La santé d’un individu est liée à sa position socio-économique. Et inversement. Les inégalités sociales de santé sont une réalitébien connue et ont déjà fait l’objet de nombreuses recherches. Elle n’en reste pas moins d’actualité. La Mutualité chrétienne1 a décidé defaire de cette question une de ses priorités. Depuis 2008, son département Recherche et Développement a lancé un vaste travail sur cette problématique.
Qu’on se base sur le niveau de formation, sur les revenus ou sur la catégorie socioprofessionnelle, les données ne manquent pas pour attester de l’existenced’inégalités en matière de santé tant en Belgique qu’en Europe. À titre d’exemples, en Belgique, une personne sans diplôme vit en moyenne 3 à 5 ans demoins qu’une personne diplômée de l’enseignement supérieur de type long. L’espérance de vie en bonne santé varie aussi très fort selon le niveau deformation : une personne non diplômée restera en bonne santé en moyenne 18 à 25 années de moins qu’une personne diplômée de l’enseignementsupérieur. Ces inégalités s’expliquent en partie par des questions d’accessibilité et de disponibilité des soins de santé. Mais ce sont surtout les facteursliés aux conditions de vie (conditions de travail, de logement…) et les facteurs culturels (les comportements et styles de vie) qui sont déterminants.
Pauvreté = moins bonne santé
Depuis 2008, le département Recherche et Développement de la Mutualité chrétienne s’emploie à réaliser un état des lieux sur cetteproblématique. L’intérêt ou la nouveauté des travaux menés réside surtout dans l’utilisation des données mutualistes. « Nous avons 4,5millions d’affiliés, explique Olivier Gillis, ce qui est assez représentatif de la population belge. L’innovation, par rapport à une enquête de santé via unquestionnaire, c’est qu’on ne se base plus sur des déclarations, mais bien sur les prestations de nos membres. » Être admis à l’hôpital, avoir consommétels types de soins ou de médicaments, décéder, être en incapacité de travail… Toute une série de données objectives qui ont été misesen relation avec les données fiscales de l’Institut national de statistiques (INS).
Cette étude a confirmé l’existence d’inégalités prononcées en matière de santé en Belgique. Elle a clairement établi un lien entre le faitd’avoir des revenus peu élevés et la propension à développer certains types de maladies telles que les maladies broncho-pulmonaires et cardio-vasculaires. Le lien entreniveau de revenus et santé mentale (problèmes de dépression, d’anxiété et de sommeil) est aussi préoccupant. Quelques chiffres, éloquents, peuventêtre épinglés à titre illustratif. Ils concernent les personnes issues de la classe de revenus la plus faible, en comparaison avec la classe de revenus la plusélevée :
• le risque de décéder dans l’année est de 45 % supérieur ;
• le risque est plus élevé d’avoir 30 jours d’incapacité de travail (55 %) et de devenir invalide (66 %) ;
• elles ont deux fois plus de chances d’être admises en hôpital psychiatrique ou en service psychiatrique dans un hôpital général ;
• elles ont un risque plus élevé de 64 % de s’être vu facturer un forfait pour soins urgents (2006) ;
• enfin, les mineurs d’âge ont 36 % de propension en moins à bénéficier de soins dentaires préventifs.
Au-delà de ces chiffres qui en disent long, les résultats révèlent surtout des habitudes de vie moins saines en termes d’alimentation, de tabagisme, ainsi que des moinsbonnes conditions de vie matérielle et psycho-sociale.
Mieux tirer parti du tiers payant social
Sur la base de ces constats, la mutualité a lancé des initiatives concrètes avec ses vingt régionales. Objectif : améliorer l’accès aux soins etl’information à destination de ses membres les moins favorisés. Il s’agissait entre autres de mettre l’accent sur une communication adaptée et sur une simplification de certainesprocédures administratives. « Nous nous sommes demandés quels thèmes étaient importants à traiter, explique Olivier Gillis. Les vingt régionalesont chacune choisi un thème et elles se sont réparties autour de quatre projets. Chaque régionale a alors choisi une zone pour tester un projet pilote. » Les projetsont été lancés en septembre-octobre 2008.
