La référente sociale engagée par la SNCB pour améliorer la prise en charge des sans-abri dans les gares bruxelloises a rendu son tablier. Elle accuse son ancien employeur de manquer d’ambitions sociales
Après le « green washing », anglicisme désignant le fait pour une entreprise de s’acheter une image verte à bon compte, la SNCB a-t-elle inventé le « social washing », pratique qui consisterait à montrer que l’on se préoccupe des sans-abri sans vouloir trop en faire ? C’est en tout cas ce que laisse entendre Silvia Bochkoltz. Assistante sociale de formation, elle a été engagée à la fin 2010 par les chemins de fer belges dans le cadre de Hope in Stations, une expérimentation sociale financée par la Commission européenne. Avec pour double objectif d’améliorer la prise en charge des sans-abri et la coexistence des différents publics qui fréquentent la gare de Bruxelles-Central : sans-abri, navetteurs, agents de sécurité, commerçants, travailleurs sociaux, etc.
Le projet-pilote arrivé à terme, la SNCB a décidé de poursuivre l’aventure sur ses fonds propres. Satisfaite du travail mené par la référente sociale, l’entreprise a annoncé qu’elle prolongerait l’expérience dans les quinze gares du pays1 confrontées à cette problématique dans le courant de l’année 2013 et a proposé à la référente de coordonner le projet à Bruxelles-Nord et Midi. Malgré ce plébiscite, celle-ci a préféré donner sa démission. « La SNCB s’est engagée dans Hope in Stations. Comme entreprise aujourd’hui, il convient d’avoir une politique de responsabilité sociétale. Mais dans le fond, la question des sans-abri ne les intéresse pas vraiment », accuse l’ex-employée.
Des projets refusés à la louche
Pour les sans-abri, la gare est un endroit stratégique pour se réchauffer, se rencontrer, faire la manche. La SNCB, quant à elle, doit concilier cette présence avec ses missions de transport et ses ambitions commerciales. La situation que décrit Silvia à son arrivée en poste est pour le moins conflictuelle. « Il y a deux clans : les agents de Securail et les sans-abri. Les agents sont confrontés quotidiennement à des situations de conflit que ce soit avec les sans-abri ou les autres utilisateurs de la gare. Quand il y a un train de retard, c’est sur eux que les navetteurs crient ! Ils n’ont pas d’appui de leur hiérarchie, ne sont pas formés correctement, n’ont pas de mission claire. Leur tenue renvoie une image répressive quand ils doivent faire de la prévention. Ils emmagasinent une frustration énorme. Et le clash avec les sans-abri devient alors inévitable. » A sa décharge, la SNCB a organisé deux formations sur les questions sociales pour ses agents. Et s’est engagée à en organiser d’autres.
Dès son entrée en fonction, la référente a assuré des permanences sur le terrain, devenant une interlocutrice privilégiée pour les différents acteurs. La tension baisse d’un cran. « Mais tout ce que je faisais, c’est du bricolage. Je voulais aller plus loin. Innover. » Et c’est là que ça coince. Tous les projets que la référente propose sont refusés un à un. Les agents de Securail avaient pris l’initiative d’utiliser un local comme consigne, histoire d’améliorer leurs relations avec les sans-abri. Ils demandent à la référente de défendre leur dossier. Résultat : la consigne est fermée ! L’assistante sociale veut organiser une exposition pour faire connaître le travail des acteurs sociaux au grand public ? C’est niet ! Ouvrir des sanitaires à proximité des gares ? Onbespreekbaar. Distribuer le guide des sans-abri ? Organiser des réunions trimestrielles avec les acteurs de la gare ? C’est encore non… Et quand les éducateurs de rue pensent obtenir un local dans l’ancien poste de police à la Gare du Midi, l’encre du brouillon de contrat est à peine sèche qu’un ordre de la hiérarchie vient soudainement mettre fin à l’opération.
« La SNCB ne parle pas d’une seule voix. C’est une hiérarchie complexe, avec des sensibilités différentes. Dire que tout le monde à la SNCB adopte une politique répressive serait faux (…) Le projet a ouvert une porte. Cela a permis aux acteurs de s’ouvrir à d’autres réalités. De créer du lien. Mais c’est un impact qui reste fragile. Ce poste a toute sa raison d’être. Ce qui serait dommage, c’est de garder la fonction, mais qu’elle soit vide de sens », nuance Silvia Bochkoltz.
Le porte-parole de la SNCB, Louis Maraite, rappelle quant à lui que la SNCB-Holding ne désespère pas de la voir revenir sur sa démission. « L’on peut, en interne, tenter d’influer sur les modes de fonctionnement et de pensée, tenter de convaincre, mais l’on doit garder à l’esprit que l’on fait partie d’une structure. Proposer des douches ou organiser la distribution de repas ne sera vraisemblablement jamais inscrit dans les missions de la structure SNCB dont l’objet social est la mobilité des citoyens », réagit-il.
Lancé par la Commission européenne en 2010, Homeless People in European Stations a été évalué après un an de fonctionnement. Trois pays ont participé activement à l’expérience (la Belgique, la France et l’Italie) et quatre autres à titre d’observateurs. « L’évaluation menée par des chercheurs indépendants souligne unanimement le rôle positif joué par le référent social, qui devient un lien entre les acteurs qui gravitent dans et autour de la gare », se félicite Sylvie Lebars, responsable de la cellule Europe à l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA)2, l’association française qui coordonne l’expérience.
En fonction des pays, ces référents arborent des profils différents. Là où la Belgique a misé sur l’embauche d’un travailleur social extérieur à sa structure, la SNCF a choisi d’engager un cheminot pour jouer le rôle d’intermédiaire avec le secteur associatif aux gares de Paris Nord et Est. A Rome, la gare de Termini dispose de son Help-Center, véritable centre d’accueil de première ligne installé au bout d’un quai.
Hope in Stations achevé, plusieurs sociétés ferroviaires ont décidé de continuer sur cette voie. La SNCF a engagé des référents sociaux pour les gares situées au sud de Paris, de Montparnasse et recrutera en juillet pour le terminal de l’aéroport. En Italie, pas moins de douze Help-Centers seront ouverts à terme aux quatre coins du pays. Modèle dont s’inspire le Luxembourg, qui doit en inaugurer deux. Les gares de Madrid et de Varsovie se sont montrées également intéressées, mais la crise économique a freiné le développement de ces projets.
Après Hope in Stations, la Commission européenne a également financé un projet Work in Station qui vise à développer des coopérations économiques et à construire de nouvelles formes d’insertion professionnelle à partir des gares de capitales européennes. Celui-ci devrait bientôt se traduire par des partenariats sur le terrain. « La gare est au cœur de la ville et doit donc contribuer à son amélioration. On espère évoluer vers une appellation « gares solidaires » pour la fin 2014. »
1. Liège, Namur, Verviers, Charleroi, Mons, Tournai, Anvers Central, Bruges, Ostende, Gand-Saint-Pierre, Louvain, Hasselt, Bruxelles-Central, Nord et Midi.
2. Agence nouvelle des solidarités actives :
– adresse : passage du Génie, 1 à F-75012 Paris
– tél. : 01 43 48 65 24
– courriel : contact@solidarites-actives.com
– site : http://www.solidarites-actives.com
Aller plus loin
Alter Echos n° 330 du 22.01.2012 : Errance dans les gares : tous dans un même wagon
Alter Echos n° 306 du 15.12.2010 : Changement de voie pour les sans-abri des gares