Face à la décrue des moyens publics accordés au secteur associatif, le financement participatif apparaît-il, aux yeux des associations, comme une solution permettant de dégager de nouveaux moyens financiers? Alter Échos a interrogé la coprésidente d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB), Chloé Deligne, et le secrétaire général de la fédération Inter-Environnement Wallonie (IEW), Christophe Schoune.
IEB et IEW sont deux fédérations d’associations environnementales touchées par les réductions budgétaires. Pour l’année 2015, l’association bruxelloise a vu ses subsides « environnement » diminués de moitié, à savoir près de 80.000 euros, tandis qu’IEW, soumise à une diminution linéaire de 15% de ses moyens, a perdu près de 150.000 euros. Le constat sur le financement participatif est largement partagé par les deux associations mais les réponses divergent.
Chloé Deligne: «N’est-ce pas un bâton pour se faire battre?»
Alter Échos: Dans un communiqué, vous affirmez que, suite à la diminution de vos subsides, les pouvoirs publics vous ont conseillés de vous tourner vers le crowdfunding. Percevez-vous ce financement participatif comme une solution envisageable qui pourrait apporter sa pièce à l’édifice? Ou ce système est-il, selon vous, à proscrire entièrement pour financer des projets d’associations?
Chloé Deligne: Je pense que le financement participatif serait une solution de repli par rapport à ce qui arrive aux associations. N’est-ce pas tendre un bâton pour se faire battre? Je veux dire par là que si une association réussit à financer ses projets via le crowdfunding, les pouvoirs subsidiants diront: «Ah, vous voyez ça fonctionne» et se désengageront d’autant plus facilement. La notion de crowdfunding a été produite dans un contexte anglo-saxon, autrement dit dans des contextes plus néolibéraux que ce qu’on vit ici. Importer un concept comme celui-là et se dire que ça va fonctionner dans n’importe quel contexte… on est assez circonspect par rapport à ça. Le crowdfunding est conçu pour soutenir des initiatives citoyennes ou entrepreneuriales. Il s’agit donc de petites choses qui démarrent, des projets ponctuels. Or, c’est exactement le contraire de ce dont une association comme IEB a besoin. On a besoin de financement pérenne et structurel. Le crowdfunding permet uniquement de rassembler des petites sommes. Et ce dont l’associatif a besoin, ce sont des employés qui travaillent dans la durée. De plus, ça demande beaucoup de temps et d’énergie. Et, c’est du temps de travail qui, du coup, n’est plus investi sur les actions de proximité et de terrain. On n’est donc pas du tout prêt à se lancer dans le crowdfunding car on a l’impression que ça ne répond pas au problème.
A.É.: Envisagez-vous d’autres solutions?
C.D.: On n’est pas opposé à l’idée de don et c’est sans doute vers là qu’on va aller davantage. Mais on préconise des dons structurels, une subvention récurrente, un ordre permanent des citoyens. Actuellement, on revendique un vrai dialogue entre la ministre Céline Fremault et le secteur environnemental associatif. On veut organiser une table ronde afin que la ministre explique les raisons des coupes budgétaires. On a essayé de la contacter à plusieurs reprises mais il n’y a aucune réaction de sa part. On a clairement l’impression qu’il y a un mot d’ordre au sein du cabinet qui est de ne pas répondre.
A.É.: Craignez-vous qu’à terme les pouvoirs subsidiants se désengagent de leur responsabilité financière à l’égard des associations?
C.D.: Il y a clairement un désengagement de la part des pouvoirs publics mais j’ai du mal à imaginer qu’ils puissent se dégager totalement de l’associatif. Le problème, c’est que le politique, en réduisant les budgets, applique bêtement la logique d’économie de moyens. De ce fait, il néglige l’intérêt de l’associatif pour la société et pour le politique lui-même. Car les associations ont un rôle de relais des décisions et d’éducation par rapport aux décisions politiques. Elles ont également un rôle de lien social qui est irremplaçable. En appliquant cette doctrine dominante, ils ne réfléchissent pas aux conséquences de cet acte.
A.É.: Le crowdfunding permet à l’internaute de soutenir un projet pour lequel il porte un réel intérêt. Ne voyez-vous pas là un moyen d’élargir le réseau et la proximité avec les citoyens?
C.D.: Ponctuellement, peut-être. Mais c’est aussi une culture évanescente. Elle peut apparaître un jour et disparaître le lendemain. Une fois que vous avez donné à une association pour un de ses projets, est-ce que vous le ferez une deuxième fois? J’ai l’impression qu’il y a une saturation. Le nombre de donateurs prêts à financer un projet spécifique est peut-être plus large que les donateurs qui soutiennent directement l’association mais, à un moment donné, ils vont s’essouffler. La culture du clic, ce n’est pas une culture de l’engagement.
A.É.: Inter-Environnement Wallonie a récemment lancé un crowdfunding pour financer l’un de ses projets. De plus, IEW réalise un travail de coaching avec les associations qui souhaitent utiliser ce nouvel outil de financement. Comment percevez-vous cette logique?
