La question de l’hygiène, mais aussi de l’intimité des personnes en marge, exclues, reste très rarement développé par les professionnels de l’aide sociale. Unparadoxe criant de notre société hygiéniste et narcissique. Se laver demande parfois beaucoup d’organisation.
Fatima a plus de septante ans et vit dans un trois-pièces avec son fils et son petit-fils. Pendant trois ans, elle s’est rendue chaque semaine au Hammam du Bonheur, près de la garedu Midi. Plus par nécessité que par tradition. « Il y a des Belges qui se lavent au seau ou au lavabo, moi je n’aime pas, ça ne va pas… » Après plusieursannées à attendre l’installation d’une douche chez elle, des problèmes de santé l’ont décidée à en construire une elle-même, à l’insu desa société de logement. Au Hammam du Bonheur, d’autres personnes ont vécu la même situation. Des locataires de logements sociaux viennent ici pour se laver « vraiment», c’est-à-dire autrement qu’au robinet. Pour dix euros, c’est également l’occasion de se détendre, d’être au chaud et de bavarder entre femmes de tous âges.Des Européennes non maghrébines ont également pris l’habitude de s’y rendre entre copines. L’ambiance y est calme et bon enfant.
D’autres lieux aquatiques, moins voluptueux, remplissent cette fonction sociale et sanitaire. La Ville de Bruxelles compte trois centres de bains-douches publics destinés à unepopulation dépourvue de sanitaires à domicile. Les bains publics de la place du Jeu de balle comptent trente cabines de douches à l’intérieur desquelles on trouve un petitmiroir, un porte-manteau et un tabouret. Des essuies peuvent être loués à l’accueil mais on peut aussi s’en procurer sur le marché, en face, pour trois fois rien. Unedouche dure vingt minutes et coûte 2,5 euros. Il y a des clients réguliers, des accidentés temporairement en galère et des sans-papiers.
Gisèle, l’une des responsables de l’accueil, remarque que chacun prend quelques instants pour choisir sa cabine, s’installer calmement, comme si pendant une demi-heure il retrouvait un peud’intimité. L’endroit n’y est pourtant pas propice. « Frugal », dit même Claudine, qui vient pour la première fois. Agée d’une soixantaine d’années,cette femme ne fait pas partie du public d’habitués. Elle vit seule dans un quartier plutôt chic, près de l’avenue Louise. Suite aux inondations du mois d’août, elle n’aplus d’électricité chez elle, plus de chaudière, plus de mazout… Son quartier n’étant pas desservi par le métro, elle met quarante minutes pour venirjusque-là… en attendant les réparations.
Hemdi explique en quelques mots la raison de sa venue. « Cela fait x fois que l’on remplace ma chaudière… à chaque fois, elle est bouchée ! Heureusement que je ne pue pasfacilement ! », lance-t-elle à Gisèle qui l’écoute avec pudeur et attention. « J’entends et je vois de tout, dit-elle. Pour certains, venir ici est dégradant.Parce que c’est quelque chose d’intime alors qu’ici, c’est public, tout à fait impersonnel. Il y a quelque chose qui cloche… »
« Etre bien dans sa peau »
Marie-Thérèse Reul, est fille de la Charité au centre La Fontaine1, quelques rues plus loin. Avec quatre douches, une infirmerie et une buanderie pour nettoyer lelinge, elle, ses collègues et plusieurs bénévoles accueillent cinquante personnes par jour. A cause de l’importante demande, une même personne ne peut venir qu’une fois parsemaine. Les services sont gratuits. On peut s’y laver, se brosser les dents, se raser, se faire soigner ou couper les cheveux… et puis voir du monde, prendre un peu son temps. C’est un lieuoù l’on prend soin « pour une fois » de son corps. La Fontaine fait office de lieu de prévention : contre les parasites, la gale ou les poux, la tuberculose ou lesmycoses… « Ne pas pouvoir se laver régulièrement, c’est aussi ne pas découvrir sa peau, ou alors très rarement, dit Marie-Thérèse. Beaucoup ignorentavoir telle ou telle plaie, tout simplement parce qu’ils ne se déshabillent jamais. » En quatorze ans, le centre a accueilli 106 128 personnes. Et 800 nouvelles têtes arriventchaque année. La demande augmente et l’on ne sait plus y répondre.
Pour en savoir plus :
Fr. Boquet, J. Houssiau, Th. Symons, « Se baigner à Bruxelles. Du temps des baignades au temps des loisirs », n° 6, Musées de la Ville de Bruxelles, 2005.
1. La Fontaine,Association belge de l’Ordre de Malte
– adresse : rue des Fleuristes, 13 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 510 09 10