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Handicap: ravalement de façade?

Le 31 mai dernier, Maxime Prévot, ministre wallon de la Santé, annonçait la mise sur la table d’une enveloppe de quelque 63 millions d’euros pour l’amélioration de l’hébergement et de la prise en charge des personnes handicapées. Mais, face à la priorité d’apporter des solutions aux familles, quelle place reste-t-il pour l’approche inclusive et participative du handicap, telle que préconisée par la Convention de l’ONU ?

Les avis divergent autour de la prise en charge (trop ?) institutionnalisée du handicap en Belgique.

Le 31 mai dernier, Maxime Prévot, ministre wallon de la Santé, annonçait la mise sur la table d’une enveloppe de quelque 63 millions d’euros pour l’amélioration de l’hébergement et de la prise en charge des personnes handicapées. Mais, face à la priorité d’apporter des solutions aux familles, quelle place reste-t-il pour l’approche inclusive et participative du handicap, telle que préconisée par la Convention de l’ONU?

Des acteurs du secteur le rapportent, son cabinet le confirme: l’enveloppe inédite de 63 millions dégagée par le gouvernement wallon pour le secteur du handicap devrait beaucoup à la sensibilité personnelle du ministre Maxime Prévot (cdH). Sa mesure phare – un budget de 50 millions pour soutenir la rénovation des infrastructures existantes – porte d’ailleurs le nom d’«ERICh» (Ensemble rénovons les institutions pour les citoyens handicapés), en hommage à son oncle atteint de handicap. Inattaquable dans ses fondements, ce discret storytelling cohabite avec une autre réalité: cette mesure gouvernementale comme tentative de réponse à la condamnation de la Belgique en 2013 par le Comité européen des droits sociaux, organe du Conseil de l’Europe, pour le manque de places et de solutions à destination des personnes handicapées.

«L’appel à projets sera lancé d’ici à la fin de l’année. Le travail de préparation sur l’ensemble des critères à respecter continue à se faire tout à fait normalement au cabinet.» Audrey Jacquiez, porte-parole du ministre Prevot

Rappelons qu’en 2013, la ministre Éliane Tillieux avait déjà instauré un programme de subsidiation de 30 millions d’euros sur six ans pour la rénovation et la création de places. Précisons que les 63 millions annoncés aujourd’hui incluent en réalité deux fois cinq millions précédemment programmés. Pour l’APEPA (Association de parents pour l’épanouissement des personnes avec autisme), des mesures d’une telle envergure sont toutefois une première. «On n’avait jamais eu ça. Certes, ce n’est pas parfait, mais la volonté politique est là. Notre stratégie consiste à encourager et non à critiquer», annoncent d’emblée son président Freddy Hanot et la vice-présidente Alice Suls.

Des subsides à la réalité

Avec ERICh, le cabinet a choisi de mettre l’accent sur la modernisation des institutions, dont une bonne partie date des années 60-70, avec des standards qui ne correspondent plus aux exigences actuelles de prise en charge (chambrée à six lits, structures pavillonnaires désuètes, etc.). Le ministre a notamment annoncé une majoration de l’intervention par modification décrétale qui passera de 60% des coûts estimés à 80% (avec un plafond d’intervention maximum de deux millions d’euros) pour toutes les structures agréées ou partiellement subventionnées, ce qui devrait logiquement bénéficier aux plus petites d’entre elles qui étaient souvent dans l’incapacité de financer 40% du projet sur fonds propres[1].

Outre ces 50 millions dédiés à la rénovation, les «Actes majeurs pour le handicap» prévoient cinq millions pour la création de nouvelles places pour les cas les plus lourds (polyhandicap) et les personnes cérébrolésées, tandis que cinq millions iront au renforcement du soutien aux personnes atteintes d’autisme et de double diagnostic (trouble autistique et pathologie mentale) et à leur famille. Cette mesure correspond en fait à la deuxième programmation de l’appel à projets lancé fin 2016 dans le cadre du plan transversal Autisme et se traduit concrètement par la création de 74 nouvelles places (70 avaient déjà été créées au cours de la première phase), dont 12 en hébergement de crise et 39 au sein de dispositifs de répit pour l’entourage. Enfin, une enveloppe additionnelle de trois millions d’euros ira aux «cas prioritaires», c’est-à-dire aux personnes avec un handicap complexe et qui se trouvent dans une situation d’urgence.

