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Regard critique · Justice sociale
©FlickrBorya

«Massacre de masse». Les mots sont brutaux. Et provocants, bien sûr. C’est Benoît Frydman, juriste et philosophe à l’ULB, membre du Conseil supérieur de la justice, qui les a prononcés à la fin du mois d’août sur la RTBF au sujet du nombre de morts que la Belgique a comptés dans les maisons de repos pendant la crise du Covid-19. Ces mots doivent nous secouer, comme un électrochoc, pour éviter de céder à la tentation de passer à autre chose, sur le mode fataliste du «nous avons fait de notre mieux».

«Je pense que les morts demandent justice», ajoutait le professeur. Et c’est bien tout l’enjeu des prochains mois. Faire la lumière totale sur ce qu’il est advenu. En tirer des leçons. Pointer des manquements. En Espagne, des procureurs enquêtent sur la mort de «vieux» abandonnés dans leurs homes. En France, des associations de familles s’organisent pour demander justice. En Belgique, des zones d’ombre subsistent.

Au-delà de l’évidence – le Covid-19 est fatal pour les personnes âgées et se répand davantage dans des lieux de vie collective –, il faudra s’interroger sur les responsabilités politiques de ce drame. Aurait-on pu éviter des morts?

Les chiffres sont connus. Il faut les rappeler. Environ 10.000 décès en Belgique. 66% ont touché des résidents de maisons de repos. 50% sont morts au sein des établissements, dans des conditions parfois innommables. Dans une toute récente étude de Raphaël Lagasse, de l’école de santé publique de l’ULB, et de Patrick Deboosere, du grand hôpital de Charleroi, on découvre qu’en temps de Covid, le taux de surmortalité en maison de repos était de 86%. Au Royaume-Uni, autre pays frappé de plein fouet par le Covid, ce taux était d’environ 78%.

Médecins sans frontières, suite à sa mission d’aide dans les maisons de repos et de soins, décrivait des institutions laissées à l’abandon par les pouvoirs publics. On pense bien sûr à Maggie De Block, à son terrible fiasco lors de la destruction du stock de masques. Mais pas seulement.

Les questions en suspens sont nombreuses. Pourquoi, au mois de mars, l’Aviq conseillait-elle au personnel travaillant dans des maisons de repos de ne pas porter de masque en présence de résidents s’ils ne souffraient d’aucun symptôme? Quel a été l’impact de la circulaire d’Iriscare – organisme bruxellois de protection sociale – du 17 mars insistant, en des termes contradictoires, sur l’importance du rôle des maisons de repos dans le désengorgement des hôpitaux?

Pourquoi des directions de maisons de repos attestent-elles que des ambulances ont refusé des soins à des patients issus de leurs établissements? Les hôpitaux ont-ils appliqué strictement les critères d’admission en soins intensifs, ou certains d’entre eux ont-ils refusé des prises en charge par crainte de se retrouver submergés dans un scénario à l’italienne? Enfin pourquoi n’a-t-on pas voulu voir les conditions de vie et d’hygiène se dégrader ces dernières années dans certaines maisons de repos, très peu contrôlées par les autorités publiques?

Ces questions interpellent au-delà de nos frontières. Au mois d’août, le New York Times consacrait un article fouillé sur ce thème. Des sources officielles niaient que la Belgique avait opté pour une politique de refus de soins aux personnes âgées. «Mais, en l’absence d’une stratégie nationale, avec des élus régionaux qui se chamaillaient pour savoir qui était responsable, […] certains hôpitaux et services d’urgence se sont fiés à de vagues conseils et lignes directrices pour justement refuser des soins», lisait-on dans l’article. Au fédéral comme dans les entités fédérées, les commissions parlementaires spéciales Covid – malheureusement pas de véritables commissions d’enquête – devront faire la lumière, sans détourner le regard, sur toutes ces questions. La condition sine qua non pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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