Le « papy boom » que connaît aujourd’hui la population belge concerne également la première génération d’immigrés. Une générationlargement arrivée à l’âge de la retraite et qui, contrairement à ce que les principaux intéressés avaient souvent prévu, ne rentrent pas «au pays ». Entre solidarité traditionnelle et désarroi, les enfants de cette première génération sont donc maintenant confrontés au défi duvieillissement de leurs parents. C’est sur ce sujet de plus en plus sensible et urgent que le Centre bruxellois d’acion interculturelle (CBAI)1 a organisé, fin avril 2008, uncolloque intitulé « Du neuf avec du vieux » en collaboration avec la Fondation Jourdan2 et le Centre Atoll d’Etterbeek (Centre d’accueil de jour pourpersonnes âgées)3.
Face à des travailleurs directement concernés par la gestion de l’accompagnement des personnes âgées, et avides de clefs pour aborder cette mission dans lecontexte de plus en plus multiculturel de la population des seniors en Belgique, Sylvie Carbonelle, socio-anthropologue de l’ULB4, s’est plus particulièrementbasée dans ses travaux sur ses contacts avec les professionnels du secteur. Elle explique que l’apparition de ce phénomène relativement nouveau risque de débouchersur une catégorie inédite d’« immigrés âgés » discutable dans la mesure où, malgré les différences culturelles, lessimilarités de vécu ne manquent pas entre personnes âgées issues de l’immigration, aux profils forcément multiples, et leurs équivalents allochtonesbelges.
Les pratiques d’entraide de type informel (réseau familial, communautaire, etc.) sont encore très peu connues et restent largement à investiguer. Sur ce point toutefois,la psychiatre Jamila Si M’Hammed, qui a fondé la clinique de l’Exil au CHU Saint-Pierre à Bruxelles, apporte de nombreux témoignages de terrain. Évoquant cequ’elle qualifie de « vide gériatrique » pour un nombre de plus en plus important de personnes âgées issues de cette première génération, ledocteur Si M’Hammed rappelle que l’on ne se trouve plus désormais dans le cadre d’une immigration prétendument « réversible », tant souhaitépar le politique surtout pendant les années ’80 (primes au retour), même si un certain nombre de ces immigrants avaient acheté ou fait construire une seconde résidence dansleur pays d’origine.
Dans des familles où les enfants remettent l’autorité patriarcale en question et où, malgré les mythes sur la solidarité traditionnelle, les besoins entermes d’accompagnement des personnes âgées ne sont pas planifiés, la gestion de ce genre de situation ne se traite souvent que dans l’urgence. « Dans dessituations graves, par exemple, de maladie d’Alzheimer, la culpabilité des enfants obligés de placer leurs parents est grande », explique Jamila Si M’Hammed, notammentpar rapport aux interdits religieux alimentaires. Les enfants culpabilisent dans ce cas d’être à l’origine de la rupture de l’islam de leurs parents. Dans de nombreuxcas, c’est la fille ainée qui assume tout, au point que les cas de dépression et de surmenage chez ces dernières ne sont pas rares. « Cette situation en particuliercrée des tensions qui peuvent même déboucher sur un éclatement de la cellule familiale », témoigne également un médecin de la Maisonmédicale des Riches Claires à Bruxelles5.
Manque d’informations
« Selon les professionnels du secteur, les multiples démarches administratives à effectuer pour obtenir une protection sociale spécifique, voire l’aidemédicale urgente, constituent autant d’obstacles pour que les familles immigrées confrontées au vieillissement de leurs proches puissent faire valoir leurs droits »,explique Sylvie Carbonelle. Les problèmes de langue sont une difficulté supplémentaire, a ajouté Christine Vu d’Infor-Femmes, notamment dans le cas de la maladied’Alzheimer « où l’on est confronté à des problèmes linguistiques chez le patient qui oublie la langue du pays d’accueil pour ne plus parler que salangue maternelle ». L’existence d’une aide formelle intermédiaire telle que les soins à domicile est relativement peu connue. Il s’agit pourtant d’unesolution beaucoup plus facilement acceptée dans les familles marocaines et turques que la perspective d’un placement dans une maison de repos, très largement rejetée dansces communautés. Se présentent toutefois dans ces cas-là, des difficultés liées au suivi du traitement dès lors que, dans certaines cultures, la maladien’est pas seulement perçue comme un dysfonctionnement technique mais aussi comme un coup du sort.
Tant Sylvie Carbonelle que Jamila Si M’Hammed, ainsi que plusieurs intervenants du secteur confrontés à cette situation, ont déploré le manqued’investissement du politique face à une problématique qui va se poser de façon de plus en plus aiguë.
ENCADRE
Pour en savoir plus :
• Nathalie Perrin, « Les doyens de l’immigration : le troisième âge immigré en Belgique », Les Cahiers Migrations n°39, CBAI-Academia Bruylant, 2008.
• Migrations et vieillissements (synthèse), Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, juillet 2007.
• Service éducation permanente-Question santé asbl, Paroles sur la diversité dans les maisons de repos, 2007.
1. Centre bruxellois d’action interculturelle :
– adresse : av. de Stalingrad, 24 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 289 70 50
– courriel : info@cbai.be
– site : http://www.cbai.be
2. Fondation Jourdan, maison de repos et maison de repos et de soins :
– adresse : av. des Casernes, 29 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 627 21 42.
3. Centre Atoll d’Etterbeek :
– adresse : square Docteur Jean Joly, 2 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 733 15 51.
4. Centre de diffusion de la culture sanitaire et groupe de recherche « Âges, temps de vie, vieillissements » – courriel : scarbonn@ulb.ac.be
5. Maison médicale des Riches Claires :
– adresse : rue des Riches Claires, 41 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 513 59 94