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Incendies et expulsions à Paris : regard en miroir

Fin de l’été, les incendies à Paris ont à nouveau posé les problématiques des logements insalubres et de la crise du logement. En corollaire surgit laquestion des expulsions d’étrangers qui en ont résulté.

13-09-2005 Alter Échos n° 193

Fin de l’été, les incendies à Paris ont à nouveau posé les problématiques des logements insalubres et de la crise du logement. En corollaire surgit laquestion des expulsions d’étrangers qui en ont résulté.

Rétroactes

Au cours des quatre derniers mois, des incendies dans plusieurs immeubles parisiens ont entraîné la mort de 48 personnes, rappelait le journal français Libérationdu 2 septembre. Les mesures d’expulsion qui ont suivi n’ont rien fait pour apaiser les esprits. Au-delà de la problématique des squats, ces incendies sont révélateurs dela crise du logement à Paris. Dans l’édition 2005 de sa brochure « Accès au logement social à Paris : Analyse de la demande de logement social et biland’activité »1, la Ville évalue à 102.000 le nombre de demandes en attente pour l’obtention d’un logement social. Elle qualifie même ce chiffre departiel. En effet, selon ses propres dires, « la demande « potentielle » est illimitée puisque l’inscription comme demandeur est totalement libre et n’est pas soumise àdes critères de ressources. Les Parisiens dont les revenus sont inférieurs aux plafonds sont, à eux seuls, cinq à sept fois plus nombreux que les demandeurs inscrits aufichier ».

Afin d’atteindre le seuil légal de 20 % de logements sociaux, la Ville a décidé de produire depuis 2004 près de 4.000 logements par an, contre 3.500précédemment. Ce choix s’explique par le fait qu’elle concentre 36 % des demandes nationales, contre 18 % de logement sociaux. On est loin de l’image de la ville si souvent citéeen exemple chez nous parce que possédant – proportionnellement – un nombre record de logements sociaux intra-muros. Ils ne suffisent en effet pas à répondre àla demande. C’est donc un marché parallèle qui vient combler la demande (squats, logements privés).

La Wallonie n’est pas mieux lotie

En Belgique, nous ne sommes pas à l’abri de tels drames. L’incendie de l’immeuble de logements sociaux des « Mésanges » en 2003, à Mons, l’a rappelé. Lesrapports de l’Inspection régionale wallonne du logement attestent également des problèmes de sécurité et de salubrité dans les logements privés.Diverses mesures ont été édictées (normes de salubrité, obligation d’installer un détecteur incendie), mais il faut parfois du temps pour lesconcrétiser.

Par ailleurs, les associations qui militent en faveur du droit à un logement décent tirent également des constats alarmistes. En Wallonie, David Praile, de SolidaritéNouvelles2, signale: « Une partie importante du parc privé se trouve dans des conditions exécrables, et c’est là où les gens s’entassent, parce qu’ilsn’ont pas le choix. Cela pose la question des politiques à mener en matière de logement social, mais il y a du retard à rattraper. De plus, des événements commeceux de Paris sont lourds en termes de réactions générées, puisqu’ils ont en outre pour conséquence de criminaliser les victimes. Cela pose la question durelogement. Il ne suffit pas de lutter contre l’insalubrité, il faut proposer autre chose. Or, ici, la seule issue à l’insalubrité, c’est la fermeture du bâtiment. Iln’existe pas de possibilité pour contraindre le propriétaire à mettre son logement à niveau. On arrive à des situations contre-productives. D’où lanécessité de réponses structurelles. »

Dérives policières

La situation est telle qu’elle semble même déboucher sur des abus qui ne sont pas sans rappeler les expulsions à Paris. « Depuis plusieurs mois, raconte David Praile,dans les grandes villes du pays (à Liège et à Charleroi, notamment) des opérations « coup de poing » des forces de l’ordre se multiplient. Elles sontprésentées comme des « actions de lutte contre les marchands de sommeil et l’insalubrité ». En pratique, ces opérations sont menées par les parquets et visent surtoutà mettre le grappin sur des personnes en situation irrégulière ou en demande de régularisation. La question du logement est un pur prétexte : ceux qui ne sont pasexpulsés ou incarcérés en centre fermé sont au mieux orientés « provisoirement » vers des structures d’accueil, des centres ouverts, etc. Au pire, ils sontlâchés dans la nature. »

