Charters européens, accords de réadmission des migrants clandestins vers les pays d’origine ou de transit, renforcement de Frontex, l’agence européenne desurveillance aux frontières : en un an, l’UE a considérablement durci le ton contre l’immigration clandestine. Dans le même temps, la Commission européennepeine à susciter une entraide entre pays du Nord et petits pays méditerranéens aux portes de l’Europe, comme Malte, en première ligne face aux boatpeople.
Les drames humains se succèdent en Méditerranée. Telle la récente disparition de neuf personnes parmi des familles afghanes qui tentaient de gagner en barquel’île de Lesbos (à l’est de la mer Égée). Mais face aux tragédies, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE, réunis àBruxelles les 29-30 octobre, ont confirmé leurs options plutôt répressives.
C’était déjà l’orientation prise par le « Pacte européen pour l’immigration et l’asile », sorte de feuille de route politiqueadoptée par l’UE en octobre 2008, sous l’impulsion de la présidence française. Or, toujours à l’initiative de la France, et en dépit desréserves de la Commission, les Vingt-sept vont cette fois-ci beaucoup plus loin. Ils demandent à la Commission d’examiner « la possibilité d’affréterrégulièrement des vols de retour », disent-ils dans des conclusions finales du sommet européen. Ces charters réguliers seraient « financés par Frontex», l’agence européenne basée à Varsovie, qui coordonne les activités nationales de surveillance aux frontières extérieures de l’UE. La Commissiondevra faire des propositions début 2010.
Il faut dire que la France et le Royaume-Uni avaient pris les devants, mi-octobre, en affrétant un vol commun pour renvoyer vers Kaboul des Afghans. L’opération menée dans lanuit du 21 au 22 octobre avait suscité un tollé parmi les partis de gauche et les associations de défense des réfugiés. Toutefois, avait ensuite expliqué laCommission, le fait que l’Afghanistan soit en situation de guerre ne justifie pas l’octroi automatique d’une protection internationale pour ses ressortissants dont « lesdemandes d’asile doivent être étudiées au cas par cas et selon des critères très stricts ». « Nous le referons pour autant que les conditionssoient respectées », a d’ailleurs précisé le ministre français de l’Immigration, Éric Besson, sans plus de détails sur lesopérations à venir.
Depuis, la Commission a posé ses conditions au retour forcé d’Afghans vis-à-vis du droit européen. Trois conditions doivent être remplies : 1. Lesautorités nationales doivent s’assurer au préalable que les migrants concernés ne souhaitent pas demander une protection internationale ; 2. En cas de demande, lesautorités nationales doivent s’assurer qu’elle a fait l’objet d’une instruction rigoureuse aboutissant à son rejet ; 3. Les autorités nationaless’assurent que la vie des migrants irréguliers reconduits n’est pas mise en danger une fois de retour en Afghanistan.
Dans le cas des Afghans réexpédiés par la France, ces conditions ont été respectées, selon les informations dont dispose la Commission. Cettedernière n’a en revanche « aucun détail sur les Afghans renvoyés par la Grande-Bretagne », avait admis un porte-parole.
Bref, l’initiative franco-britannique a ouvert la voie. L’idée a également été introduite par l’Italie. Il y a eu toutefois peu de réactions politiques àune telle éventualité dans la lutte contre l’immigration illégale. Le vice-président du MoDem, le parti centriste français, Jean-Luc Bennahmias a jugécette décision « scandaleuse », dénonçant une « action de lobbying intense menée conjointement par la France et le gouvernement italien de M. SilvioBerlusconi ».
Mais Nicolas Sarkozy veut aller plus loin. Il souhaite que l’UE établisse « des gardes-frontières européens ». Et, plus précisément, quel’Europe crée un « programme Erasmus » pour les gardes-frontières, toujours coordonné par Frontex, « afin de faire émerger progressivement unevéritable communauté professionnelle à l’échelle européenne ».
Coopération avec les pays de transit
Tout ce mécanisme de « retour » des clandestins ne pourra se faire faute d’une coopération accrue de la Libye et de la Turquie, deux pays où transitent laplupart des candidats à l’immigration vers l’Europe. Ce « dialogue » a commencé avec la Turquie. Pas plus tard que les 5-6 novembre, le commissaire JacquesBarrot, chargé de l’Immigration et Tobias Billström, ministre suédois des Migrations et de l’Asile, ont rencontré Besir Atalay, ministre turc del’Intérieur, pour « décider d’un certain nombre d’actions communes ». Turcs et Européens se félicitent notamment de la « reprise desnégociations formelles » sur des accords de réadmission des demandeurs d’asile qui se le sont vu refuser dans l’UE. Mais pour ce faire, les Turcs veulent obtenir del’UE des accords avec le Pakistan et l’Afghanistan pour, ensuite, être en mesure de refouler les immigrants dans leurs pays d’origine.