«En Flandre, les personnes handicapées sont des ‘clients’. […] Cela signifie simplement que la personne a des droits.» Cinzia Agoni, Gamp

Parallèlement à ces mesures, Maxime Prévot a annoncé la mise sur pied d’un plan «Accessibilité» visant à améliorer l’accès des personnes en situation de mobilité réduite dans tous les domaines: bâtiments, transports, logement, tourisme, services… Des «référents accessibilité» devaient être désignés dès le mois de juin pour représenter chaque cabinet ministériel. Mais la crise gouvernementale est passée par là. «Évidemment, comme les cabinets vont changer d’ici peu, nous n’avons pas encore pu mettre cela en place, mais c’est l’histoire d’un mois supplémentaire, pas plus», rassure en ce début juillet Audrey Jacquiez, porte-parole du ministre. Concernant l’appel à projets ERICh et le reste des mesures annoncées, le clash PS-cdH n’aura, assure-t-on, aucun impact. «L’appel à projets sera lancé d’ici à la fin de l’année. Le travail de préparation sur l’ensemble des critères à respecter continue à se faire tout à fait normalement au cabinet. Je vous assure qu’ici, personne n’a fait ses cartons…», poursuit la porte-parole.

Une telle sérénité dans la tempête couplée à l’annonce de jolies sommes incite à l’optimisme. Mais certains acteurs restent sur leurs gardes. «Bien sûr que nous sommes contents. Cependant, j’attends la concrétisation, réagit Cinzia Agoni, porte-parole du GAMP (Groupe d’action qui dénonce le manque de places pour les personnes handicapées). Lors des appels précédents, beaucoup de projets ont été approuvés puis abandonnés en cours de route, car les exigences de l’AVIQ finissaient par les rendre beaucoup trop coûteux.» Le Mistral, une structure qui héberge une trentaine d’adultes atteints d’autisme profond à Saint-Georges-sur-Meuse (province de Liège), en sait quelque chose. Organisée en deux foyers de vie (unités avec salle de bain, cuisine, salon et salle à manger) avec des chambres installées séparément au rez-de-chaussée, l’institution remet en 2015 un projet de création d’un bâtiment mitoyen pouvant accueillir un foyer, totalement indépendant, de sept personnes, sur le modèle «appartement» (avec chambres contiguës) aujourd’hui préconisé. «Nous nous sommes vu attribuer un demi-million. Mais une fois prises en compte les remarques de l’AVIQ, le montant s’est élevé à près d’un million et demi, ce qui était pour nous impayable. Le projet a donc été abandonné», raconte Sylvie Houbion, directrice du Mistral.

Une politique très institutionnalisée

«La condamnation de la Belgique en 2013 portait sur le manque de places d’hébergement, mais aussi sur le manque de solutions adaptées!», rappelle par ailleurs Cinzia Agoni. «Certes, les places sont importantes, car nous savons que nous n’allons pas survivre à nos enfants, explique celle qui est aussi la mère d’un adulte atteint d’autisme. Mais nous voulons des structures à taille humaine, participatives et inclusives Si la porte-parole du GAMP salue le financement à 80% devant permettre la subsidiation de plus petites structures, elle déplore la persistance d’une vision très médicalisée et «caritative» de la prise en charge. «En Wallonie, on continue à parler de ‘bénéficiaires’, comme si on aidait ces personnes par amour fraternel. En Flandre, les personnes handicapées sont des ‘clients’. Le terme paraît extrêmement choquant au sud du pays, mercantile. Mais ce n’est pas cela du tout: cela signifie simplement que la personne a des droits», poursuit cette Bruxelloise qui a fait le choix d’un établissement flamand pour son fils.

