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Regard critique · Justice sociale

Il venait d'avoir dix-huit ans, c'était déjà un sans-abri

Avoir dix-huit ans : un passage difficile pour des jeunes qui sortent de l’Aide à la jeunesse. Une meilleure collaboration avec les CPAS pourrait aider à la transition.

25-06-2011 Alter Échos n° 318

Le passage à la majorité pour les jeunes suivis par l’Aide à la jeunesse est souvent semé d’embûches. L’Aide à la jeunesse et les CPAS discutent entreautres de ce thème dans le cadre d’un groupe de travail pour la rédaction d’un protocole de collaboration. Les enjeux sont importants : certains de ces jeunes passent directementde l’Aide à la jeunesse à la case sans-abri.

Avoir dix-huit ans est souvent synonyme de fête. C’est la liberté, après tout ! C’est l’âge où l’on décide pour soi, où l’on peut enfin faire ce quel’on veut, où l’on veut tout expérimenter. Mais pour certains jeunes, avoir dix-huit ans, c’est plutôt se retrouver au bord d’un gouffre. Lorsque la vie aprématurément été émaillée d’incidents, de ruptures et que l’Aide à la jeunesse a dû intervenir, le passage à la majorité est plusque délicat.

On se retrouve seul, très seul, sans vraiment savoir à qui s’adresser. Et pour certains, « c’est le début de l’appauvrissement », comme le signale Marilènede Mol, du Service de lutte contre la pauvreté du Centre pour l’égalité des chances1. Elle coordonne une étude (voir encadré) et, selon elle, « lesconstats sont déjà connus et pourtant rien ne bouge ». Elle énumère quelques éléments de réflexion : « Pour ces jeunes suivis parl’Aide à la jeunesse, et plus spécifiquement en institutions, il faut éviter que le lien familial se brise, car c’est leur isolement au sortir d’une institution qui poseproblème. A dix-huit ans, ils ne sont pas forcément préparés à l’autonomie. Après avoir été suivis pendant des années en institution,beaucoup en ont marre, ils veulent se sentir libres et refusent de demander une aide sociale ou de prolonger l’accompagnement de l’Aide à la jeunesse, qui est possible dans certains casjusqu’à vingt ans. Ils s’enfoncent dans la pauvreté. Même pour ceux qui en font la demande, cela prend plusieurs semaines durant lesquelles ils sont livrés àeux-mêmes. »

Sortir d’une institution ou d’un encadrement quelconque pour se retrouver seul pose de nombreux problèmes. Comment gérer un budget, trouver un logement et le conserver, payer unegarantie locative, ne pas s’endetter lorsqu’on est mal préparé et sans aide ? Si le jeune adulte décide de s’attaquer à tous ces défis de front, poursuivra-t-il unescolarité ? Une formation ? Evidemment non. « Ce sont souvent les études qui passent à la trappe », confirme Marilène De Mol. Chez Abaka2, un centrede crise et d’accompagnement pour les adolescents, on dresse le même constat. Jacqueline Maun, la directrice, parle de deux cas typiques. « Soit les jeunes sont depuis longtemps dans lescircuits de l’Aide à la jeunesse et ils veulent en sortir au plus vite. Soit ils y sont depuis peu et on leur propose une mise en autonomie qu’ils n’ont pas choisie. » Toutes deuxregrettent que l’on demande beaucoup plus à ces jeunes adultes au passé très difficile qu’à des jeunes plus stables. « On ne leur donne pas la possibilité defaire des erreurs », estime Jacqueline Maun.

Il y a plus d’un an, Alter Echos annonçait l’entame de discussions relatives à la création d’un protocole de collaboration entre les CPAS et l’Aideà la jeunesse.
Que s’est-il passé depuis lors ?

Un groupe de travail a été mis en place et se réunit régulièrement en séance plénière. Il est composé de représentants destrois ministres concernés : Eliane Tillieux (PS), ministre wallonne de la Santé, de l’action sociale et de l’égalité des chances, Evelyne Huytebroeck (Ecolo),ministre de l’Aide à la jeunesse en Communauté française et Paul Furlan (PS), ministre des Pouvoirs locaux et de la Ville. L’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et del’Aide à la jeunesse participe aux réunions. L’Union des villes et communes de Wallonie est représentée tout comme l’Association de la ville et des communes de larégion bruxelloise. Des présidents de CPAS viennent aussi y faire un tour, et l’on y croise bien sûr des conseillers et directeurs de l’Aide à la jeunesse.
Ce petit monde, qui pendant longtemps s’est au mieux ignoré et au pire invectivé, se retrouve de temps à autre, évidemment animé des meilleures intentions. Tous lesacteurs soulignent et insistent sur l’esprit constructif qui prévaut lors de ces discussions.
La séance plénière aurait déjà permis de dégager quelques grands principes de collaboration. Trois groupes de travail ont été mis sur pied, quipermettent d’aborder des thématiques plus ou moins chaudes.

