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Regard critique · Justice sociale

Herbe et ecstasy, en vente aussi à la campagne

A Marche, l’AMO Mic’ados a décidé de briser les tabous : Oui, il est possible de parler de drogues en milieu rural, malgré le poids du contrôle social et despréjugés.

15-11-2011 Alter Échos n° 326

A Marche, l’AMO Mic’ados a décidé de briser les tabous : Oui, il est possible de parler de drogues en milieu rural, malgré le poids du contrôle social et despréjugés. C’est le sens du projet « Parlons-en », un petit livre et un film qui servent de supports pédagogiques pour ouvrir le dialogue.

Les drogues ne sont pas l’apanage des jeunes urbains. Elles existent aussi en milieu rural. Au plan stratégique de sécurité et de prévention1 deMarche-en-Famenne, on affirme même que le problème s’accroît. Charles-François Pezzin, agent social, ne dit rien d’autre : « Dans les cantons les plusà l’est de notre zone, les plus ruraux, vers Houffalize, Gouvy et Vielsam, les acteurs de terrain parlent d’une recrudescence de consommation et surtout de leur banalisation. De lacocaïne et de l’ecstasy par exemple. Les consommations sont plus connues et plus visibles en ville mais chez nous, c’est quand même là, et de plus en plus. »

Au service d’aide en milieu ouvert (AMO) Mic’ados2, à Marche-en-Famenne, on a voulu parler et faire parler de la consommation de drogues et de la dépendance. Cocaïne,ecstasy, bien sûr, mais aussi cannabis, alcool, tabac ou jeux vidéos. L’idée : faire parler des jeunes et des adultes, s’inspirer des expériences pour créerquelque chose de neuf. Un support qui servirait à son tour à faire parler, afin de « lever les tabous », en une sorte de grande chaîne du langage. De ceprojet, nommé « Parlons-en », est né un film réalisé par cinq jeunes et un livre qui puise dans les talents artistiques des participants. Le toutponctué de paroles d’experts et de témoignages. Ces outils doivent désormais aider à sensibiliser les habitants des villages alentour.

Des professionnels qui côtoient des jeunes – dans les mouvements de jeunesse, les CPAS ou les clubs sportifs par exemple – se verront proposer des formations sur cesthèmes. Car pour Valérie-Anne Adam, la directrice de l’AMO, « il est important qu’on soit à l’aise sur cette thématique et qu’on sache yrépondre ». Le constat que fait l’AMO est assez rude : « quand il s’agit de drogues, les adultes se tournent naturellement vers la police, affirme JulienMarée, éducateur à l’AMO. L’idée est de savoir vers qui se tourner lorsqu’un jeune parle de consommation. » Mais cette volonté de former des« adultes relais » se heurte à une réalité de terrain : pour l’instant, les candidats ne sont pas légion. La directrice de l’AMO l’expliquesimplement : « Le thème des drogues n’est pas facile à aborder. De plus, on s’est aperçu qu’on ne connaissait pas ces acteurs de terrain, et tout prend plus detemps en milieu rural. » Dans la même veine, Valérie-Anne Adam remarque qu’il n’est pas non plus facile de pénétrer dans les écoles avec ce typed’outils : « On nous répond généralement « y’a pas de ça chez nous ». C’est une façon de se voiler la face. »

« Tout se sait très vite »

Parler de psychotropes entre jeunes et adultes n’est pas simple. Qu’on vive en ville ou à la campagne. Pourtant, certaines caractéristiques propres au monde rural y rendentpeut-être la question des drogues encore plus épineuse. C’est ce que pense Marie Demelenne, assistante sociale à l’AMO qui souligne le côté oppressant ducontrôle social : « Dans les petits villages, tout se sait très vite. En cas de consommation, tout le monde sera au courant et le jeune sera vite catalogué comme »drogué ». On lui mettra une étiquette qui ne sera pas forcément en relation avec ce qu’il fait. » Avec une étiquette sur la tête, il est plus facile de sefaire accepter par d’autres jeunes « à étiquette ». La force du groupe bat son plein. C’est ce dont témoigne la directrice de l’AMO : « C’est très dur des’extraire de son groupe d’amis et d’en changer. Surtout qu’il n’y a pas tellement de groupes dans les villages. » Et si, par hasard, un toxicomane veut trouver de l’aide, il ne saura pasforcément vers qui se tourner. Le manque d’information s’ajoute au manque de services. « Marche est mieux desservie, mais pour le reste de l’arrondissement, il n’y a pas grand-chosepour assurer un suivi individuel ou une prise en charge », dit Valérie-Anne Adam.