«Une fois prises en compte les remarques de l’AVIQ, le montant s’est élevé à près d’un million et demi, ce qui était pour nous impayable. Le projet a donc été abandonné.» Sylvie Houbion, directrice du Mistral

La prise en charge très institutionnalisée du handicap a d’ailleurs valu en 2014 un autre coup de semonce à la Belgique, comme l’illustre cet extrait du rapport publié par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU: «Le Comité note avec inquiétude que l’État partie a un fort taux d’orientation des personnes handicapées vers des soins en établissement et qu’il n’y a pas de plans pour la désinstitutionnalisation[2]  Or il y a fort à parier que la priorité donnée à la rénovation entretienne ces carences, voire les accroisse. «À la suite de l’abandon de notre premier projet, nous en avons introduit un autre avec les chambres séparées, poursuit la directrice du Mistral. Aujourd’hui, on nous dit au cabinet que ça ne passera pas. Mais si nous commencions à mettre des chambres à tous les étages pour respecter ce modèle ‘appartement’, l’éducateur de nuit devrait graviter sur quelque 5.000 mètres carrés, aller rassurer l’un qui se tape la tête contre les murs tandis qu’à l’autre extrémité du bâtiment, un autre a besoin d’aller aux toilettes. Je ne doute pas que cela puisse fonctionner pour du handicap plus léger, mais c’est impossible avec une population comme la nôtre. Ou alors ce sera pour fermer les chambres à clef, ce qui n’est pas le but…»

De manière récurrente, les velléités de modernisation des infrastructures se heurtent à la difficulté pour les équipes de s’organiser avec des frais de fonctionnement identiques. «Plus on divise, plus on a besoin de personnel. Ou alors c’est juste une mesure cosmétique. Bien sûr, si on construisait du neuf et qu’on avait une structure en étoile avec l’hébergement au centre, ce serait possible», explique encore Sylvie Houbion. Faire du neuf avec du vieux a ses limites. Mais, plus fondamentalement, certains acteurs restent convaincus que la désinstitutionnalisation est une belle idée… sur le papier. «La désinstitutionnalisation telle que pratiquée dans les pays du Nord, ce n’est pas parfait!, estime à ce propos Freddy Hanot[3]. Ce que nous demandons, ce sont des solutions individualisées. On ne peut pas prendre en charge de la même manière un autiste profond et un Schovanec.» Cinzia Agoni nuance: «Nous ne voulons pas la désinstitutionnalisation, mais nous voulons le respect du droit de la personne handicapée à un projet de vie, à poser des choix, ne fût-ce que pour de petites choses. Même une personne gravement atteinte peut dire ce qu’elle veut sur sa tartine si on lui en donne les moyens.» Passer du caritatif au participatif demandera cependant à la Wallonie bien plus que 63 millions d’euros: un changement de cap, une autre «sensibilité».

 

[1] «Des actes majeurs pour le handicap en Wallonie», communiqué de presse, 31 mai 2017, http://prevot.wallonie.be/des-actes-majeurs-pour-le-handicap-en-wallonie.

[2] «Observations finales concernant le rapport initial de la Belgique» du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU (CRPD/C/BEL/1), 28 octobre 2014.

[3] Voir notamment à ce propos Cohu, S., Lequet-Slama, D. & Velche, D. (2003). «La Suède et la prise en charge sociale du handicap, ambitions et limites», Revue française des affaires sociales, 461-483. http://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2003-4-page-461.htm: «Le mouvement de ‘désinstitutionnalisation’, réclamé par les associations de personnes handicapées, s’il a permis à une majorité d’entre elles d’améliorer leur autonomie, a eu tendance à isoler une partie de cette population, hébergée auparavant dans des institutions collectives. Il a aussi rendu plus difficile le recrutement d’assistants personnels. En effet, ces derniers se retrouvent à assumer des tâches difficiles, généralement mal rémunérées, et souvent dans un contexte de grand isolement.»

En savoir plus

«Qui sauvera les handicapés sans allocations?» (dossier), Alter Échos, 23 janvier 2017.

Julie Luong

Julie Luong

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