Le magazine belge RH Tribune organisait, en novembre dernier, un colloque sur les défis de la gestion des ressources humaines dans le non-marchand. Objectif affiché :favoriser l’échange de bonnes pratiques entre les secteurs marchand et non marchand et identifier les enjeux communs en matière de people management. Cette journées’inscrit dans le cadre d’un processus plus long que RH Tribune entend mener avec les acteurs des deux bords afin de tirer profit des expériences de chacun1.L’occasion de sortir du tabou qui a longtemps régné autour de ce concept dans l’associatif ?
Pour entamer la réflexion, rien de tel qu’un peu de pommade : « Aujourd’hui, on peut se réjouir d’être DRH dans le non-marchand ! »,déclare le rédacteur en chef du magazine. Ce secteur a, selon lui, le vent en poupe pour plusieurs raisons : il attire la génération Y, ces jeunes nés entre la findes années ’70 et le milieu des années ’90, qui se trouve aux portes du marché de l’emploi. Ces enfants des baby-boomers recherchent un job qui fasse sensà leurs yeux, ce que l’associatif peut bien souvent offrir. Ensuite, beaucoup de talent sont dégoûtés de la manière dont le privé gère la criseéconomique et s’adressent aujourd’hui à des employeurs plus « éthiques ». Le non-marchand séduit donc à travers les valeurs qu’il peutapporter à ses collaborateurs…
Mais cela ne suffira pas à maintenir ces personnes en place, et c’est bien là le défi majeur sur lequel il faut se pencher. Politique salariale, gestion descompétences, équilibre vie professionnelle – vie privée, plan de formation… Autant d’outils couramment développés dans le privé et dont on faittrop souvent l’économie dans le non-marchand. Or on connaît le coût de la « non-RH » : difficulté de recrutement, absentéisme, turn-over, manque decapitalisation de l’expérience et des connaissances, burn-out… Les orateurs de cette journée, représentants d’ONG, de mutuelles ou du service publicnotamment, étaient invités à se prononcer sur plusieurs aspects de ce débat. Beaucoup de grosses institutions donc, qui ne reflètent pas toujours laréalité de la grande majorité du secteur associatif ou de l’économie sociale, par exemple. Leurs témoignages illustrent néanmoins quelques enjeuxintéressants.
Rivaliser avec la concurrence
Pour l’employeur, l’équation en matière de ressources humaines reste toujours la même : recruter la personne adéquate, bien l’utiliser et savoir lagarder. Sur cet aspect, Bert Overlaet, DRH à la KUL, explique : « Nous travaillons en partenariat étroit avec les autorités, ce qui nous impose certaines règles etnous donne des lignes directrices à suivre. On se situe donc dans un environnement politique plus que de marché. Nous devons dès lors recruter des personnes capables detravailler dans ce contexte, avec des avantages moins accessibles que dans le privé, ce qui nous défavorise quand nous sommes en concurrence avec d’autres sur certainsprofils. »
Autre regard, celui de Christine De Meyer, DRH chez Handicap International : « On a toujours l’image de personnes pleines de bonne volonté alors que nous sommes à larecherche d’excellents professionnels, des personnes ayant un bon équilibre entre compétences professionnelles et engagement pour une mission, sans finalitéfinancière derrière, en s’inscrivant dans le mandat de l’organisation. » Fini le temps des boy-scouts qui s’engagent sans compter ? Dans certains secteurs enpénurie, tels que les fonctions soignantes, on en a tiré les leçons et on cajole son personnel. Véronique Guilmot, DRH de l’INDC (Entité Jolimontoise), quiregroupe des crèches, hôpitaux, centres de santé et maisons de repos : « Dans notre secteur, on est fort focalisés sur les patients, et tant mieux, mais on alongtemps oublié les travailleurs. On a pensé qu’ils avaient assez naturellement le culte du don d’eux-mêmes mais maintenant, sur le plan RH, il faut leur proposer unepolitique de formation, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, etc. » Sans quoi le personnel va voir à la concurrence…
Entre attractivité et marge de manœuvre limitée, la tension est palpable. Dès lors, dans un contexte où les moyens sont rares et où, bien souvent, on est« coincés » par les barèmes, ce qui sauve, c’est l’inventivité. Nos invités ne manquent pas de ressources à ce niveau. À Jolimont,par exemple, on propose au personnel un service de repassage, un service de crèche, une psychologue à disposition… On fait aussi les sorties des écolesd’infirmières pour attirer de futurs collaborateurs, on prend soin des stagiaires pour qu’elles aient envie de revenir le jour où elles chercheront un emploi fixe ou l’ondiminue le nombre de week-ends de garde. À l’Orchestre philharmonique de Flandre, on propose même les services d’un kiné pour les musiciens.
