Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Handicap: des crèches «all inclusive»?

Si la loi prévoit que tout milieu d’accueil soit en mesure d’accueillir tout enfant, quels que soient ses besoins, le chemin de l’inclusion est parfois semé d’embûches. Entre difficultés structurelles, ressources insuffisantes et manque de valorisation du métier, professionnels et parents naviguent souvent à vue.

Paul Labourie 30-09-2024 Alter Échos n° 519
© Maud Romera

Au lendemain de la pause estivale, la crèche Les Piloux reprend petit à petit le rythme de la rentrée. Quelques enfants jouent au milieu du jardin, tandis qu’une bénévole fait la lecture aux plus attentifs d’entre eux. Céline Pawlowski, la directrice, garde l’assemblée à l’œil en inspectant une rangée de fraisiers plantés à hauteur d’enfant: «Les Piloux, c’est une crèche inclusive, c’est-à-dire une crèche qui accueille aussi bien des enfants du quartier que des enfants en situation de handicap, pour que tout le monde puisse évoluer ensemble.»

Au cours de son expérience professionnelle à la Maison des Pilifs, service d’accompagnement pour adultes en situation de handicap, Céline Pawlowski a noté «une méconnaissance générale du handicap dans la société, a fortiori mental, car celui-ci ne se voit pas forcément». Une bienveillance parfois paternaliste, des remarques maladroites, une sensation de jugement… «Nous avons donc décidé de fonder une crèche ouverte aux enfants en situation de handicap, ainsi qu’aux enfants de parents en situation de handicap». Aujourd’hui, la crèche est agréée par l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) et compte 21 places, dont sept destinées à ce public spécifique.

Le cap de l’inclusion

Cependant, les crèches inclusives ne sont pas légion dans le paysage de la petite enfance. «Le Code de qualité de l’accueil de l’ONE stipule que tout milieu d’accueil doit être en mesure de recevoir les enfants, quels que soient leurs besoins. Donc la question n’est pas de savoir si l’on va un jour accueillir des enfants en situation de handicap, mais plutôt comment on va le faire de manière adéquate», énonce Pascale Camus, conseillère pédagogique et coordinatrice de la task force «accessibilité» de l’ONE.

Derrière cette volonté, l’ONE défend une vision de la société où «tout le monde a sa place, dès le plus jeune âge». L’inclusion permet ainsi de «trouver comment chaque particularité peut devenir une chance pour le groupe: quand une singularité est accueillie, la réflexion et la réflexion mis en route sont un bénéfice pour tous car ils permettent de remettre en question nos pratiques les améliorer», s’enthousiasme Pascale Camus.

«Le Code de qualité de l’accueil de l’ONE stipule que tout milieu d’accueil doit être en mesure de recevoir les enfants, quels que soient leurs besoins. Donc la question n’est pas de savoir si l’on va un jour accueillir des enfants en situation de handicap, mais plutôt comment on va le faire de manière adéquate».

Pascale Camus, conseillère pédagogique et coordinatrice de la task force «accessibilité» de l’ONE.

Si la gestion du handicap ne fait pas vraiment partie de la formation des puéricultrices, ces dernières peuvent être amenées à travailler de pair avec des structures spécialisées, telles que l’AVIQ (Agence wallonne pour une vie de qualité), Ocapi ou Phare, ainsi qu’avec des professionnels de santé (infirmières, kinés…). Pour l’accueil quotidien, Pascale Camus défend «les compétences professionnelles de base: communiquer avec l’enfant, notamment dans le non-verbal, apprendre à interagir, comment le porter, le prévenir, comment l’approcher, se mettre à sa hauteur… et l’outil numéro un, qui reste l’observation pour apporter les soins et l’accompagnement adéquat». Pour la porte-parole de l’ONE Sylvie Anzalone, «le professionnel doit voir l’enfant avant la déficience: ses envies, ses joies, ses craintes, s’il joue avec ses amis, s’il dort bien… le handicap ne doit pas être au centre de l’accueil, et l’inclusion passe aussi par là».

 

La «débrouillardise» des professionnels

Devant cette direction générale, Céline Pawlowski est plus nuancée: «C’est un moteur et c’est ce vers quoi nous devons tendre, mais ce postulat risque aussi de mettre de côté les spécificités que ces enfants demandent, et donc de ne pas renforcer les financements aux structures plus inclusives, en partant du principe que toutes les crèches en sont capables». Outre l’aspect financier, la directrice relève un réel besoin de main-d’œuvre supplémentaire. «Ici, nous sommes cinq puéricultrices pour 21 enfants et nous avons déjà de la chance, car la loi prévoit une puéricultrice pour sept enfants.»

Si la gestion du handicap ne fait pas vraiment partie de la formation des puéricultrices, ces dernières peuvent être amenées à travailler de pair avec des structures spécialisées, telles que l’AVIQ (Agence wallonne pour une vie de qualité), Ocapi ou Phare, ainsi qu’avec des professionnels de santé (infirmières, kinés…).

Par ailleurs, il peut arriver que les crèches refusent l’accueil si elles ne peuvent pas répondre correctement aux besoins de l’enfant, «si l’équipe ne peut pas mobiliser correctement ses ressources, si elle est en sous-effectif ou dans l’incapacité d’aménager l’espace… Et la communication. est importante pour que les parents comprennent que ce n’est pas à cause de la déficience de l’enfant, mais souvent par manque de place, ce qui est une vraie problématique en région bruxelloise», regrette Pascale Camus.

