Exploiter le sous-sol de Wallonie pour une énergie de transition? À en croire industriels et politiques, oui, car la région ne manque pas de houille pour se lancer dans l’aventure.
«Sous mes pieds, ’y a la terre», chantait Chagrin d’amour en 1981. Mais sous les pieds wallons, il y aurait aussi du gaz de houille (voir encadré). Beaucoup? 150 milliards de mètres cubes1. Bingo? Presque. Seuls entre 13 et 20 milliards seraient exploitables. Si ce réservoir gazier est insuffisant pour faire de la Wallonie un nouvel eldorado énergétique, le gaz de houille couvrirait tout de même nos besoins en gaz belge entre trois et… dix ans2. L’apport rendrait la Belgique moins dépendante des exportations.
Ce potentiel suscite des convoitises. La Compagnie nationale à portefeuille SA («CNP»), société d’investissements contrôlée par Albert Frère, a introduit deux demandes d’exploration-exploitation du gaz: l’une pour un captage sur mine fermée à Péronnes-Anderlues, l’autre ciblée sur les massifs au sud du bassin houiller Quiévrain-Couillet.
Dans le monde du gaz, la CNP a déjà un peu de bonbonne. Elle possède Transcor Astra Group qui a acheté l’entreprise britannique EGL (European Gas Limited) active surtout en France et qui elle-même a racheté l’entreprise publique Gazonor – ex-Charbonnages de France. Via ces matriochkas financières, la CNP exploite déjà plusieurs sites en Lorraine, dans le Jura, au Nord/Pas-de-Calais…
Deux années françaises de gaz
En Belgique, «le projet concernant le captage sur mine fermée à Péronnes-Anderlues est bien avancé, explique Nicolas Ricquart, directeur de Gazonor. Le permis environnement a été délivré en début d’année et celui pour l’exploitation des machines au sol est en cours d’instruction finale. Nous l’espérons d’ici quelques semaines. Deux endroits étaient identifiés sur ce site. Seul le puits n°2 d’Anderlues sera exploité. Celui de Péronnes est abandonné, car la mine est noyée. Le potentiel pour Anderlues est de +/- 1.000 m3 de gaz sur une période de 10 à 15 ans, soit environ deux mégawatts d’électricité puisque le gaz sera transformé in situ en électricité, celle-ci étant injectée dans le réseau wallon».
Il s’agit là d’un petit projet. Du côté bassin Quiévrain-Couillet par contre, les perspectives sont plus alléchantes. «On a évalué le potentiel de ce bassin côté français et il correspond à deux années de consommation de gaz pour la France. On imagine un potentiel similaire côté wallon dont la commercialisation restera à évaluer après les tests. C’est un projet à beaucoup plus long terme. On a déposé une demande de permis d’environnement pour la phase exploratoire qui peut durer des années.»
De la compétence privée, des ressources publiques et à ne pas négliger par ces temps géopolitiques instables, de l’autonomie énergétique renforcée. Que demander de plus? Quelques bémols viennent cependant tacher le tableau idyllique.
L’exploitation du gaz de houille pourrait avoir un impact environnemental non négligeable.
Si le gaz de houille n’est pas le gaz de schiste, son exploitation pourrait malgré tout abîmer les sous-sols de la région.
L’inquiétude est d’autant plus justifiée que Gazonor a envisagé lors de demandes de renouvellement des concessions de recourir à la technique de la fracturation hydraulique pour exploiter ses concessions dans le nord de la France. Ces documents avaient été produits avant le 13 juillet 2011, date où la France a interdit cette technique. Depuis, le débat3 a été relancé outre-Quiévrain sous la pression des acteurs pétroliers. Selon l’Ufip (Union française des industries pétrolières)4, la fracturation hydraulique devrait être autorisée pour connaître les réserves d’hydrocarbures potentiels. Dans le cas contraire, «nous renonçons à disposer d’un paramètre essentiel pour définir la politique énergétique de notre pays».