C.D.: Chacun essaye de mener sa barque à sa manière. Il faut voir ce que ça nous permet de faire par rapport à ce que ça nous empêche de faire. De l’extérieur, mais sans porter de jugement, j’ai l’impression que c’est une position de repli par rapport à quelque chose qu’il faudrait revendiquer davantage. Comme je l’ai déjà évoqué, à partir du moment où IEW récoltera beaucoup d’argent grâce au crowdfunding, le politique aura tendance à se désengager davantage. Même si les deux fédérations sont dans des contextes différents, le contexte général est le même, ce qui veut dire que leur comportement pourrait avoir un impact sur nous aussi. Cela pose donc la question de la solidarité et de l’action commune entre les associations.
Christophe Schoune: «Doit-on assister passivement au fait que les moyens diminuent?»
A.É.: Inter-Environnement Wallonie a récolté 10.000 euros via une plateforme de crowdfunding pour financer un projet qui consiste à améliorer le service ferroviaire. Pour quelles raisons?
Christophe Schoune: On a lancé ce projet pour deux raisons. D’une part, afin de faire face à la diminution de nos moyens publics. On doit effectivement trouver des moyens additionnels et complémentaires pour financer des projets qui sont importants pour nous. D’autre part, le crowdfunding est une manière dynamique et citoyenne de faire vivre une question importante pour tous ceux qui prennent le train au quotidien par rapport à un plan de transport de la SNCB qui n’est pas tout à fait satisfaisant à nos yeux et aux yeux des usagers ferroviaires.
A.É.: Comment considérez-vous le système participatif pour venir en aide aux projets d’associations? Est-ce une bouée de sauvetage ou une réelle opportunité?
C.S.: Il ne s’agit pas d’une bouée de sauvetage car ce n’est clairement pas via le crowdfunding que nous allons parvenir à combler les pertes occasionnées mais c’est un moyen additionnel de financer des microprojets. Pour les petites associations qui n’ont pas toujours les moyens de financer des projets, c’est vraiment intéressant. Mais pour notre fédération, missionnée sur des questions transversales et structurelles et qui doit financer de l’emploi, ce n’est pas suffisant. Cependant, il y a des intérêts indirects non négligeables, qui ne se mesurent pas en termes de retours financiers ou budgétaires. Ça crée de la visibilité car beaucoup de flux sont générés par le crowdfunding. Le système participatif créé aussi du réseau étant donné qu’en apprenant que tel projet existe, les donateurs vont potentiellement se mettre au service de cette organisation. Pour le projet rail qu’on a lancé, sa réussite et sa mise en œuvre dépendaient clairement du crowdfunding. Mais 10.000 euros ce n’est même pas 1% de notre budget global. C’est vrai qu’on n’aurait sans doute pas pu le réaliser comme on l’aurait souhaité sans le crowdfunding mais cela représente un petit montant.
A.É.: Voyez-vous des inconvénients à ce système alternatif de financement?
C.S.: Le temps nécessaire à la récolte d’argent est important. Les porteurs de projet ont dû investir pas mal d’énergie et ont donc été distraits d’autres missions qu’ils avaient en charge. Mais au bout du compte, ça ne coûte pas plus cher car les bénéfices indirects occasionnés sont considérables. Une fois qu’on a bien cadré et formaté son projet, il faut sans arrêt définir sa stratégie pour cibler les donateurs. Il faut aussi les contacter, les relancer régulièrement et utiliser les réseaux sociaux.
A.É.: La Fédération Inter-Environnement Bruxelles émet plusieurs réserves à l’égard du crowdfunding, notamment en raison de l’incapacité de mener des actions pérennes mais aussi de la perte de temps qui, in fine, empêche la connaissance fine des terrains locaux. Que pensez-vous de ce positionnement?
C.S.: Je suis tout à fait d’accord avec le fait que le crowdfunding ne permet pas de venir en aide au financement structurel et chaque organisation doit bien mesurer la valeur ajoutée que peut représenter un outil de financement par rapport à un autre. Mais je pense qu’on est confronté à l’obligation de diversifier nos moyens. Alors, doit-on assister passivement au fait que les moyens diminuent? Je ne pense pas. Les pouvoirs publics doivent maintenir le soutien aux associations environnementales car ça fait partie de leurs missions mais essayons de dégager de nouveaux modèles de financement car les moyens sont de toute façon insuffisants par rapport aux besoins. J’ai tendance à penser qu’il faut être créatif. Nous sommes d’ailleurs en train de réfléchir à la mise en place d’un nouvel outil dans lequel le crowdfunding intervient en partie.
A.É.: Ne craignez-vous pas que les pouvoirs subsidiants se désengagent de leur responsabilité financière vis-à-vis des associations?
Les pouvoirs publics sont déjà en train de se désengager en partie de leurs responsabilités en diminuant des moyens historiques, comme ceux d’IEW. Mais tout le monde est logé à la même enseigne. Le fait d’étendre des politiques d’austérité qui ont pour objectif de viser le retour à l’équilibre des budgets de l’État est pervers car ces soutiens ont des effets multiplicateurs qui profitent, in fine, à l’État puisque un euro investi dans une association va générer deux ou trois euros. Ces politiques sont donc contre-productives et les avantages procurés par ces politiques d’austérité ne sont visibles qu’à court terme. Les pouvoirs publics ne peuvent pas se départir de la responsabilité qui leur incombe car les associations environnementales ont un rôle et une réelle valeur ajoutée pour la société ainsi que pour l’ensemble des pouvoirs publics.