Dès lors, la question du relogement ne se pose pas. « Quant aux logements prétendument insalubres, poursuit notre interlocuteur, il n’y a pas de réelles mesures prisespour les fermer, pas de réels constats d’insalubrité, etc. Les autorités compétentes en matière d’insalubrité sont à peine concertées etassociées.
La lutte contre l’insalubrité est un alibi de façade pour une politique simplement répressive. Ailleurs, en Flandre surtout, des « enquêtes sociales » sont organiséespour « évaluer la situation de logement ». En fait, il s’agit de visites impromptues dans les quartiers pauvres pour identifier les personnes en séjour irrégulier. » Souscouvert d’un intérêt pour la situation sociale et de logement des personnes précarisées, il semble que ce soit le contrôle social et policier qui guette. «C’est ce genre d’abus qui risquent de s’amplifier en France, abus qui sont déjà bien présents chez nous et qu’il est temps de dénoncer », conclut notreinterlocuteur.

Et à Bruxelles ?

À Bruxelles, l’Inspection régionale du logement sévit contre l’insalubrité, mais veille à assurer le relogement. Cependant, comme le rappelait la ministrebruxelloise en charge du Logement, Françoise Dupuis, le Code bruxellois vise à améliorer la qualité générale des logements, et ne s’attaque passpécifiquement aux marchands de sommeil. Ces derniers seront combattus par la loi relative à la traite des êtres humains.

En ce qui concerne les actions menées dans ce cadre, nous évoquions, dans un précédent numéro, l’arrestation en mai 2003 d’un fonctionnaire européen parla police. Il louait des habitations insalubres à quelque 60 clandestins dans les communes de Bruxelles, Saint-Josse, Schaerbeek et Koekelberg. Les illégaux avaient étérapatriés. Un mois plus tard, des opérations policières menées à Saint-Gilles avaient également débouché sur l’expulsion de plusieurs dizainesde sans-papiers équatoriens.

Où l’on parle de « rafles »…

Ces pratiques interpellent. Dans le bulletin de liaison de Front commun SDF3 d’avril 2005, un article posait ouvertement la question « Lutte contre les marchands de sommeil ourafles camouflées ? » Son auteur citait, pour étayer ses dires, diverses opérations policières : celle de Saint-Gilles, une autre menée à Verviers,plusieurs autres organisées à Liège. A chaque fois, les personnes en séjour illégal ont été expulsées.

Paroles de militants? Pas seulement, le 29 septembre 2003, le RBDH (Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat) avait justement organisé une journéed’étude sur le thème de la lutte contre les logements insalubres à Bruxelles. Dans ses conclusions, le RBDH s’interrogeait aussi sur l’effectivité de la loi de luttecontre les marchands de sommeil. Il observait que « l’expérience montre déjà que les étrangers découverts en situation illégale, loin d’êtrerelogés, font l’objet d’une mesure d’expulsion du pays. Et si cette loi anti-marchands de sommeil devait plutôt s’interpréter alors comme une loi «anti-réfugiés »? La question mérite, à tout le moins, d’être posée4. »

Françoise Noël, directrice du Centre de recherche urbaine à l’ULB, concluait dans ce sens : « Le débat sur les clandestins qui logent dans les villes renvoie audébat du XIXe siècle sur la présence des ouvriers dans les villes. On n’est pas loin du concept de « classe dangereuse ». Les règlements depolice des communes renforcent d’ailleurs ce concept. Il faut être conscient qu’en agissant contre l’insalubrité, on va mettre en danger des populationsdéjà marginalisées. »

1. Ville de Paris – Direction du logement et de l’habitat, boulevard Morland, 17à 75181 Paris Cedex 04
2. Solidarités Nouvelles, rue Léopold, 36A à 6000 Charleroi – tél. : 071 30 36 77 – fax : 071 30 69 50 – courriel : solidarites.charleroi@brutele.be
3. Front SDF, rue d’Aarschot, 56 à 1030 Bruxelles – tél. : 0479 68 60 20.
4. N. Bernard et G. De Pauw (sous la dir.), « La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles », Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 128.

Baudouin Massart

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