– Groupe de travail « guide de procédure ». Un brouillon de ce guide serait déjà prêt. Il constituerait une pierre angulaire du protocole en listantles acteurs-clés des deux secteurs et en indiquant la marche à suivre en fonction des situations, en précisant les articulations entre secteurs. Qui intervient et pour quoi. Uneannexe au guide traiterait du secret professionnel qui diffère entre ces deux mondes.

– Groupe de travail « mise en autonomie, mineurs étrangers non accompagnés et transition minorité-majorité »

– Groupe de travail « internats et situations d’urgence »

Ces trois groupes se sont déjà réunis plusieurs fois. Ils doivent en théorie remettre des propositions pour l’automne. Ces propositions, dont le guide deprocédure, constitueront l’ossature du protocole-cadre qui pourrait voir le jour à la fin de l’année 2011 ou en 2012.

Améliorer le « passage »

Il y a des jeunes qui ne s’adressent pas au CPAS parce qu’ils ne le veulent pas et d’autres qui s’y adressent et ne comprennent pas grand-chose à ce qu’on leur dit. La plupart n’ont pasété bien préparés à affronter cette vie d’adulte.
Dans ces cas de figure, une meilleure transition entre Aide à la jeunesse et CPAS pourrait améliorer les choses. C’est notamment sur ce thème qu’un groupe de travail planche dansle cadre des discussions sur le protocole de collaboration entre Aide à la jeunesse et CPAS (voir encadré). Tous les acteurs s’accordent à dire qu’il faut améliorer le« passage » entre la minorité et la majorité. Sans déflorer les travaux top-secret du groupe de travail, nous avons pu glaner quelques idées. Marie-ClaireLodefier, de l’Union des villes et communes de Wallonie3, affirme qu’il faut créer un « passage, par exemple en imaginant que les CPAS préparent le terrain deux outrois mois avant avec le service de l’Aide à la jeunesse pour éviter que le jeune n’arrive à dix-huit ans au CPAS, un peu perdu. » Elle tient toutefois à rappelerque l’aide sociale n’est jamais un acquis. Chaque cas est indépendant et à chaque demande, le CPAS évalue les besoins, vérifie si l’on peut
faire appel à lasolidarité familiale, par exemple, plutôt qu’à l’aide sociale. Ceci rendrait difficile, selon elle, le fait d’élaborer des « règles généralescommunes ». En gros, ce n’est pas parce qu’un jeune est suivi par l’Aide à la jeunesse qu’il aura une aide sociale.

Pour Christine Dekoninck, secrétaire de la section CPAS de l’Union de la Ville et des communes de la Région de Bruxelles-capitale4, « il faut avant tout favoriserune meilleure connaissance des interlocuteurs de part et d’autre. Car un jeune pour lequel la transition est mal préparée aura des problèmes pour sa garantie locative, pourl’obtention de son revenu d’intégration sociale, etc. » Au cabinet d’Evelyne Huytebroeck5, on préfère se retrancher derrière les « groupes detravail qui doivent faire des propositions. » On estime aussi « qu’il faudrait préparer les choses en amont, par exemple en désignant une personne de référencequi organiserait cette transition entre minorité et majorité. » Finalement, c’est Jean-Marie Delcommune, conseiller de l’Aide à la jeunesse à Bruxelles6et co-président du groupe de travail sur le protocole de collaboration, qui se fera plus loquace et certainement plus concret. « Le guide de procédure aura un impact clair surcette transition entre minorité et majorité, car la transition amène à parler de la concertation entre les deux secteurs. Peut-être celle-ci devrait-elle êtremise en place de manière obligatoire. On pourrait aussi imaginer qu’il y ait dans chaque CPAS un référent Aide à la jeunesse et inversement. » Pour compléterle tableau, Jean-Marie Delcommune estime qu’il sera nécessaire de travailler davantage à la création de logements pour ces jeunes, « par exemple en collaboration avec dessociétés de logements sociaux ».

Lien entre institutions de l’Aide à la jeunesse et sans-abrisme, un rapport en gestation.

Le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale travaille à l’élaboration d’un rapport sur la transition difficile entreminorité et majorité et plus particulièrement entre jeunes qui sortent d’institution de l’Aide à la jeunesse et sans-abrisme.
Dans leur dernier rapport de 2009 intitulé « Pour une approche cohérente de la lutte contre le sans-abrisme et la pauvreté », le Service avaitrévélé ce lien entre institutions de l’Aide à la jeunesse et sans-abrisme. Cette fois, ils désirent approfondir leur lecture du problème et proposer dessolutions.
Le rapport qui se prépare – et dont la sortie est prévue pour la fin de l’année – sera le fruit d’une intense concertation d’acteurs variés. Des acteurs deterrain issus des secteurs de l’Aide à la jeunesse, de la lutte contre la pauvreté, de la jeunesse, de la santé ou du logement se retrouvent pour élaborer un diagnostic dela situation et proposer des recommandations. « Lors du précédent rapport, nous avons fait un constat. Beaucoup de sans-abri ont un passé institutionnel, notamment en Aideà la jeunesse. Nous avons voulu pousser plus loin la réflexion », dit Marilène De Mol, collaboratrice du service de lutte contre la pauvreté du Centre pourl’égalité des chances.

