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Santé

Handicap: à la recherche du plaisir

Depuis 2012, l’asbl Aditi charge des accompagnants sexuels de prendre soin des corps et des esprits handicapés. De la simple caresse à l’acte sexuel, ces personnes font découvrir ce qu’est le plaisir corporel à des individus en situation de handicap.

Un verre d’eau à la main, Camille*, une élégante femme de 50 ans à la frange ondulée, s’installe à une grande table de bois. Célibataire, elle est mère de deux grands enfants «qui ont déjà pris leur envol». Il y a maintenant quelques années, elle a décidé de s’engager, en plus de son travail principal, dans le milieu du handicap et d’investir son corps dans une cause bien particulière: permettre aux personnes en situation de handicap d’accéder à leur sexualité et de la découvrir. Après une période de formation, elle devient accompagnante sexuelle. «Notre rôle est de répondre aux demandes spécifiques formulées par une personne en situation de handicap, explique-t-elle. Dans un premier temps, on s’assure que le bénéficiaire est bien sûr de ce qu’il souhaite, puis on lui apprend des gestes et on répond au mieux à sa demande. Cela peut aller du simple besoin de discuter de sexualité, à des massages, jusqu’à l’acte sexuel avec ou sans pénétration.»

L’asbl qui encadre ces accompagnants s’appelle Aditi. Née du côté flamand en 2009, elle est active côté francophone depuis 2014. Elle gère 20 accompagnants sexuels dont les trois quarts sont des femmes. La structure est aujourd’hui subventionnée par la Région wallonne et bruxelloise (environ 50.000 euros par an). Pourtant, l’activité d’accompagnement sexuel n’est toujours pas reconnue. «C’est-à-dire que l’activité est légale, et ce notamment grâce à la récente révision du Code pénal sur le travail du sexe, mais que les accompagnants n’ont pas de statut», explique Pascale Van Ransbeeck, coordinatrice de l’asbl. Ainsi, leurs prestations sont payées en cash par les bénéficiaires (100 euros pour une heure, plus les frais de déplacement).

Mais les choses pourraient bien évoluer dans les années à venir. Le 12 janvier dernier à Bruxelles, en Commission communautaire francophone, les députés ont adopté à la quasi-unanimité une proposition de résolution relative à l’accompagnement sexuel. L’un des objectifs: demander la création d’un cadre légal et notamment un statut juridique et financier pour les accompagnants. Une résolution similaire avait été votée côté wallon en 2018. Pour le moment, la question est étudiée de près des deux côtés, mais aucun calendrier n’est prévu.

Désirs et frustrations

Ces deux propositions se basent notamment sur un constat de terrain: «Pour des raisons diverses et variées (interdiction par les parents ou l’institution, manque d’éducation sexuelle ou de confiance en soi), les personnes en situation de handicap sont trop souvent privées de sexualité ou, du moins, de lien corporel affectif», affirme Pascale Van Ransbeeck. Ils et elles y ont pourtant droit et sont nombreux à en ressentir le besoin. En effet, le droit à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap a trouvé sa place dans la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée en 2009 par la Belgique.

«On a longtemps considéré les personnes en situation de handicap comme étant asexuées, ajoute Pascal Coquiart, psychologue et sexologue. Sauf qu’elles aussi ont des besoins et des désirs. Et comme toute personne qui n’arrive pas à les assouvir, il peut y avoir de la frustration. Chez les personnes en situation de handicap, notamment parce qu’elles n’ont pas tous les codes et que certaines ont du mal à gérer leurs émotions, cela peut se traduire par des comportements transgressifs: masturbation violente ou en public, violence envers des personnes ou encore dépression.»

Aditi confirme ces propos. «De nombreux professionnels ou parents sont souvent confrontés à ce genre de situations sans qu’ils ne puissent personnellement rien y faire, continue Pascale Van Ransbeeck. Ou alors, ils font mal les choses.»

Le 12 janvier dernier à Bruxelles, en Commission communautaire francophone, les députés ont adopté à la quasi-unanimité une proposition de résolution relative à l’accompagnement sexuel. L’un des objectifs: demander la création d’un cadre légal et notamment un statut juridique et financier pour les accompagnants.

En 2017, l’activité des accompagnants sexuels a été d’ailleurs reconnue nécessaire et acceptable par le Comité consultatif de bioéthique de Belgique. Dans un avis rendu, celui-ci estimait que ce «travail» devait devenir une offre de services reconnue par les pouvoirs publics via un cadre réglementaire. «On voit que cette pratique prend de l’envergure notamment au sein des institutions, que les demandes de reconnaissance deviennent pressantes et qu’Aditi fait du bon travail, ajoute Ahmed Mouhssin, député francophone bruxellois (Écolo). Ce qui semble clair, c’est qu’on a un consensus au niveau politique. Après, on ne sait pas encore comment ça va évoluer, si c’est le fédéral qui doit s’en occuper ou les Régions, ou tout le monde ensemble.»

Dans les faits, comment fonctionne Aditi aujourd’hui? Tout d’abord, le processus de sélection des accompagnants comporte plusieurs étapes. «On doit s’assurer que ce ne sont pas des personnes qui vont prendre ce poste pour assouvir des désirs sexuels personnels, déclare Alain Joret, psychologue, sexologue et lui aussi coordinateur chez Aditi. Il faut aussi que ces personnes-là soient bien conscientes qu’il n’est pas question qu’elles s’attachent.» Pour cela, le candidat doit répondre à un long questionnaire avant de rencontrer plusieurs fois Pascale et Alain. De plus, un cadre est posé: «Les candidats doivent avoir une source de revenus, un métier, pour écarter, en partie, les motivations financières», explique Pascale Van Ransbeeck.

