Plus d’un an après la mort de Joe Van Holsbeeck et la vague médiatique qu’elle a soulevée, Jeunes à perpète1 cherche àprendre le recul nécessaire pour décrire l’évolution de la perception de la jeunesse par la société.
Premier numéro d’une nouvelle collection « Pixels » lancée par Bruylant, le livre de Carla Nagels, criminologue et sociologue, et Andrea Rea, sociologue, àl’Université libre de Bruxelles, a pour but d’expliquer un phénomène qu’on pourrait qualifier d’inquiétant : autrefois qualifiée de «groupe ayant du potentiel dans lequel il faut investir », la jeunesse est aujourd’hui désignée comme un « groupe à problème ».
Par leur étude approfondie, les auteurs tentent une approche sociologique de la jeunesse d’aujourd’hui. Mais de quelle jeunesse parle-t-on ? « Nous sommes partis d’uneconception sociologique de la jeunesse en sortant de la ‘catégorie d’âge’ qui est une conception plus psychologique, voire physiologique », nous explique CarlaNagels. Au centre de la discussion, on retrouve donc le moment crucial de la sortie de la jeunesse. Les auteurs situent cette sortie au moment de l’indépendance financière et dela prise d’autonomie vis-à-vis de la cellule familiale.
Du journal de classe au rapport de classes
D’emblée, ils posent la jeunesse comme un groupe social dans ses rapports avec les autres groupes sociaux et s’intéressent aux institutions dans lesquelles la jeunesseévolue : l’école et les institutions de protection de la jeunesse. Dans un second temps, ils distinguent l’existence des différences de classes dans ce groupe socialen rappelant justement Bourdieu : « La jeunesse n’est qu’un mot. »
Une large part du livre s’intéresse au discours politique autour de la jeunesse. « Cette partie est issue de ma thèse de doctorat. À travers l’étudedes travaux parlementaires entre le début des années ’80 et la fin des années ’90 – plus de 10 000 pages ! – on constate une évolution qu’on peutconsidérer comme un changement de statut. Parler de la jeunesse dans le discours politique revient à parler d’un groupe à problème. »
À cette évolution, on peut en coller une autre. De discours opposant des conceptions très différentes en matière de classes sociales, on en est venu à desdébats en continuum. « Le débat se forme autour de binômes comme intégration et exclusion, droits et devoirs ou encore prévention et répression.Les deux aspects se retrouvent avec des nuances variées dans le discours politique. L’apparition d’Ecolo, qui sort du débat classique entre classes sociales, participeà la création de pensée en continuum », soutient Carla Nagels.
Le nouveau contrat social-sécuritaire
L’étude met l’emploi au centre de cette évolution, une approche typiquement sociologique, à laquelle on pourrait reprocher de tenir insuffisamment compte del’évolution du statut de la famille ou de l’environnement culturel. « D’autres éléments ont joué un rôle, dont l’arrivée massivedes femmes sur le marché du travail », répond la criminologue.
Autre concept abordé : l’émergence d’un nouveau contrat social-sécuritaire. « Notre société reste empreinte d’État social, mais ily a une redirection vers le sécuritaire. Nous avons repris l’expression d’un livre sur les contrats de sécurité2. » Illustration : des portefeuillescomme l’Intérieur et la Justice étaient autrefois beaucoup moins recherchés. Il est vrai que l’importance énorme que le débat sur les questions depolice et de justice a acquis donne aux personnalités politiques qui exercent ces fonctions une visibilité maximale.
Les politiques publiques liées à ces matières sont plutôt vilipendées. « Elles se résument dans les faits à des ‘fabriques del’immobilité’ », peut-on lire en conclusion du livre. « Faire miroiter à la population qu’on peut régler ces problèmes grâce àdes emplâtres comme les contrats de sécurité est un leurre. Ces problèmes ne peuvent être résolus qu’au niveau macrosocial », conclut Carla Nagels.Un beau défi pour réenchanter une génération.
1. Carla Nagels et Andrea Rea, Jeunes à perpète. Génération à problèmes ou problème de générations ?, Bruxelles, Éd.Academia Bruylant, 2007, 16 euros.
2. Yves Cartuyvels et Philippe Mary (sous la direction de), L’État face à l’insécurité. Dérives politiques des années ’90, Bruxelles,Éd. Labor, 1999.