Cet ouvrage publié en décembre 2000 rend compte d’une réflexion menée par P. Hannecart et J. Blairon au cours d’une formation avec l’équipe du Service deprotection judiciaire de Liège (SPJ)1. La réflexion s’articule autour de la problématique du contrôle effectué par les membres du SPJ dans le cadre de la loi sur laprotection de la jeunesse et du rôle que leur confie le décret de 91 relatif à l’Aide à la jeunesse. Face aux événements qui ont secoué la Belgique aucours de la dernière décennie, les auteurs pointent plusieurs phénomènes qui participent de l’évolution du travail et des pratiques professionnelles. Le propos desauteurs dépasse donc largement le terrain de l’aide à la jeunesse.
Le livre examine ensuite les mécanismes qui régissent les interactions entre professionnels et usagers en les illustrant par des exemples tirés de situations rencontréespar le personnel du SPJ liégeois. Ce faisant, l’ouvrage a pour ambition de proposer une alternative à cette tendance qui voudrait privatiser les services publics en(re)définissant une logique d’action adaptée aux missions de ces derniers.
Le rôle du délégué s’inscrit dans le cadre d’une aide contrainte, il revient à mettre en œuvre le jugement en assurant la coordination des interventions et lecontrôle des mesures. Cependant, celui-ci se voit soumis, dans l’exercice de ses fonctions, à des contraintes plus ou moins fortement ressenties. « Venant du haut », les agents notent unedégradation de leur position institutionnelle. Celle-ci passe par une désacralisation de la fonction, une marginalisation par rapport au champ judiciaire et une possibilité deconcurrence avec les SAJ, les Services de l’aide à la jeunesse. « Venant du bas », la logique d’individualisation qui se traduit par l’importance du désir de réalisation de soi estaussi porteuse d’autres tendances potentiellement contradictoires, notamment celle qui vise à « substituer aux engagements publics des aides individuelles mais aussi conditionnelles (…)du type ‘une aide contre un projet' » alors que les usagers des SPJ sont particulièrement vulnérables aux ambiguïtés issues de l’individualisation de l’aidesociale.
Les auteurs notent « l’importance de construire une analyse critique des conditions d’exercice de la fonction. C’est d’une telle analyse, menée avec rigueur, et incorporéeréellement par les agents que dépend finalement le caractère démocratique ou non des pratiques de protection judiciaire ».
Cette analyse passe, pour l’essentie, par un travail sur la notion de contrôle en la distinguant de la notion d’évaluation. Ils constatent une certaine confusion qui « est non pertinenteet dommageable pour toutes les parties. Ce n’est pas en soi que l’évaluation est plus légitime que le contrôle ». On assiste à une dévalorisation systématiquedu terme contrôle alors que s’opère une valorisation des pratiques d’évaluation. Celles-ci peuvent alors constituer « une stratégie (intentionnelle ou non) permettant deprésenter la domination sous un visage tout à la fois adouci et moins repérable ».
L’intérêt principal de l’ouvrage réside dans l’énonciation des conditions qui permettent à la protection judiciaire d’exercer un contrôle démocratiqueet à quelles conditions ou dans quelles circonstances ses délégués peuvent ou doivent recourir à des pratiques évaluatives. Afin d’arriver à « sertir,dans le contrôle, des moments d’évaluation, en faisant bien la différence entre les deux démarches et en permettant aux usagers de la saisir et de l’utiliser demanière adéquate ».
Les conditions d’une évaluation démocratique se définissent par le fait que :
n toutes les personnes en présence s’octroient la capacité effective de participer à l’évaluation;
n l’effectivité de la collégialité est établie en dépit de la différence de compétences potentielles;
n une réelle recherche de sens ne se borne pas aux opinions des spécialistes.
Plusieurs solutions sont ébauchées pour amener les agents à intégrer cette distinction dans leurs pratiques. Citons entre autres la mise en œuvre d’un modèled’autoanalyse. A ce sujet, les auteurs attirent l’attention sur les procédés de « looping » et « d’embrigadement » qui se traduisent respectivement par le fait que l’argument que l’usagerpensait opposer de manière efficace alimente en fait une nouvelle attaque justifiant le placement institutionnel. L’embrigadement se traduit quant à lui par l’impossibilité, pourl’usager de l’institution, de développer un « plan d’action personnel ». Une autre solution passe par un travail interdisciplinaire qui permet une remise en question de l’approchenécessairement orientée en fonction de l’histoire et de la formation du délégué.
Toutefois, on peut s’interroger sur le fait que les outils proposés au lecteur pour aiguiser sa capacité d’articuler les pratiques de contrôle et d’évaluation, ne seréduisent en définitive à un « tour de main ». Celui-ci n’est pas inné, il nécessite certainement une formation et, en amont, le prolongement de la réflexionpour objectiver dans les pratiques le cadre conceptuel ainsi ébauché. Il n’en reste pas moins qu’il apparaît fécond, ouvrant de nouvelles perspectives pour objectiver lespratiques de terrain.
1 P. Hannecart et J. Blairon, Contrainte sous contrôle. Protection judiciaire et démocratie, Bruxelles, Editions Luc Pire, coll. « Détournement de fond », 2000, 126 p.
Archives
"Hannecart et Blairon : travail social, contrainte, contrôle et évaluation"
xavier
12-03-2001
Alter Échos n° 93
xavier
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