Après avoir été directeur de crèche, Frédéric Horsch est devenu coordinateur du pôle jeunesse d’UNESSA, la Fédération de l’accueil, l’accompagnement, l’aide et les soins aux personnes. Frédéric Horsch note cependant chez les équipes une «vraie volonté» d’aller vers une meilleure inclusion, mais aussi une demande: «Elles veulent simplement être formées correctement pour répondre le mieux possible aux besoins des enfants et des parents». Céline Pawlowski fait le même constat: «Beaucoup d’équipes ne se sentent pas suffisamment outillées et craignent de ne pas convenablement accueillir l’enfant, même si je pense qu’il n’est pas nécessaire d’être expert en handicap pour être correctement formé à des pratiques inclusives».

Les difficultés des parents

Du côté des parents, plusieurs problèmes persistent. Un manque d’information d’abord. Yousra a fréquenté la crèche des Piloux jusqu’à l’entrée de sa fille Jalia dans une école spécialisée: «Nous avons inscrit notre fille à la crèche d’abord parce que nous aimions l’idée d’un modèle inclusif dès le plus jeune âge, sans savoir qu’elle serait elle-même en situation de handicap». Une maladie rare, liée au gène PNKP, provoque chez Jalia une microcéphalie, des crises d’épilepsie et un retard général de développement.

«Très satisfaite» de l’expérience auprès des Piloux, Yousra regrette toutefois la complexité du parcours parental: «Je suis éducatrice spécialisée, donc j’ai déjà un pied dans le social; pourtant, c’est le parcours du combattant pour naviguer entre les associations, les structures et les aides possibles». À tel point que la jeune mère découvre presque par hasard l’existence de l’allocation majorée, «plus que bienvenue au vu du coût du matériel, des stages, des activités extrascolaires, beaucoup plus onéreux pour les enfants en situation de handicap».

Il y a aussi la crainte du regard des autres et le sentiment de culpabilité. «Pour certaines personnes, demander de l’aide demande beaucoup de courage car on le voit comme de la faiblesse», poursuit Yousra, qui craint que «les parents ne passent à côté du soutien disponible et de leurs droits: je pense à ceux qui ne parlent pas la langue, qui ne sont pas familiers du handicap, qui manquent de moyens ou qui ont déjà plusieurs enfants».

L’isolement et l’absence de véritable choix sont ainsi des maux bien identifiés par l’ONE, qui tente par ailleurs de les combattre: «Il existe des services d’aide à destination des parents, notamment des consultations gratuites avec des partenaires parents-enfants (PEPS), qui proposent une écoute, des conseils ou un suivi médical», énonce la porte-parole.

Autre frein: la pénurie de places en crèche, qui se répercute directement sur les familles, a fortiori dans les situations de handicap. «La déficience ajoute parfois une part de culpabilité chez les parents, qui peuvent décider de prendre eux-mêmes l’enfant en charge, souvent parce qu’ils craignent qu’il ne soit pas correctement accueilli ailleurs», soulève Sylvie Anzalone, qui observe surtout le phénomène chez les mères, davantage contraintes de réduire leur temps de travail.

Enfin, si Yousra reconnaît la volonté inclusive des institutions, elle déplore malgré tout le regard des autres parents: «Nous devons éduquer tout le monde et nous ne partons pas du même stade, mais certaines réactions désobligeantes témoignent de préjugés autour du handicap qui me poussent de plus en plus à éviter les endroits où il y a peu de mixité… et finalement, moi qui défends vraiment l’inclusion, je comprends de plus en plus les parents qui préfèrent rester entre eux.»

«Se donner les moyens» dans un secteur en crise

En clair, si la direction fait consensus, ce sont surtout les moyens qui pèchent. «L’inclusion demande des moyens humains, or investir sur l’humain n’est pas la direction que prend la société. Concrètement, il faut réfléchir à comment porter ces projets et se donner les moyens de les réaliser», soulève Marie Bouckenooghe, directrice de Caravelles, un dispositif mobile de soutien à l’inclusion agréé par l’AVIQ, destiné à épauler les professionnels des milieux d’accueil dits «ordinaires» dans la mise en place de pratiques inclusives.

Autre frein: la pénurie de places en crèche, qui se répercute directement sur les familles, a fortiori dans les situations de handicap.

Caravelles propose ainsi «une réflexion commune sur les pistes d’amélioration, les ajustements possibles et surtout un travail sur les représentations des professionnelles». Et parfois une paire de bras supplémentaires, quand le besoin s’en fait ressentir. «Les équipes veulent bien faire, elles sont capables d’adapter leurs pratiques et sont souvent déjà passées par là, mais manquent d’espace et de temps pour bien penser les choses. Une des clés, c’est la qualité de présence auprès des enfants, mais, entre les exigences administratives, la gestion du personnel et les injonctions sociétales, nous sommes contraints de faire du multitâche en permanence», regrette Marie Bouckenooghe.

De fait, certaines limites dépassent la gestion même du handicap. Pour Céline Pawlowski, celles-ci viennent déjà du manque de valorisation du métier, «peu reconnu, peu rémunéré, mais pourtant lourd et exigeant, assimilé à un travail de femmes qui se résume à changer des couches et garder des enfants, alors que nous veillons à leur bon développement». Dans ce contexte, l’inclusion n’est pas toujours traitée en priorité. «Il y a une vraie urgence dans le secteur de la petite enfance: trouver une place dans de bonnes conditions, près de chez soi, c’est déjà très compliqué pour la plupart des parents. Donc les initiatives plus avancées, et notamment l’inclusion, tendent à passer après l’urgence générale», regrette Frédéric Horsch.

Alter Échos

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)