Signe qu’il se professionnalise, le non-marchand prend l’habitude de bricoler pour rivaliser avec la concurrence : en proposant des assurances (pension, maladie…), enaméliorant ses infrastructures de travail (que ce soit au travers des couleurs utilisées, des meubles ou du matériel mis à la disposition des chercheurs), en fournissantun ordinateur portable, en offrant une flexibilité horaire, en laissant une certaine autonomie à ses collaborateurs, en accordant des bonus (liés aux résultats del’évaluation, par exemple), en organisant des formations ou en prévoyant des possibilités de télé-travail. Ces multiples exemples démontrent la grandenécessité d’être créatif pour entretenir la motivation et pour fonctionner efficacement malgré des contextes administratif et financier souvent contraires.
Valeurs versus professionnalisation ?
La gestion des ressources humaines se concrétise bien au-delà de ces avantages, qu’ils soient monétaires ou non. Il s’agit aussi de se professionnaliser surl’ensemble du parcours du travailleur, de son recrutement à son départ. Comme l’expliquait en guise de clôture Évelyne Léonard, professeur à laLouvain School of Management, il semble exister une tension dans le non-marchand entre l’importance de la mission et la gestion professionnelle de l’organisation : « La missionprend toute la place et ne laisse pas de place pour la gestion professionnelle à côté, la mission et les valeurs seules ne suffisent pas. Or cette gestion professionnelle est auservice de la mission ! » Et de prendre ainsi l’exemple de travailleurs dans l’associatif n’ayant jamais reçu aucun feed-back sur leur travail.
Cette question des valeurs n’a pas manqué de soulever quelques réacti
ons dans la salle : « On engage moins de personnes qui ont des valeurs ou qui sont militants, carc’est difficile de les intégrer. Quand on arrive avec nos nouveaux outils, cela les heurte dans leurs valeurs », indique une responsable d’association. Chez SolidarisMutualité, « on a engagé des personnes issues du privé, cela a créé un choc des cultures, car leurs méthodes étaient trop commerciales.C’est difficile, car il y a un chemin à faire de part et d’autre pour travailler en binôme. » Selon Corinne Benharrosh, directrice du recrutement et de lasélection au Selor, « le débat des valeurs est un faux débat ! Il faut être attentif à la fonction pour laquelle on engage et aux compétences qui y sontliées. On a des outils très précis pour juger de ça. »
Valeurs ou non, il ressort des expériences menées par nos orateurs que les processus RH tels que le recrutement, les descriptions de fonction, l’évaluation, la gestiondes compétences, sont quelques outils parmi d’autres qui sont intéressants à implémenter, parce qu’ils professionnalisent un fonctionnement collectif etentretiennent la motivation du travailleur. Il s’avère de plus en plus évident que l’implication d’un collaborateur repose notamment sur sa connaissance des objectifscommuns poursuivis par son institution et sur la manière dont il peut y contribuer individuellement. De gré ou de force, ces questions finiront par interroger le secteur non marchandet, qui sait, lui faire embrayer le pas… Si ce n’est déjà fait.
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