La grève des services d’aide à la jeunesse et des services de protection judiciaire (SAJ et SPJ) n’a pas fait que des heureux.
Au départ, le mouvement était spontané. Comme nous l’expliquions dans Alter Echos, c’est à Verviers qu’on trouve les prémisses de cette agitation. Des délégués de l’aide à la jeunesse qui lancent des concertations sur les conditions de travail, avec le soutien de leurs supérieurs hiérarchiques, les conseillers et directeurs de l’aide à la jeunesse.
Jean-François Starck, délégué que nous interviewions début janvier, était très impliqué dans l’organisation initiale du mouvement. Notamment le 6 décembre, jour de manifestation, sans appui syndical. Ils réclamaient des moyens, la compensation en personnel des absences pour maladie ainsi qu’une meilleure protection face aux autorités judiciaires.
En janvier, une nouvelle perquisition houleuse dans les locaux d’un SAJ (à Charleroi) mit le feu aux poudres. Le mouvement de grève de deux semaines en a découlé. « Notre force était spontanée, mais nous avions besoin de passer par les syndicats pour obtenir des choses concrètes, au sein des instances prévues pour cela comme le comité de concertation de base (Cocoba) », explique Jean-François Starck.
« Une mise sous pression »
À l’époque, Jean-François Starck trouve naturel de prolonger son combat au sein d’une structure syndicale, en l’occurrence la CGSP.
Jusque là, la cohésion était parfaite entre le personnel du SAJ de Verviers et leur chef, Gérard Hansen, le conseiller de l’aide à la jeunesse. Ce dernier ayant encouragé les premiers élans du mouvement, les premières réflexions, avant que les syndicats ne s’en mêlent.
Mais l’entame du mouvement de grève – une première dans le secteur – fissure cette belle cohésion. Le délégué dénonce des « pressions » et un « jeu assez malsain pour casser le mouvement de grève ». Il donne l’exemple de ce jour où il souhaitait interpeller les médias locaux. « Mon supérieur a mis une pression énorme pour m’empêcher de parler, ainsi que monsieur Hannecart (de la Direction générale de l’aide à la jeunesse, NDLR), car la règle générale est de passer par la hiérarchie, mais le contexte ici était différent. C’était un mouvement de grève. » Finalement, l’injonction des supérieurs ne sera pas respectée.
Toutefois, Jean-François Starck relativise ce différend. « Sur le fond, avec monsieur Hansen, nous sommes d’accord. » Ce qu’il regrette, c’est surtout une ambivalence de son supérieur, aux loyautés multiples. Soutien du mouvement tant que celui-ci ne se fait pas trop radical. « Il veut faire changer les choses mais il est proche de Bruxelles, de la hiérarchie, de la DGAJ. Je pense qu’il voulait plaire à tout le monde. »
« Une déni de démocratie »
Jean-François Starck est déçu. Les syndicats aussi en prennent pour leur grade. « J’ai l’impression d’avoir été manipulé », lâche-t-il. Explications : « Quand les syndicats entrent en jeu, j’avais confiance, je pensais qu’il s’agissait de gens costauds, compétents, organisés. Je me suis fourré le doigt dans l’oeil jusqu’au coude. Ils agissaient avant tout pour leur gloriole, et, en plus, comme des amateurs. »
Il se souvient d’une soirée d’assemblée générale syndicale, lorsque la décision de faire grève fut prise.
Ce même soir : deux assemblées générales de travailleurs. L’une à Mons, l’autre à Liège. Jean-François Starck se souvient : « À Liège, il y avait tout le gratin de la CGSP, dont Pédro Véga (encore récemment conseiller de l’aide à la jeunesse et aujourd’hui permanent syndical pour la CGSP, NDLR). » On discute de l’opportunité de se lancer dans une grève totale ou une grève perlée (grève par arrondissements successifs, NDLR). « À Liège on décide d’une grève totale, à Mons d’une grève perlée. Le tout, sans concertation. Puis il est décidé d’aller vers une grève massive. C’est un déni de démocratie. J’ai donc quitté la réunion à ce moment là. J’avais l’impression qu’il s’agissait d’une tentative de suprématie de Liège. »
Un mouvement qui aura laissé des traces chez ce délégué : « Je suis sorti déçu de ce mouvement. Aujourd’hui, je n’ai d’énergie que pour faire mon métier. »
Malgré cette amertume Jean-François Starck estime que les avancées obtenus sont intéressantes (pour rappel : 14 équivalents temps plein d’ici le premier juin 2014. Instauration d’un mécanisme de compensation des absences non remplacées, réduction des délais de remplacement etc.). « C’est le maximum qui pouvait être obtenu vu le moment de la législature. »
« La première fois que le secteur se mettait en grève »
De son côté, Gérard Hansen réfute toute tentative de « pressions » sur le mouvement de grève : « Il y a certainement eu un malentendu, à aucun moment je n’ai voulu faire pression sur ce mouvement. » Toutefois, le conseiller verviétois de l’aide à la jeunesse admet avoir « peut-être » réagi « au fait que certains ne venaient qu’une heure au piquet puis s’en allaient ». « On fait un peu semblant et puis on rentre. »
Mais quand même, le conseiller rappelle le rôle que son service à joué au tout début : « C’est quand même à partir de Verviers que ça a commencé. S’il n’y avait pas eu la démarche de Veviers, il n’y aurait pas eu de mouvement. » De plus, il estime avoir discrètement soutenu le mouvement, en « n’ouvrant pas de nouveaux dossiers, même si nous faisions le suivi des cas les plus urgents ».
Lui aussi critique la « récupération un peu douteuse » du mouvement par les syndicats. « C’est une récupération à un moment discutable. Cela fait des années que je constate que ces points (les revendications du mouvement) ne sont jamais discutés dans les instances de concertation. Les syndicats auraient pu intervenir plus tôt. Là, le budget 2014 était déjà bouclé. Il y a des choses obtenues pas inintéressantes, mais pas grand chose en termes de moyens. »
À la CGSP, Pédro Véga rappelle que c’est bien le mouvement de grève, porté par la CGSP, qui a « fait fléchir » la ministre puis le gouvernement sur ces questions. « Il y a d’abord eu un mouvement, sans syndicat. La ministre les avait reçus poliment, leur rappelant qu’il existe des comités de concertation de base. Le mouvement s’est donc tourné vers nous. Avec raison. Car tout a été gagné et obtenu », s’emballe un peu Pédro Véga.
Certes, en assemblée générale, Mons et Liège n’ont pas pris la même orientation. « Mais une fois que l’organisation de la grève s’est mise en marche, les Montois nous ont rejoints dans cette démarche », nous dit Pédro Véga. Ce dernier concède néanmoins : « Cela a pu paraître chaotique, c’est vrai. Mais je rappelle que c’était la première fois que le secteur se mettait en grève. »