Être senior et homosexuel, une réalité encore passée sous silence. Notamment dans les maisons de repos.
La question de l’accueil des aînés LGBT dans les maisons de repos reste taboue en Belgique, comme dans le reste de l’Europe où les établissements «gay-friendly» se font encore discrets. Pourtant, en 2012, une étude de la Hogeschool Gent (435 personnes de 18 à 81 ans) révélait que 58% des homosexuels belges interrogés étaient en faveur de ce type particulier de maisons de repos. En Flandre, une maison de repos gay-friendly était d’ailleurs en projet à Schoten, près d’Anvers. Mais le prix du séjour, atteignant les 33.000 euros annuels – soit le double d’un séjour habituel –, a eu raison de son ambition. Faute de candidats, l’établissement s’est depuis largement ouvert aux hétérosexuels. «Les initiateurs de tels projets y voient une manne financière intéressante, en présupposant que le public LGBT a des moyens pour s’offrir à des prix élevés ce type de services, estime Marine de Tillesse, animatrice au sein de l’asbl Tels Quels. Il y a sans doute aussi un désir de la part des seniors homosexuels de ne pas se retrouver ghettoïsés dans un établissement qui développerait un sentiment communautaire, voire communautariste, comme c’est le cas dans des maisons de repos de ce genre aux États-Unis.»
«Comme s’ils n’avaient jamais existé…»
L’association défendant les droits des homosexuels a monté un projet pilote avec cinq maisons de repos de la région montoise pour sensibiliser direction, personnel soignant et résidents à cette réalité.
«Quelques aménagements ont été faits, au niveau des questionnaires d’inscription, du règlement d’ordre intérieur ou à travers la mise en place d’une love room, de façon à être plus inclusifs pour ce public, mais aussi autour de la sexualité et de l’intimité des seniors en général. Les maisons de repos se posent de plus en plus de questions entre ce qu’elles offrent comme services et les réalités de leur public, explique Marine de Tillesse. Face à ces initiatives, les résidents des maisons de repos sont relativement ouverts, curieux aussi. Seules quelques personnes ont été plus réticentes, mais pas homophobes.»
«Pour beaucoup, aller en maison de repos, c’est retourner dans le placard.», Marine de Tillesse, animatrice au sein de l’asbl Tels Quels
Cependant, Marine de Tillesse parle bien d’une chape de plomb sur le sujet. «En Belgique, on est vraiment en retard. On s’est posé la question trop tard et on a oublié une partie de la population, à savoir les seniors LGBT, comme s’ils n’avaient jamais existé, comme s’ils étaient invisibles et qu’ils le restaient. Pour beaucoup, aller en maison de repos, c’est retourner dans le placard.»
L’entrée en maison de repos est en effet très mal vécue pour une majorité d’entre eux: les homosexuels ont le choix entre afficher leurs préférences et risquer la méfiance, voire l’hostilité des résidents et du personnel médical, ou se taire. «Au sein de notre cercle d’aînés, certains participants craignent leur entrée en maison de repos. Ils font d’ailleurs tout pour retarder ce moment. Certains ont peur de la discrimination liée à leur vie sexuelle. Une maison de repos est un lieu institutionnalisé. Ils ont vécu avec le fait que les institutions, d’une manière générale, ne pouvaient pas accepter leur sexualité. Ils se retrouvent de nouveau dans ce carcan», poursuit Marine de Tillesse. Se pose aussi la question des soins: les aides-soignants ne se sont pas assez, voire pas du tout sensibilisés aux publics LGBT, situation qui isole d’autant plus ces personnes âgées. «Il manque une formation, ou à tout le moins un travail de sensibilisation. On a déjà mené dans des écoles d’aides-soignants un travail en matière de prévention liée à la sexualité, pas seulement LGBT. Mais comme en maison de repos, on part du principe qu’il n’y a pas de sexualité, tout cela est mis de côté, y compris dans la formation du personnel…», pointe l’animatrice de Tels Quels.
Pas de demande particulière?