Les choses sont beaucoup plus compliquées avec la Libye du général Kadhafi. Alors que les États membres poussent pour obtenir des accords avec Tripoli, les associationsde défense des réfugiés s’insurgent et rappellent que la Libye n’est pas signataire de la Convention de Genève de l’ONU de 1951 sur le statut desréfugiés. Le haut-commissaire pour les réfugiés (HCR), António Guterres, a récemment dénoncé une « situation effrayante » dans lescamps de réfugiés libyens. La Commission voudrait que le HCR installe des bureaux sur place, pour que s’organise là-bas l’octroi des demandes d’asile vers lespays européens. Mais le HCR, qui pour l’instant travaille en Libye « sans reconnaissance officielle », assure « ne pas être en mesure d’y offrir uneprotection adéquate aux réfugiés demandeurs d’asile ».
La position du HCR gêne donc l’UE. Car cette dernière veut stopper dès le départ les milliers de demandeurs d’asile originaires des pays de la Corne del’Afrique qui arrivent en Libye, entraînés par des passeurs, dans l’espoir de gagner l’UE via l’Italie ou Malte.
Bref, on l’aura compris, la lutte contre les clandestins se radicalise au niveau européen. L’ONG Migreurop, qui regroupe plusieurs dizaines d’associationseuropéennes et africaines, a d’ailleurs dénoncé « l’
hypocrisie » de l’UE en matière d’immigration. « Plutôt quede tirer les conséquences des nombreux drames qui forment aujourd’hui le quotidien de la migration vers l’Europe, les États européens en tirent profit pour renforcerles contrôles et donc la dangerosité du passage des frontières », a récemment dénoncé Claire Rodier, une des responsables de Migreurop. Depuis 1988,plus de 14 000 personnes seraient mortes en cherchant à rejoindre l’Europe, a indiqué Mme Rodier. Chiffre ne prenant en compte que les victimes recensées par lesmédias. L’ONG a publié, à la mi-octobre, un rapport intitulé « Les frontières assassines de l’Europe »1.
Peu d’enthousiasme sur l’asile
Force est de constater, en revanche, que la plupart des pays européens sont loin d’être enthousiastes à l’idée de prêter main-forte aux petitsétats méditerranéens aux portes de l’UE, qui comme Malte (400 000 habitants) se disent débordés par l’afflux de migrants. Depuis son entrée dansl’UE en mai 2004, l’archipel maltais demande à ses partenaires un « partage du fardeau de l’immigration », autrement dit la « reprise de réfugiés » qui,de toute façon, cherchent à gagner les pays du Nord de l’UE. Or, aujourd’hui, le système européen dit de « Dublin 2 », datant de 2003, impose aupremier pays traversé par le migrant la responsabilité d’instruire sa demande d’asile. Cet été, la Commission a fait des propositions pour susciter plus desolidarité dans l’Union. Objectif : répartir dans l’UE jusqu’à 2000 réfugiés aujourd’hui à Malte. Mais, en dehors de la France, qui a promis derenouveler une opération de juillet dernier au cours de laquelle elle avait repris quelque 90 réfugiés à Malte, seuls cinq ou six pays se sont manifestés.L’Allemagne, notamment, a déjà prévenu qu’elle avait pris sa part en acceptant l’année dernière d’accueillir 2 000 réfugiésirakiens.
Statut des réfugiés
La Commission a fait bien d’autres propositions pour organiser une « Europe commune de l’asile ». En octobre, elle a proposé d’améliorer les conditionsd’accueil des demandeurs d’asile, en limitant à six mois dans toute l’UE l’examen des requêtes, en gommant les différences entre statuts deréfugiés et protection subsidiaire, en introduisant partout des titres de séjour de trois ans, en garantissant un accès à la protection sociale, aux soins desanté et au marché du travail ou, enfin, en reconnaissant les qualifications professionnelles et en protégeant davantage les femmes et les personnes torturées. Sachant queces propositions visent aussi à lutter contre les « abus » et les « demandes répétées ».
Mais le commissaire Barrot s’attend à ce que les États membres fassent de la résistance, vu que « certains mouvements populistes » vont croissant enEurope.
Tous ces éléments se retrouveront, d’une manière négociée, dans le futur Programme de Stockholm attendu pour la fin décembre. Il fournira àl’UE des orientations politiques sur la justice, les libertés et la sécurité pour les cinq prochaines années. Chose sûre : l’Europe ne fait plus figurede terre d’asile. En 2008, l’UE a enregistré quelque 240 000 demandes, soit 20 000 demandeurs par mois. Or, sur 193 690 décisions, pas moins de 141 730 se sontsoldées par un refus, soit 73 % d’entre elles (chiffres Eurostat).
1. www.migreurop.org/IMG/pdf/Rapport-Migreurop-oct2009-def.pdf