Entre l’augmentation et la diversification des besoins, et un financement qui ne suit pas, les infirmières à domicile sont mises sous pression. Mariella Van Hagendoren, responsablenursing à la Croix jaune et Blanche1 fait le point avec nous.
AE : Vous travaillez dans les soins à domicile depuis 31 ans, quelles sont les causes de pénibilité dans votre travail et en quoi cela a-t-il évolué aucours des dernières années ?
MV : La première chose, spécifique à Bruxelles, c’est tout ce qui est transport. On a essayé la mobylette, certaines se mettent au vélo… Mais il restequ’il y a de plus en plus de circulation et que c’est de plus en plus difficile de se garer. L’action ParkingPlus marche très peu, cela reste très compliqué. Le centre-ville estle quartier le plus pénible. Les infirmières qui doivent s’y rendre doivent commencer plus tôt. On essaie de trouver des solutions, mais la créativité a seslimites.
Autre évolution, on doit faire face à des pathologies de plus en plus lourdes. C’est dû au vieillissement de la population, au fait que les hôpitaux renvoient les genschez eux plus vite, aux hospitalisations à domicile qui se développent. Mais le financement ne suit pas. Dans certains cas de démence, de patients Alzheimer ou atteints detroubles psychiatriques, il faut parfois se battre pour les convaincre de leur faire une injection. Cela peut prendre une demi-heure, or on est payé pour un acte qui est censé durer dixminutes. On doit aussi réaliser des soins plus techniques et plus complexes, par exemple pour des chimiothérapies ou des soins palliatifs. Or si on prend plus de temps chez l’un, onaura moins de temps chez l’autre. Parfois il faut rajouter un soin sur sa journée pour que la liste des actes réalisés soit « rentable ».
AE : Vous parlez de rentabilité dans votre travail, pouvez-vous nous en dire plus ?
MV : Les soins ne sont pas financés correctement. Nous devons donc faire plus de soins pour que notre travail soit rentable et c’est au détriment de la qualité. Ce n’est pasévident de trouver le bon équilibre entre les deux. C’est presque un combat, pour nos responsables, d’organiser des tournées rentables tout en prévoyant assez de tempspour répondre aux besoins des patients. Il y a des moments où cela fonctionne très bien et d’autres qui sont difficiles, pénibles. Parfois on doit tirer la sonnetted’alarme.
Dans l’avenir, je crois qu’il y aura une séparation entre les actes techniques et spécialisés, qui seront réalisés par les infirmières, et les soinsquotidiens, qui seront pris en charge par les aides familiales. Mais pour l’infirmière qui travaille à domicile depuis trente ans, qui aime bien dorloter son patient, il va y avoir uneperte dans son travail. Car c’est pour le côté humain qu’on fait du domicile.
AE : Comment fonctionne le mode de financement des soins infirmiers à domicile ?
MV : Le coût salarial d’une infirmière est de 35 euros de l’heure. On est payées par l’INAMI à l’acte ou au forfait, en fonction du degré de dépendancedu patient. Pour chaque type d’acte, un code et un prix. Pour une personne très dépendante, il y a un forfait journalier. Dans le cas d’une personne peu dépendante mais qui abesoin d’un grand nombre de soins, il y a aussi un plafond journalier. Dans certains cas, une infirmière coûte davantage que ce que les soins ne rapportent.
Par ailleurs, tout ce qui n’est pas actes médicaux, comme les temps de trajet, le travail administratif, ne sont pas pris en compte, ils sont compris dans le soin. A tout cela s’ajoute lahausse du prix des carburants qui a explosé ces dernières années.
AE : Vous avez réalisé le 16 octobre dernier une action devant le SPF Santé publique, quelles étaient vos revendications ?
L’objectif était de sensibiliser au sous-financement des soins à domicile, notre métier doit être revalorisé. Nous voulons au moins une indexation des prestations etune vérification des montants INAMI. Nous étions plus ou moins 200 infirmières ce mardi sur la place Horta. Une délégation a été reçue par laministre Onkelinx. Elle s’est dite très sensible à nos problèmes. Mais il n’y a eu aucune promesse de financement.
Depuis plus de trente ans, les centres de coordinations de soins et d’aide à domicile permettent aux personnes en perte d’autonomie de rester chez elles, en coordonnant les différentsprestataires d’aide et de soins. Les centres sont aujourd’hui confrontés à un réaménagement du métier de coordination, à travers la refonte du décretrégissant leur agrément2. La grande nouveauté, c’est que le texte précise le rôle et les pratiques des coordinatrices. Chaque étape de travail estbalisée. La plupart s’accordent à dire que ces changements vont dans le sens de plus de professionnalisation. « Avec cette nouvelle description de la fonction, laqualité va suivre, explique Michèle Pieterbourg, présidente du CA de la fédération ACCOORD3. Nous espérons pouvoir revaloriser ce métier.On s’est aussi rendu compte de l’intérêt de développer davantage le réseau pour faire face aux demandes croissantes et au manque de prestataires. »
Mais les modifications induisent un nouveau mode de subsidiation. Et c’est bien là que le bât blesse.
Exit les subsides forfaitaires. Un système par points a été imaginé afin d’évaluer l’activité réelle des centres. A chaque intervention (visiteà domicile, réunion d’évaluation…), son nombre de points. La subsidiation de chaque centre dépendra du décompte final des points collectés en find’année. La conséquence : une course aux points. Certaines fédérations auraient même créé un nouveau métier de« rabattage » dans les hôpitaux pour happer de nouveaux patients à leur sortie.
« On risque de devenir des marchands de non-marchand pour obtenir des points », nous glisse Nadine Czubik, coordinatrice. « Il y a un stress énorme, carnous ne sommes jamais sûres de quoi sera fait le lendemain. Nous ne savons que l’année suivante le montant du subside, sur base du comptage de ces fameux points. »« On travaille au point, renchérissent Anne Grégoire et Véronique Beaudouin. Mais l’enveloppe est fermée. Donc plus il y a de demandes, plus il y a de travail,et moins le point vaut d’argent. »
« Ils ont voulu baliser les activités à l’excès. Mais par moment, ce n’est pas compatible avec le travail de terrain », nous dit quant à elleMarie Mercier, qui craint une uniformisation de son travail. Car si chaque étape de travail n’est pas réalisée selon la temporalité prévu
e par le décret, lespoints sautent. Il y a même des patients qui ne rapportent pas de points. « Ces patients, certains centres de coordination n’en voulaient plus, confirme Michèle Pieterbourg.Le décret a été mal fait. Mais nous nous sommes battus en interfédération. Des changements ont été apportés en juin/juillet pour que cesdossiers soient comptabilisés. Nos coordinatrices n’ont pas encore digéré les tumultes et pressions que l’arrêté Donfut leur a fait subir. Mais aujourd’hui, nousentrons dans une nouvelle ère. » Ceci dit, pour la présidente d’ACCOORD, le stress financier subsiste. « Car l’enveloppe des subsides va baisser, alors que lesdemandes augmentent. C’est une de mes préoccupations majeures. Il faudrait une subsidiation qui corresponde aux besoins réels. »
1. FASD (Fédération aide et soins à domicile)
– adresse : avenue A. Lacomblé, 69-71 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 735 24 24
– site : www.fasd.be/
– courriel : secretariat@fasd.be
2. Décret de la Région wallonne du 30 avril 2009 relatif à l’agrément des centres de coordination des soins et de l’aide à domicile en vue de l’octroi desubventions.
3. ACCOORD
– chaussée de Charleroi, 83 bis à 5000 Namur
– tél. : 071/33 11 55
– site: www.federation-accoord.be