Au départ, c’était un groupe d’anarchistes qui squattaient un bâtiment vide dans le sud d’Anvers. Presque vingt ans plus tard, Het Bos est devenu un centre culturel et une maison de jeunes dans le centre. Même si la forme du projet a changé, le côté anarchique n’a pas disparu.
Fin juin 1998, Anvers. Après quelques réunions en catimini et plusieurs journées de promenade à vélo à travers la ville, un groupe d’une dizaine d’anarchistes ont trouvé l’endroit parfait pour un squat: une petite maison entourée d’un grand jardin et d’arbres dans le sud d’Anvers. Auparavant, le bâtiment faisait office de cantine du personnel des chemins de fer.
Ils ont mis au courant les autorités communales et la presse par fax: «Scheld’apen souhaite être un refuge artistique en ville et occupe de la sorte l’espace nécessaire…» Qu’il en soit ainsi. Le tout nouveau siège de l’asbl Scheld’apen («Les singes de l’Escaut» si on traduit littéralement) est né.
À l’époque, il y avait trop peu de bâtiments où l’on pouvait organiser des événements artistiques, constate Robin Hectors, actif dans l’asbl. Le bâtiment a été transformé en un café, une salle de concert et une cuisine. Dans le superbe jardin autour de la maison, des scènes en plein air, des ateliers et des espaces de répétition ont été installés.
Le changement est radical. La petite maison au milieu des orties en périphérie a laissé place à un entrepôt de quatre étages dans le centre-ville.
La même année, il a été convenu que l’asbl Scheld’apen mette en place une maison de jeunes et de plus en plus de projets sont venus s’y greffer: skate park, concerts, théâtre, cuisine populaire, etc.
«Je suis directement tombé amoureux de cet endroit magique, se souvient Robin. En 2009, je faisais partie d’un groupe de musique et nous avons pu faire un concert au Scheld’apen. Je suis directement allé demander au bar si je pouvais aider en tant que volontaire. Quatre ans plus tard, j’ai commencé à y travailler comme employé.»
Du bois au «Bos»
En 2012, les autorités communales ont décidé d’aménager la zone autour de Scheld’apen pour y construire un terrain industriel. « Les autorités communales ne voulaient pas que nous disparaissions, car de plus en plus d’activités y étaient organisées. Nous avons fait part de nos demandes et la Ville d’Anvers nous a octroyé la concession d’un bâtiment qui servait jadis d’entrepôt pour les services à la jeunesse dans le nord d’Anvers », témoigne Robin.
Les membres de Scheld’apen ont pu participer au dessin des plans du bâtiment. En 2013, Scheld’apen était déjà fermé, mais des événements comme des pièces de théâtre, des marchés et des concerts… ont été organisés dans toute la ville sur le chemin vers le nouveau lieu. En attendant l’inauguration le 2 mai 2014. Et le changement est radical. La petite maison au milieu des orties en périphérie a laissé place à un entrepôt de quatre étages dans le centre-ville. On trouve une salle de concert, un atelier, un bar, un espace d’exposition, un jardin…
«Il est très important de rester ‘récalcitrant’.» Pascal Gielen, sociologue et actif au Bos
« Maintenant, on se rend vraiment compte que ça se concrétise. Tout ce qui fermente, vit et grandit depuis des années peut avoir un endroit. Le moment est venu de les faire perpétuer », avait écrit Benjamin Verdonck, actif depuis les débuts de Scheld’apen, dans le journal De Vooravond spécialement publié à l’occasion de l’inauguration.
Il a fallu trouver un nom. Robin se rappelle: « Nous y avons réfléchi pendant un an et demi. Chaque mois, nous organisions un brainstorming. On ne sait finalement plus qui exactement a trouvé ‘Het Bos’ (‘le bois’ en néerlandais). C’était mentionné dans un e-mail et le nom est resté. Les métaphores sont sans fin: nous venons du bois et nous avons déménagé dans le centre. Un bois est constitué de nombreux arbres, de nombreuses branches, comme le nombre d’approches et de projets que nous avons… Et puis, ça sonne tout simplement bien! »
Lieu différent, même esprit
Même si son nom est « Het Bos », le logo du projet représente une montagne. Une contradiction qui est à l’image du mode de pensée anarchiste. Comme c’était déjà le cas au Scheld’apen, il n’y a pas de modus operandi bien établi et les dissensions restent le fil conducteur à Het Bos. Pascal Gielen, sociologue également actif au Bos, explique: « Il est nécessaire d’avoir des espaces où des personnes qui ne se connaissent pas ou qui ne peuvent peut-être pas se supporter puissent se rencontrer. Il est très important de rester ‘récalcitrant’. »
C’est la raison pour laquelle, en l’espace d’une journée, on peut retrouver une expo d’art très abstrait, des plats concoctés par des réfugiés, une rencontre de développeurs d’indie games et un concert de black metal! « Nous essayons d’être une maison en ville ouverte à tous, qui rassemble des personnes de tous les horizons », commente Robin.
« Nos valeurs se retrouvent dans notre manière de travailler et dans les activités que nous organisons. Pas besoin de communiqué de presse pour en parler» , ajoute-t-il.
Les huit employés à temps partiel de Het Bos travaillent d’arrache-pied pour organiser d’innombrables activités. Chaque jeudi, vendredi et dimanche, on peut y manger à des prix démocratiques. Le principe est simple: végétarien, le plus de produits bio et locaux possible. En tout, une dizaine de cuistots s’alternent derrière les fourneaux. Chaque mois, des réfugiés du centre d’asile de Linkeroever viennent faire découvrir leurs spécialités, tandis que les membres du collectif De Beek cueillent les fruits/légumes eux-mêmes avant de les cuisiner.
« L’ironie des subsides, c’est que nous sommes dépendants de l’argent», Robin, Het Bos
Au-dessus de la cuisine, on retrouve l’atelier artistique où les jeunes peuvent laisser libre cours à leur imagination notamment dans le cadre des Boslabs. Het Bos collabore par exemple avec des écoles OKAN (spécialement conçues pour les nouveaux arrivants). « Nous remarquons qu’en travaillant de manière intensive avec des jeunes du monde entier, nous atteignons non seulement de nouveaux publics, mais nous découvrons également de nouveaux langages visuels, techniques et arts culinaires non occidentaux », se réjouit Karen Cosemans, coordinatrice des Boslabs.
Sans oublier le Bosbar géré par l’asbl De Imagerie qui propose de la soupe et du café à prix libre. Les revenus générés par la vente des boissons permettent de mettre sur pied des projets audiovisuels. Toutes ces activités se réalisent en grande partie grâce au travail de bénévoles et aux subventions de la ville d’Anvers et de la Flandre. Robin réagit, perplexe: « L’ironie des subsides, c’est que nous sommes dépendants de l’argent, mais ça veut dire que nous pouvons organiser ton programme de manière indépendante, ce qui nous permet d’inviter des artistes à venir jouer même s’il n’y a que 30 spectateurs. »
Depuis son installation dans les nouveaux locaux, Het Bos ne cesse de se développer grâce à de plus en plus de partenariats. Robin conclut: « Ce qui est chouette au Bos, c’est que toutes les branches s’entremêlent. Parfois, ce sont les arbres qui cachent la forêt. Mais, à partir du chaos, il y a toujours quelque chose de beau qui pousse… »
En savoir plus
Alter Echos (site), «Squat: l’offensive venue de Flandre», Amélie Mouton, 10 juin 2015