 2014. Mais au rythme où l’on va, c’est impossible. Je suis très inquiet de ce qui va se passer. Je crains vraiment une explosion sociale et une montée de la xénophobie. C’est très inquiétant.
Avec cette politique d’austérité, l’Europe fait fausse route ?
Ma conviction, c’est qu’il faut de la rigueur, de la discipline budgétaire, mais il faut aussi de la solidarité, surtout à partir du moment où la Grèce et le gouvernement sont prêts à défendre ces mesures d’austérité. Ce qu’il faut, c’est une maturité politique. On ne peut plus exploiter le désespoir des gens pour gagner les élections. Notre avenir est dans l’euro, mais il faut nous donner un peu de souffle. On est dans un cercle vicieux et les Grecs n’en peuvent plus. On a l’impression que l’Europe n’a pas joué un rôle très constructif avec tous ces chantages sur la sortie ou non de la Grèce de la zone euro, tout cela n’a pas contribué à stabiliser le pays. Qui va vouloir encore oser investir en Grèce ? Personne. Du coup, on assiste à une marginalisation de la Grèce.
Vous êtes le correspondant à Bruxelles pour la télévision publique grecque ERT et l’agence de presse ANA, j’imagine que vous aussi la crise a dû vous toucher…
Comme tous les Grecs, j’ai été affecté par cette crise. Je vis à Bruxelles, mais avec un salaire grec. Ce qui fait que je gagne moins de 1.000 euros par mois. Le salaire des journalistes comme celui de la population a été réduit de 50 à 60 %. On se retrouve tous à avoir plusieurs collaborations, soit à la télé, la presse écrite ou dans les agences de presse. Puis, il y a eu aussi beaucoup de journalistes licenciés et d’autres partis à la retraite, sans être remplacés. Avant la crise, on était quinze journalistes grecs à Bruxelles, aujourd’hui, nous sommes six. C’est vraiment triste.
En savoir plus
A lire : le livre de Vangelis Demiris, La face cachée de la crise grecque, paru aux éditions La Boîte à Pandore