Le vote du projet de loi sur la procédure sommaire d’injonction de payer1 a été reporté après les élections de juin 2009. Le Conseild’État sera sollicité pour donner son avis, et le dossier sera renvoyé en Commission de la Justice de la Chambre pour un débat plus approfondi. Une nouvelle quiréjouit bien évidemment les nombreuses associations de consommateurs, les acteurs de terrain et les syndicats qui avaient marqué, tout récemment, leur vive oppositionà ce projet de loi.
Une proposition de loi de la sénatrice VLD, Martine Taelman, approuvée au sénat à l’époque de la majorité orange bleue, fin 2007, et introduisantl’injonction sommaire de payer devait être examinée ce 12 mars par la Chambre des représentants mais a été retirée in extremis de l’ordredu jour. La raison ? Le PS, qui s’était abstenu en Commission de la Justice, a annoncé qu’il voterait contre ; plus de majorité, donc, pour voter le texte.
De quoi s’agit-il ?
Il existe, actuellement, en droit belge, une procédure d’injonction de payer2 qui permet au créancier de récupérer la somme qui lui est due via unedemande déposée par un avocat sous forme de requête au greffe du juge de paix, et limitée au paiement de dettes liquides n’excédant pas 1 860 euros.
Cette procédure est fort critiquée et n’est pas considérée comme efficace compte tenu des retards de paiement toujours plus importants et néfastes pour lesentreprises et l’économie.
Les changements apportés par la proposition
Les modifications apportées par le projet de loi à la procédure sont radicales :
• La nouvelle proposition est censée alléger le coût de la procédure, l’intervention d’un avocat étant devenue facultative. Le créancier peut dèslors s’adresser seul au juge.
• Le montant maximum de 1 860 euros a été supprimé, de même que la sommation.
• La proposition introduit également la notion d’inversion de contentieux, à savoir que la charge de la preuve qui repose sur le créancier ne s’applique que lorsque lacréance est contestée.
La Plate-forme « Journée sans crédit »3, composée de 14 associations francophones et néerlandophones de protection des consommateurs et deprévention du surendettement, s’est insurgée contre cette généralisation du principe de requête unilatérale tout comme, d’ailleurs, de nombreusesautres organisations telles que le Vlaams Centrum Schuldbemiddeling, Fédé plus, l’ACW, la FGTB, le Crioc, Verbruikersateljee, Welzijnzorg, etc. Selon les 14associations de la Plate-forme, un consommateur doit pouvoir se défendre face aux propos d’un créancier. « Un tribunal ne peut pas être un simple bureaud’encaissement… On sait que la crise économique risque de mettre en difficulté de nombreuses PME et des commerçants mais c’est aussi le cas des consommateurs les plusfragiles. Il serait inadmissible que les intérêts économiques bafouent le droit à la défense. La crise ne peut pas être un prétexte pour changer lesprincipes fondamentaux du droit. »
Notons qu’une réglementation européenne prévoit l’injonction de payer pour le recouvrement de « dettes non contestées » mais uniquement pour destransactions transfrontalières entre commerçants. « Introduire cette procédure au niveau « interne », en Belgique, n’est pas une obligation européenne, explique encorela Plate-forme. En outre, la proposition belge va beaucoup plus loin puisqu’elle concerne aussi les transactions entre des commerçants et des particuliers. »
Procédure expéditive et unilatérale
« Des consommateurs mauvais payeurs ! Tel semble être le postulat de départ de cette proposition de loi sans autre considération qu’elle soit sociale, économiqueou juridique, avance de son côté le Crioc4. Or, lorsqu’il s’agit d’injonctions de payer, les clients, très souvent, se plaignent de n’avoir jamais reçu leurfacture ou alors avec un délai de retard plus qu’important. Quand ces mêmes clients déposent une plainte ou une réclamation, il n’est pas rare que leur plainte reste lettremorte, sans la moindre réponse ni information de la part du commerçant. Si réponse il y a, elle se limitera à confirmer la facture sans autre explication. Ceci estparticulièrement vrai en ce qui concerne les fournisseurs d’énergie, d’eau de distribution et de télécommunications. Alors que nous sommes confrontésquotidiennement à des consommateurs ne sachant plus quoi faire pour obtenir des réponses à leurs questions, ces fournisseurs, dans le même temps, se voient accorder ledroit de réclamer leurs créances sans délai et avec une grande facilité. Le consommateur, qui n’était déjà pas en position de force, se voit encore unpetit peu plus écrasé par le pouvoir et l’autorité de ses créanciers. »