À Bruxelles, la secrétaire d’État en charge de l’Égalité des chances, Bianca Debaets, avait pourtant lancé l’idée en 2016 d’instaurer un label ou une charte «homosexuels bienvenus» dans les maisons de repos. «Malheureusement, nous n’avons pas rencontré énormément d’enthousiasme de la part de celles-ci qui invoquent quasiment toutes le fait qu’elles n’enregistrent pas de demande particulière à ce niveau», explique-t-elle. La volonté était pourtant de sensibiliser personnel et résidents pour casser les préjugés. «Je considère que c’est plus indispensable que jamais car… interrogez des responsables de maisons de repos, ils vous diront tous: «On n’a pas de problème, ce n’est pas nécessaire, tout le monde est le bienvenu.» Mais si vous leur demandez combien de pensionnaires homosexuels ils accueillent, ils risquent de vous dire qu’ils n’en ont pas. Et c’est justement cela, le souci. Il est impossible qu’il y ait un grand nombre d’homosexuels en ville et puis qu’ils disparaissent subitement une fois qu’ils vieillissent. Il semble que beaucoup vivent cachés, retournent dans le placard qu’ils avaient quitté il y a très longtemps. Cela doit être très difficile à vivre», indique Bianca Debaets, qui souhaite poursuivre la démarche de labellisation des maisons de repos pour plus de diversité et de tolérance. L’idée ne serait plus un label «gay-friendly» en tant que tel, mais bien plutôt d’un label «diversité».
Trois questions à Chris Paulis, anthropologue de la sexualité à l’ULiège
Alter Échos: Alors qu’on pointe la Belgique comme un pays pionnier en matière de défense des droits des homosexuels, comment expliquez-vous que la sexualité des seniors LGBT soit aussi taboue?
Chris Paulis: On leur donne des droits, là on considère qu’ils en ont besoin. Or, au sujet de la sexualité des personnes âgées LGBT, on en est seulement à se demander s’ils y ont droit ou pas, en partant du principe qu’ils n’y avaient plus droit. Dans les maisons de repos, tout est fait pour que les individus n’aient plus de sexualité parce qu’ils deviennent des «choses» de l’institution. La sexualité est une chose qui dérange, qu’on ne veut pas voir, qui vient perturber le bon ordre d’une institution. On ne pense aux nécessités du bien-être des personnes ni à leur droit d’avoir une sexualité. Comme tout a été pensé de la sorte, il n’y a pas de place pour l’homosexualité, tout simplement parce qu’on considère cela comme un problème secondaire.
«Le choix se fera d’abord et avant tout négativement: je ne veux pas de ces gens-là, donc je vais choisir une autre maison.»
Alter Échos: Que pensez-vous de la labellisation d’établissements en faveur du public homosexuel?
Chris Paulis: En mettant un label, on offre effectivement un choix, mais cela offre surtout une forme de sélection sociale, pour ceux qui ne voudraient aller pas dans ce type d’établissement. Le choix ne va pas se faire positivement: je suis homo, donc je vais dans une maison de repos labellisée. Le choix se fera d’abord et avant tout négativement: je ne veux pas de ces gens-là, donc je vais choisir une autre maison.
Alter Échos: La majorité des maisons de repos sont-elles mal à l’aise par rapport à cette question?
Chris Paulis: L’homosexualité y est redoutée. On voit bien la transposition des craintes, des peurs, de l’ignorance sur l’homosexualité prendre des proportions plus grandes une fois que la personne est âgée et en institution. On considère qu’il ne faut pas en parler parce que cela risque de choquer les autres. On empêche d’en parler aussi parce que le personnel ne sait pas comment gérer cela, généralement mal à l’aise par rapport à la sexualité et encore plus à l’homosexualité. Comme si elle était anormale, comme si elle restait une déviance… Dans la vie quotidienne, hors institution, les personnes sont déjà mal à l’aise avec l’homosexualité, raison de plus que le malaise soit plus fort en institution. L’homosexualité est dans ce cadre mise au placard parce qu’elle retrouve un côté négatif.
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Alter Échos n°354, «Changer le regard sur l’homosexualité», Cédric Vallet, 15 février 2013.