Le nouveau paysage hospitalier façon Maggie De Block fait grincer des dents. Côté travailleurs notamment. A l’invitation de la FGTB Bruxelles, différents acteurs passent au crible la réforme de la Ministre de la Santé. Une soirée-débat intitulée : « En route vers un démembrement des hôpitaux ? » De quoi donner le ton.
Depuis 2014, la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique Maggie De Block (Open VLD) planche sur un projet visant à redessiner le paysage hospitalier et à réformer le financement des hôpitaux. L’objectif affiché est d’atteindre une plus grande efficience et une meilleure qualité, en tenant compte de l’évolution des besoins du patient. De fait, les enjeux qui pèsent sur le secteur hospitalier sont aussi colossaux que multiples : vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, évolution des technologies médicales, traitements personnalisés… Tout cela coûte. Et la Ministre n’a de cesse de le marteler : un hôpital sur trois clôture ses comptes dans le rouge et certains services sont sous-exploités. Il faut donc rationaliser.
Pour ce faire, Maggie De Block mise entre autres sur la création de « réseaux cliniques locorégionaux ». A savoir, 25 réseaux (prévus à ce jour : 14 en Flandre, 9 en Wallonie, 2 à Bruxelles) réunissant des hôpitaux en fonction de zones géographiques. Chaque hôpital du royaume devra s’inscrire obligatoirement dans un et un seul réseau. Dans chaque réseau, les tâches et l’offre médicale seront répartis entre les hôpitaux, visant ainsi des économies d’échelle. Autre volet de la réforme, la Ministre entend favoriser l’hospitalisation à domicile (12 projets pilotes viennent d’être avalisés), de façon à sortir des hôpitaux une série de prestations médicales.
Le coût de la réforme
Mercredi 7 mars, soirée-débat « En route vers un démembrement des hôpitaux ? », organisée par la FGTB Bruxelles dans le cadre de la campagne Tam Tam. Ici, la Ministre et sa réforme attisent la perplexité ambiante. « Maggie De Block fragilise notre système de soin de santé, lance en ouverture de débat le secrétaire général de la FGTB Bruxelles, Philippe Van Muylder. Depuis 2014, les budgets ocroyés aux politiques en matière de santé ont diminué de 1 milliard et demi. L’objectif est de rendre le système de santé rentable. Avec cette réforme, les patients sont rendus responsables et la santé est confiée aux lois du marché. Cela aura des répercussions néfastes sur les patients, les travailleurs et les conditions de travail. »
Le secteur est pourtant bien conscient des enjeux qui se dessinent : « Il y a un consensus entre les différents acteurs du système sur les faiblesses du secteur hospitalier aujourd’hui », souligne Jean-Marc Laasman, du service d’études de la mutualité Solidaris. Revenant sur les 25 réseaux proposés par la Ministre, il souligne le risque de « déboucher sur la création de mégastructures hospitalières, avec des implications sur l’accessibilité géographique aux soins » (pour être soigné, le patient devra parfois aller plus loin). Il pointe aussi les coûts : « Il faudrait une stabilité budgétaire pour mettre en œuvre ce genre de réforme et même des moyens supplémentaires pour réaliser les investissements à venir. »
«Avec cette réforme, les patients sont rendus responsables et la santé est confiée aux lois du marché. Cela aura des répercussions néfastes sur les patients, les travailleurs et les conditions de travail. » le secrétaire général de la FGTB Bruxelles, Philippe Van Muylder
Au sujet des alternatives à l’hospitalisation, Eric Buyssens, du bureau d’études de la FGTB Bruxelles, évoque le report de la charge sur d’autres acteurs. « Evidemment, le passage par l’hôpital doit être le plus court et le plus efficace possible, mais qu’en est-il des capacités financières et organisationnelles des patients et des familles pour assurer cette prise en charge ? » Selon Naïma Amakran, du SETCa Bruxelles : « Aujourd’hui déjà, les patients se retrouvent en charge trop tôt. C’est envisageable en cas d’encadrement efficace au domicile. Mais le contexte actuel n’est pas celui-là. La Ministre s’inspire de modèles développés dans d’autres pays, où des structures convenables sont en place. »
A flux tendu
Manque criant de personnel soignant, dévalorisation du métier, sauts d’index pour les prestataires de soin, flexibilité requise, travail à flux tendu, maladies et burn-out des travailleurs… Les conditions de travail s’immiscent inévitablement dans le débat. « Derrière la rationalisation souhaitée par la Ministre, il y a la vraie vie dans les institutions, souligne Naïma Amakran. Les travailleurs n’ont plus le temps de parler à leurs patients, qui eux aussi souffrent de ce manque de dialogue. »
Tels qu’imaginés par Maggie De Block, les réseaux réuniront des hôpitaux aux profils variés : privés, publics, confessionnels, non confessionnels, universitaires, généraux… Chaque réseau prendra des décisions contraignantes pour « ses » hôpitaux. Dès lors, Carine Rosteleur, de la CGSP Bruxelles, interroge : « Comment les financements seront-ils attribués ? Qui sera l’employeur ? Quel sera le statut juridique de ces réseaux ? Nous n’obtenons aucune réponse. Nos questions viendraient « trop tôt »… Mais quand et où pourrons-nous les poser ?» Des réseaux au statut d’asbl, voire de sprl, marqueraient la fin du service public, s’indignent encore les acteurs réunis autour de la table.
« Derrière la rationalisation souhaitée par la Ministre, il y a la vraie vie dans les institutions. Les travailleurs n’ont plus le temps de parler à leurs patients, qui eux aussi souffrent de ce manque de dialogue. » Naïma Amakran, du SETCa Bruxelles
Venue présenter les actions du Réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale, Julie Maenaut, de l’asbl Plate-forme action santé et solidarité, ose une note d’espoir pour conclure : « Dans d’autres pays, des patients, travailleurs, associations se sont mis ensemble pour faire pression. Et il y a eu des petites victoires… »
Tam Tam
Tam Tam pour se faire entendre, coaliser les intelligences, colporter les indignations. Réunissant des acteurs de la société civile, la campagne Tam Tam souhaite informer, sensibiliser et mobiliser. Pour une prospérité partagée, une santé de qualité pour tous, une justice accessible… Contre les politiques néo-libérales, les mesures d’austérité, les logiques marchandes… Estampillés Tam Tam, plusieurs événements sont organisés d’ici à fin juin 2018, abordant successivement la santé, la justice et le travail. D’autres thèmes suivront. Plus d’infos : www.campagnetamtam.be