Extrait du livre « Prise de risques – Parlons-en ensemble » de l’AMO Mic’ados

Seul face à ses peurs. Témoignage d’un jeune adulte. Ménati.

Après, en boîte, j’ai connu les pilules. Je ne connaissais pas les effets, mais j’ai quand même testé. Je consommais mais j’avais peur des risques. Je savais qu’il yavait de grands risques, j’avais peur de mourir. Après y avoir goûté, je ne voulais plus que ça. J’en ai consommé beaucoup, mais j’ai arrêté àtemps parce que je savais que c’était de grosses saloperies. J’ai arrêté du jour au lendemain (…). Je n’en ai jamais parlé à personne. Quand je disais aux autresque je voulais arrêter, ils riaient. Le plus important, c’est l’entourage. Tous les jeunes de mon âge consommaient. Avec mes copains, nous pouvions nous procurer beaucoup de droguesdifférentes. Nous trouvions de tout à Marche. »

« Pour les ados, il n’y a rien. Ils s’ennuient »

Tous ces constats sont confirmés par des adultes qui ont participé au projet et que nous avons pu rencontrer. Geneviève, habitante de Barvaux, dénonce notamment le videsocial et culturel de son village, qui peut pousser à la consommation : « A Barvaux, il n’y a même pas de maison de jeunes. Pour les ados, il n’y a rien. Ils s’ennuient.Il n’y a que des réunions informelles avec de l’alcool et de la consommation. En plus, il y a l’influence du groupe. Ceux qui n’ont pas envie de consommer se retrouvent chez eux. »Quant à Yves Colin, animateur de rue à Nassogne, il regrette une forme d’arbitraire du monde rural : « La réaction des habitants du village varie en fonction dela famille dont le jeune fait partie. La façon dont les conneries sont réprimées dépend des familles. Pour certains, on dira vite, « c’est bien le fils de sonpère ». » Une affirmation qui pousse Geneviève à renchérir : « Ici, tout le monde croit tout savoir. Les ragots posent de gros problèmesdans la tête des jeunes. » Si les jeunes savent où trouver de quoi consommer, Geneviève déplore qu’au niveau de l’aide, « ils ne savent pas oùaller ». Ce que confirme Yves Colin : « Pour en parler, ils doivent fournir un double effort. D’abord reconnaître le problème, et ensuite faire unedémarche de déplacement. La mobilité est un problème important. »

Tous deux sont ravis d’avoir pu participer activement à ce pr
ojet. Réfléchir aux assuétudes, au sens des mots. Créer, écrire autour de ces thèmeset confronter leur opinion à celle des jeunes participants. Leurs créations, notamment de très belles illustrations faites de collages et de montages, donnent corps au petitlivre que diffuse aujourd’hui l’AMO. Quant à la poignée de jeunes qui s’est lancée dans l’aventure, elle s’est attardée sur le sens de trois mots issus du champ lexical dela toxicomanie : « influence, plaisir et dépendance ». Micros-trottoirs et avis d’experts sont au cœur de leur petit film. « L’idéeétait de pousser à la réflexion, explique Julien Marée. On est parti du terme « consommation » et ce sont eux qui sont arrivés à des termes plusprécis. » Maintenant, le projet doit vivre et être diffusé. Des débats et des formations devraient suivre pour que la parole se libère et que laconsommation de drogues ne soit plus cantonnée au rang de tabou indécrottable. Regarder la réalité en face pour mieux la changer.

+ d’infos : www.labiso.be Cahier Labiso N°3
« La Teignouse en Ourthe-Amblève« 

1. PSSP de Marche :
– adresse : rue des Carmes, 26 à 6900 Marche-en-Famenne
– tél. : 084 32 70 75
– courriel : pssp@marche.be
2. Mic’ados :
– adresse : rue des Brasseurs, 21 à 6900 Marche-en-Famenne
– tél. : 084 31 19 31
– courriel : info@micados.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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