«J’aime» ou «Je n’aime pas»

Les accompagnants doivent aussi donner leurs limites. «Par exemple, moi je ne veux pas travailler avec du handicap mental lourd», confie Camille. Ils et elles passent ensuite plusieurs formations avant et pendant leur activité. «On te file ton premier dossier au bout de six mois, explique Leila, une autre accompagnante sexuelle. C’est très rassurant comme processus. J’étais travailleuse du sexe avant, et, autant vous dire, ce n’est pas du tout la même chose. Aujourd’hui, je suis encadrée, je peux me confier et puis surtout je suis formée.»

La demande d’accompagnant sexuel est toujours émise par le bénéficiaire ou une personne de son entourage (psychologue, membre de la famille, etc.). Ensuite, Pascale et Alain se chargent d’enquêter pour s’assurer que l’accompagnement sexuel est la bonne solution. Si tel est le cas, ils discutent longuement avec le bénéficiaire pour organiser les premières rencontres. «Moi, je m’occupe de femmes seules et de couples, explique Franck*, accompagnant sexuel. Pour les femmes, ça peut aller du besoin de comprendre son corps, à la découverte du plaisir. Et pour les couples, l’idée est de les aider à avoir un rapport. Ils ont vraiment besoin de nous pour comprendre, pour bouger, placer leur corps et en prendre soin.»

 

«On a longtemps considéré les personnes en situation de handicap comme étant asexuées. Sauf qu’elles aussi ont des besoins et des désirs. Et comme toute personne qui n’arrive pas à les assouvir, il peut y avoir de la frustration […] Cela peut se traduire par des comportements transgressifs: masturbation violente ou en public, violence envers des personnes ou encore dépression.»

Pascal Coquiart, psychologue et sexologue

Mais une question se pose. Comment s’assurer du consentement d’une personne en situation de handicap mental? «Ces personnes sont généralement en institution, explique la psychologue et sexologue de l’institut Le Houppier, Sonia Coudert. On évalue en permanence les capacités cognitives de nos résidents. L’idée est par exemple de voir si la personne sait dire ‘oui’ ou ‘non’, ‘j’aime’ ou ‘je n’aime pas’. Et enfin, la demande d’accompagnement sexuel est discutée avec eux pour voir ce dont ils ont vraiment besoin.»

Ensuite, lors des rencontres, les accompagnants sont formés au consentement. «On parle beaucoup avec eux et on analyse le langage corporel, explique Thierry*, accompagnant. L’objectif est vraiment qu’ils se sentent bien, que chaque séance les apaise.» Pour évoluer dans le bon sens, l’accompagnant, mais aussi le bénéficiaire font systématiquement un retour de la séance: ce qui a plu, ce qui a crispé, dérangé, les évolutions, etc. «Cela nous permet de vraiment contrôler ce qu’il se passe, continue Pascale Van Ransbeeck. Si quelque chose se passe mal, on change de personne ou on met fin aux séances.»

Calmer les corps et les esprits

Assise dans son fauteuil roulant, au milieu de sa chambre, Julie*, une femme d’une cinquantaine d’années, se confie. «Je suis en couple depuis six ans avec un homme handicapé. Je voulais vraiment découvrir ma sexualité, c’était important pour moi. Certains mois, un accompagnant d’Aditi vient nous aider à avoir des rapports. Il nous met dans un lit situé dans une pièce intime de l’institut et nous guide, nous place. 100 euros, c’est cher pour nous, mais c’est tellement nécessaire.»

Un grand sourire aux lèvres, Vincent* et Lucas*, deux hommes ayant des difficultés motrices et mentales, tentent de nous expliquer ce qu’ils ressentent. «Moi, j’ai une compagne qui ne voulait pas avoir de relations, raconte Lucas. Quand l’accompagnante passe, je me sens bien.» «Ça ne s’est jamais mal passé, ajoute Vincent. Elle est douce avec moi et j’essaye de l’être aussi.»

Tous les acteurs rencontrés nous l’ont assuré: «On ne se rend pas compte à quel point l’affection corporelle et sexuelle peut avoir un effet positif sur la santé mentale et physique des personnes.» «Une fois, je me suis retrouvé dans une chambre avec un homme qui n’avait pas éjaculé depuis des années, raconte Camille. Je l’ai caressé, il a éjaculé. Après la séance, il m’a dit que j’avais changé sa vie.»

Besoin de reconnaissance?

Comment les accompagnantes et accompagnants sexuels perçoivent-ils les récentes évolutions politiques et législatives, portant notamment sur un meilleur encadrement de la profession et une déclaration des revenus qui en sont tirés? Certains s’en inquiètent. «Si je dois devenir indépendante, ça veut dire que je vais gagner moitié moins en net pour une heure de prestation, 50 euros en gros, nous explique l’une d’elles. Honnêtement, à ce tarif-là, je pense que j’arrête.» «Je pense que cela ne changera pas grand-chose, estime un autre accompagnant. Cela permettra peut-être à la population de mieux comprendre notre rôle et de nous écarter un peu de l’étiquette ‘travailleurs du sexe’. Ce qu’il faut surtout, c’est qu’on puisse être respecté par la société, les institutions et les politiques, pour ce qu’on fait.» Car ils sont récurrents les regards et discours stigmatisants.

Sans oublier un autre enjeu à prendre en considération: «Aujourd’hui la demande des hommes bénéficiaires est beaucoup plus importante que celle des femmes, à qui on interdit trop souvent la sexualité, explique un accompagnant. Certaines, qui ont un handicap léger, ne savent même pas qu’elles peuvent ou ont le droit de ressentir du plaisir. Même dans le monde du handicap, il y a un voile patriarcal à lever. Il faut le dire aux institutions, aux parents et à elles: vous avez le droit!»

Robin Lemoine

Robin Lemoine

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