Aujourd’hui, et selon Nicolas Ricquart, les questions autour de la fracturation ne concernent pas les exploitations de Gazonor en Belgique: «L’exploitation du site d’Anderlues est sans risques de fuite, le gaz étant tiré via des canalisations existantes et sur de très courtes distances, sans forage. Concernant le bassin Quiévrain-Couillet, «l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique n’a pas de sens dans le bassin wallon qui a une structure géologique très faillée avec de fines couches de roche, à l’inverse des massifs lorrains ou allemands. Cela n’aurait pas de sens au niveau technique, cela coûterait cher et… c’est interdit en France!»
Fracturation obligée?
D’autres voix se montrent moins catégoriques. Un rapport du Bureau de recherches géologiques et minières et de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) en France avance que «la possibilité de développer une exploitation rentable à grande échelle sans recourir à une fracturation préalable du massif rocheux reste à confirmer»5. Le rapport fait la différence subtile en fracturation hydraulique et stimulation, cette dernière utilisant des brèches existantes.
Roland Pellenq, directeur de recherche au CNRS (France), explique la fracture hydraulique: «On injecte 82,5% de masse d’eau sous pression de 250 barres. On y ajoute du sable et du produit chimique. L’eau fracture sur quelques millimètres la roche, et le sable a pour objectif de maintenir la fente ouverte, fente qui se refermerait sous le poids de la roche. Le gaz s’écoule et il remonte via le puits vertical.» Ce type d’extraction pose au moins un (gros) problème: «L’eau remonte entre deux et dix fois plus salée que l’eau de mer et contient des produits toxiques. Elle doit donc être traitée.» Sans oublier la pollution des nappes phréatiques, les fuites de gaz à effets de serre, etc.
Pour le chercheur français, l’exploration de gaz de houille nécessitera une «stimulation» de la roche. Actuellement, il développe au Massachusetts Institute une technique de fracturation au… CO2. «L’avantage du CO2, outre l’absence d’eau polluée, est que le CO2 est ensuite capturé par la roche en ‘remplacement’ du gaz de houille et le gaz carbonique est plus efficace pour extraire les petites molécules de méthane, là où l’eau se montre peu efficace avec un taux de 50% de ‘déchets’.»
Reste qu’au-delà de l’efficacité de l’extraction, ces gaz resteront des hydrocarbures non conventionnels. Moins polluants que le charbon, plus que le biogaz. Avec le gaz de houille, il est alors de bon ton de parler de production de transition, un chemin vers le renouvelable. Un cap à ne pas oublier…
Pollution atmosphérique, des nappes phréatiques, techniques hasardeuses et destructrices, le fracking, ou fracturation hydraulique, a mauvaise presse. Il est utilisé pour le gaz de schiste, qui n’est pas logé à la même enseigne géologique que le gaz de houille. Le gaz de schiste est prisonnier très profondément dans la roche-mère de la Terre. Il ne peut être libéré que par fracturation. Le gaz de houille est contenu plus haut dans la couche terrestre, dans le charbon, poreux, déjà libéré par endroits dans des micropoches. Le gaz de houille est constitué de gaz de mine et de gaz de couche. Le premier, coupable des coups de grisou et hantant les galeries minières désaffectées, peut être pompé. Le deuxième se niche dans les couches de charbon inexploitées avec des concentrations variables d’un point à l’autre. Il peut être récolté par fracturation, mais ce n’est pas systématique.
1. Selon une réponse parlementaire du 5 janvier 2015 du ministre de l’Environnement Carlo di Antonio (cdH). De plus, cinq zones concédées retiennent l’attention dans les bassins du Centre et de Charleroi avec une ressource probable de 10 à 20 millions de m³ par km2. Enfin, des mines fermées entre Binche et Couillet pourraient contenir quelques millions de m³ par an, exploitables en utilisant les anciens équipements des puits.
2. La consommation de gaz wallonne tourne autour de 20.000 GWh par an. Cela équivaut grosso modo à 1,8 milliard de m³ de gaz naturel (pour le méthane pur: 11 kWh PCS/m³). Donc pour un gaz de houille épuré (ne gardant que du méthane pur), le volume sera équivalent.