« Beaucoup se retrouvent dans des circuits de sans-abri »

Selon Jacqueline Maun, « beaucoup de ces jeunes se retrouvent après dix-huit ans dans des circuits de sans-abri ». On lisait par ailleurs en 2009, dans une étude duservice de lutte contre la pauvreté que « de nombreux sans-abri ont été confrontés à des problèmes durant leur jeunesse ».
La mauvaise articulation entre Aide à la jeunesse et CPAS n’explique pas tout, mais elle contribue certainement à cet état de fait : au sortir d’un circuit dans l’Aideà la jeunesse, et plus spécifiquement au sortir d’institution, des jeunes se retrouvent sans-abri, même si on ne sait pas dans quelles proportions. Pour Marilène de Mol,pour que le pont minorité-majorité soit mieux franchi, « il faudrait une aide adaptée et centrée sur le jeune et sa réalité et non l’inverse ».On imagine donc un accompagnement stable, pas forcément bouleversé à dix-huit ans. Du côté d’Abaka on envisage même de créer un projet-pilote, enpartenariat avec SOS-jeunes, visant à créer un trajet d’accompagnement pour les douze-vingt-cinq ans. « Mais pour ce faire, dit Jacqueline Maun, il faut que toutes lescompétences se mettent ensemble, il faut un réseau qui intègre les secteurs du logement, de l’accompagnement psychosocial et bien d’autres. Un accord entre CPAS et Aide àla jeunesse, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. »

Mises en autonomie : vers quelles solutions ?

La mise en autonomie est aussi un sujet de discussion au sein du groupe de travail Aide à la jeunesse/CPAS. C’est un secret de polichinelle, l’autonomie des mineurs entre seize et dix-huitans pose problème. « L’allocation de la Communauté française que reçoivent ces jeunes est insuffisante », avoue sans fard le cabinet de la ministre de l’Aideà la jeunesse [NDLR ces jeunes touchent environ 650 euros par mois, soit 100 de moins que le revenu d’intégration sociale].
Pour un mineur, l’obtention d’une aide pour l’avancement d’une garantie locative est un combat de chaque instant, CPAS et Aide à la jeunesse se renvoyant la balle. Le fait même detrouver un logement est difficile.

Pour l’instant – le protocole étant toujours à définir –, il semblerait que le groupe de travail ne s’oriente pas vers une augmentation de la somme reçuepar le jeune, mais plutôt vers une meilleure articulation de l’aide. Entendez par là que des accords devraient être cherchés avec le secteur logement. Logement social ouagences immobilières sociales. L’idée pourrait être de réserver une part du parc locatif à ces jeunes. Ce type d’accord permettrait de diminuer la part du budget dumineur investie dans le loyer.

Enfin, concernant les garanties locatives ou les primes d’installation, une idée jetée dans ce groupe serait de créer un fonds commun Aide à la jeunesse et CPAS.S’agira-t-il de prêts ou de dons ? Cela reste à définir.
Il semblerait néanmoins que ce sujet crée quelques tensions. Les CPAS considérant souvent que la décision d’une mise en autonomie par l’Aide à la jeunesse revientà les placer devant le fait accompli : il faut payer et, lorsqu’il s’agit de mineurs, « c’est sur fonds propres », dit-on à l’Union de la Ville et des communes deBruxelles.

1. Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, :
– adresse : rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. 
: 02 212 31 73
– courriel : luttepauvrete@cntr.be
– site : www.luttepauvrete.be
2. Abaka
– adresse : rue Goffart, 105 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 640 07 11
– courriel : info@abaka.be
– site : www.abaka.irisnet.be
3. Union des villes et communes de Wallonie :
– adresse : rue de l’Etoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– courriel : commune@uvcw.be
– site : www.uvcw.be
4. Union de la Ville et des communes de la Région de Bruxelles-Capitale :
– adresse : rue d’Arlon, 53 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 238 51 40
– courriel : welcome@avcb-vsgb.be
– site : www.avcb-vsgb.be
5. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : place Surlet de Choquier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227 32 11
– site : http://evelyne.huytebroeck.be/
6. Service d’aide à la jeunesse de Bruxelles :
– adresse : rue du Commerce, 68 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 413 39 18
– courriel : saj.bruxelles@cfwb.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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