Pour marquer son 40e anniversaire, le Village n°1 organisait les 4 et 5 décembre un colloque sur le thème « Handicap et société ». Pour ses promoteurs,c’était l’occasion avec les acteurs de l’insertion sociale, non pas de se tourner nostalgiquement vers le passé, mais bien de réfléchir au futur dusecteur et de poser des jalons de développement.
Le Village n°1 est une structure d’accueil de personnes handicapées qui regroupe plusieurs missions. Son service d’accompagnement assure l’hébergement de plusde 150 personnes et accueille également 30 personnes externes. Mais c’est aussi une entreprise qui compte 430 personnes dont 400 travailleurs handicapés engagés dansl’une de ses deux filiales. L’entreprise de travail adapté (ETA, anciennement atelier protégé) propose ses services de conditionnement promotionnel, de tri de bonspublicitaires, d’horticulture. L’entreprise sociale offre à ses clients un service complet de logistique électronique de documents (digitalisation, microfilmage,encodage…) et un call center.
Fondé il y a 40 ans, le Village accueillait les représentants du secteur à deux journées de réflexion. Pour lancer la première, centrée surl’éthique, Nathalie Rigaux, professeur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur, plaida pour donner, dans notre société qui accorde plusd’importance à la raison, une place de choix au lien entre le corps et l’esprit et par conséquent une importance plus large à la personne handicapée. Àsa suite, Jean-Louis Chapellier, consultant indépendant, lança l’idée d’interpeller les politiques : en temps de disette financière on insère uniquementdes cas dits prioritaires, la liste d’attente des autres est longue ; il faut éviter cette logique et repenser toute personne handicapée à travers des droits àpromouvoir.
« La question de l’éthique et de la citoyenneté est centrale au Village n°1, précise Gérard Lemaire, président du conseil d’administration.Aussi, dès avril 2004, le CA va proposer à son AG deux changements d’importance pour la décennie à venir. Nous devons nous adapter au vieillissement des personnesque nous accueillons, pas seulement dans une maison des aînés, mais plutôt dans des maisons intégrées. Nous voulons aussi accueillir des personnespolyhandicapées et des handicapés lourds. Cela implique des transformations de notre structure d’accueil tant dans ses locaux que chez son personnel : un fameux chantier.»
Des bénéfices plus importants que la mise de départ
Quelle place pour la personne handicapée dans une économie en mutation ? C’était le thème de la deuxième journée. D’emblée, JacquesDefourny, professeur d’économie à l’Université de Liège, frappa les esprits avec les résultats d’une étude toute récente. Selon lui,les subsides publics régionaux pour intégrer une personne handicapée dans une entreprise génèrent des bénéfices en termes de contributions etd’impôts vers le fédéral plus importants que la mise de départ. La difficulté réside en ce que les flux concernent deux niveaux de pouvoirdifférents. L’avenir des entreprises d’insertion sociale, qui sont en train d’innover en termes de structure, et cela dans toute l’Europe, dépend donc de laprise de conscience de ces flux par les décideurs.
Pour Philippe Laurent, président de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées, le nouveau contexte économique modifie laquantité et la qualité du travail : la mécanisation qui se poursuit, l’informatique et internet favorisent la mondialisation, la duplication qui transforme les termes del’échange (par exemple avec le logiciel gratuit Linux), le transfert du travail vers le client qui est de plus en plus acteur de son propre service (comme dans les banques), ainsi que lacirculation des personnes et des biens qui développe la mondialisation des idées. Des pays « émergents » augmentent leurs capacités de production enquantité mais aussi en qualité. Cela accentue les risques d’élimination du marché du travail et notamment pour les personnes handicapées.
Selon Philippe Laurent, « Il faut jouer sur les leviers, notamment juridiques comme la loi Moureaux sur la discrimination pour amener toutes les entreprises et pas seulement publiquesà un quota de personnes handicapées ». « Pour y arriver, complète le syndicaliste FGTB Robert Vertenueil, il faut vaincre le syndrome du concierge. »Au-delà des patrons qui sont assez ouverts, il s’agit de convaincre les cadres moyens, ceux qui ouvrent les portes. « Mais attention pour les ETA si on les développe,dit-il, à ne pas perdre leur âme et à ne pas faire du dumping social ce qui créerait des tensions entre travailleurs. »
Frédéric Devroye, operations director à Belgacom, emploie le Village n°1 comme sous-traitant pour le call-center du 1307. « Nous préférons utilisercette solution car nous ne sommes pas des experts de l’encadrement des personnes handicapées. » Ce contrat est évalué chaque année. Si le Village est repris,c’est qu’il est concurrentiel. Le président de l’Entente wallonne des entreprises de travail adapté, Guy Nizet, approuve : « Arrêtons de croire quesous-traiter, c’est exploiter. »
Développer le capital humain
Le secteur évolue. Le coordinateur général du Village, Stéphane Emmanuelidis, en est convaincu : « Il y a 10 ans, Belgacom n’aurait pas pris le risqued’utiliser une personne handicapée dans une de ses publicités. » Pour lui, les ETA doivent innover et grandir : « En 1963 nous avions 10 personnes handicapéespour 440 aujourd’hui. Je préconise le regroupement de petites ETA. Le volume permet une réponse plus affinée à la demande, des économiesd’échelle, la possibilité de compenser la moindre rentabilité de certains par la plus grande efficacité d’autres, la capacité à répondreà des défis plus importants. »
Pourquoi les ETA comme le Village sont-elles si performantes ? Impossible d’apporter une réponse directe à cette question, mais des indices fusent dans le courant de lajournée. « La personne handicapée, dit l’un, prend sa revanche sur la vie. » « Dans une ETA, il y a tension permanente entre l’économique et lesocial, dit un autre, cela se résout seulement à travers des liens humains de qualité. » « Mon travail sert quand il produit de la beauté, complète untroisième. »
Enfin, le président de la Banque européenne d’investissement, conclut le colloque par cette idée : « Si la croissance économique engendre une plus-valuesociale, la réciproque est également vraie. À charge pour les décideurs de développer le capital humain, en termes d’éducation et de santé, etle capital social, en termes de capacité pour une communauté de travailler en réseau, ce qui facilite la communication et la coopération entre les personnes. »
Bref, le Village n°1 a semé une graine de réflexion pour le futur que ne manqueront pas de relayer les différents participants dans leurs cercles respectifs.
1. Stéphane Emmanuelidis, coordinateur général du Village n°1, rue Sart-Moulin, 1 à 1421 Ophain-Bois-Seigneur-Isaac, tél. : 02 386 06 71, courriel : info@levillage1.be, site : http://www.levillage1.be.