Le premier ambitionnait d’améliorer l’accessibilité au tiers payant social. Ce système n’est pas suffisamment pratiqué : il est mal connu des patients, ou ceux-citrouvent trop stigmatisant de le suggérer à leur médecin. Les médecins sont, quant à eux, aussi souvent réticents car ils souhaitent éviter lesembarras administratifs. Ils craignent aussi de ne pas se faire rembourser s’ils soignent sans le savoir des patients qui ne sont pas en règle. « Un travail de communication etd’information a été réalisé pour informer tous les bénéficiaires car les personnes précarisées ont plus de difficultés àdécoder l’information, raconte Olivier Gillis. On a aussi essayé de supprimer les barrières administratives liées aux différents types de prestations : tous lesmédecins de ces zones pilotes ont pu facturer d’une manière unique et rapide toutes les prestations tombant sous le coup du tiers payant. On s’est également engagésà rembourser ces médecins dans un délai maximum d’une semaine. »
Toucher ses membres les moins favorisés
C’est aussi l’accessibilité au statut Omnio (extension de l’intervention majorée Vipo à toutes les personnes en dessous d’un certain revenu) qui a été aucœur des actions de la mutualité : « Ce statut n’est pas automatique, la personne doit en faire la demande et il y a pas mal de documents à remplir. Or sur 800 000bénéficiaires potentiels, seuls 200 000 en bénéficient », souligne Olivier Gillis. La mutualité a notamment fait appel à un médiateur deterrain en matière de précarité pour adapter sa communication au public cible. « Si des résultats positifs ont déjà étéobservés pour le projet tiers payant, les résultats escomptés pour celui-ci n’ont pas été probants, nous avons eu très peu de nouvellesdemandes », poursuit-il.
Deux autres thématiques ont été retenues : d’une part, mettre sur pied des actions de sensibilisation et d’information sur des thématiques liées à lasanté et adaptées aux publics les moins favoris&eacut
e;s. D’autre part, améliorer la gestion des dossiers des personnes « non en règle », notamment enaméliorant les flux de communication entre la mutualité et d’autres acteurs comme les CPAS ou encore l’ONSS : « Les personnes dites « non en règle », environ2 % des affiliés de la MC, présentent un risque de précarité et de frais médicaux élevés relativement important. Il s’agit principalement depersonnes aidées par les CPAS, de travailleurs irréguliers ou à statut précaire ou encore d’indépendants ayant des difficultés à s’acquitter de leurscotisations sociales. »
Une affaire de lutte contre la pauvreté!
Pour élargir son spectre d’action au-delà de ses affiliés, la Mutualité chrétienne a porté les projets de l’accès au tiers payant et du statutOmnio au niveau intermutualiste. Les différentes mutuelles réfléchissent notamment à la possibilité d’automatiser l’obtention du statut Omnio. La Mutualitéchrétienne a aussi proposé une modification de l’arrêté royal qui régit le tiers payant afin d’en simplifier et d’en accélérer la procédure.
Si l’accessibilité et la disponibilité des soins de santé sont essentielles, la problématique des inégalités sociales de santé dépasselargement ces questions. « En effet, commente Olivier Gillis, elle renvoie aux inégalités d’accès au logement, à l’enseignement, aux inégalités enmatière de revenus ou de conditions de vie. » D’où l’intérêt de mettre sur pied des programmes transversaux, avec une approche de mise en réseau desacteurs locaux sur le terrain. « Le travail en réseau est essentiel pour s’attaquer à la problématique des inégalités sociales et lutter contre lapauvreté. C’est ce travail en amont qui pourra avoir un impact sur les inégalités en matière de santé. »
La mutualité s’est ainsi renseignée sur ce qui se fait dans d’autres pays européens. L’Angleterre, les Pays-Bas et la Suède ont par exemple implémenté desprogrammes transversaux, ou autrement dit, des actions globales et coordonnées de lutte contre ces inégalités. Avec des objectifs chiffrés et une implication de tous lesacteurs concernés, « ces quelques expériences européennes, nous amènent à penser que la mise en place d’un tel programme pour la Belgique n’est pasirréaliste, et surtout que les inégalités de santé ne sont pas une fatalité », conclut le département R&D de la mutualité.
1. Mutualité chrétienne :
– adresse : chaussée de Haecht, 579 à 1031 Bruxelles
– tél. : 02 246 41 11
– site : www.mc.be