Jean-Marc Delizée, secrétaire d’État à la lutte contre la pauvreté (PS)5, est également intervenu dans le débat, soulignant ladifférence qui peut exister entre une relation de professionnel à professionnel (un entrepreneur et ses sous-traitants, par exemple) et une relation de professionnel àparticulier. « Dans le premier cas, il existe une certaine égalité entre les parties, ce qui pourrait éventuellement justifier une procédureaccélérée. Par contre, dans le second cas, la relation est déséquilibrée et nécessite dès lors un renforcement de la protection duconsommateur. Dans l’état actuel, nous assistons à une véritable régression sociale qui n’apportera pas de solution aux indépendants et entreprisesconcernés, le cas échéant. En outre, la procédure va complètement à l’encontre de la disposition approuvée dernièrement et réglementantde manière stricte les pratiques et frais des huissiers de justice exerçant le recouvrement à l’amiable. »
La partie n’est pas encore gagnée…
Selon Antonio Caci, qui suit ce dossier à l’Institut Emile Vandervelde (Centre d’études du PS)6, « lorsque le PS est monté dans le gouvernement, il ad’emblée marqué son désaccord avec cette proposition qui datait de la coalition orange-bleue. Mais ne voulant pas être en complète rupture par rapport àcertains objectifs louables du texte, le PS a proposé un certain nombre d’amendements afin, notamment, de limiter l’utilisation de cette procédure entre commerçants. Or tous cesamendements ont été rejetés. Au départ, le PS s’est abstenu mais en commission devant la Chambre des
Représentants, il a fini par voter contre, d’autant que le CDHqui, jusque-là ne semblait pas avoir réalisé les impacts négatifs que l’adoption d’un tel texte pourrait provoquer, s’est brusquement réveillé… sansdoute aiguillonné par les associations de consommateurs qui ont attiré l’attention sur les dangers d’une telle modification législative. Finalement, alors que la propositiondevait être votée le 5 mars, elle a été postposée d’une semaine et, lors de la séance du 12 mars, le dossier a été renvoyé enkern, lequel a décidé de rediriger le texte devant le Conseil d’État. Ce qui est une très sage décision car, au delà de l’oppositionidéologique que l’on peut avoir vis-à-vis de cette procédure d’injonction de payer nouvelle mouture, il y a de très sérieuses objections juridiques concernant cetexte. Notamment quant à l’usage de la requête unilatérale qui est censée rester une exception dans notre système juridique. On s’attend dès lors à ceque le Conseil d’État soit extrêmement critique vis-à-vis de ce texte. »
Les associations se sont, bien entendu, réjouies de cette nouvelle mais resteront vigilantes aux suites qui seront données à ce projet. « Par exemple, explique-t-on auCrioc, un éventuel avis positif du Conseil d’État signifierait que le projet de loi est techniquement acceptable… mais rien n’est réglé pour autant auniveau de l’impact social que ce projet de loi pourrait avoir s’il était voté en l’état. Autre exemple : la Commission Justice de la Chambre. Va-t-elle vraimentorganiser des auditions, ouvrir ses portes en auditionnant des acteurs de terrain ? Y aura-t-il un dialogue possible autour des principes mêmes de ce projet de loi, c’est-à-direles causes du problème auquel il est censé répondre et les conséquences de son application ? Le rôle des médiateurs de dettes va-t-il être abordé? Le problème des petits indépendants ayant des difficultés financières va-t-il également être pris en compte ? La question de l’accès et desfrais de justice – non seulement pour les créanciers mais aussi pour les consommateurs – va-t-elle réellement faire l’objet d’un débat ? Les associationssignataires sont demandeuses d’un dialogue autour de ces questions. » Le débat est donc loin d’être clos.
1. Proposition de loi de Madame Taelman (VLD) (4-139/1) introduisant l’injonction de payer dans le Code judiciaire, approuvée le 10/06/2008 par la Commission de la Justice duSénat et le 26/06/2008 en séance plénière.
2. Articles 1338 à 1344 du Code judiciaire.
3. Plate-forme « Journée sans crédit » : www.journeesanscredit.be
4. Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs :
– adresse : Paepsem Business Park, bd Paepsem, 20 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 547 06 11
– courriel : info@crioc.be
– site : www.crioc.be
5. Cabinet Delizée :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 15.
6. IEV :
– adresse : bd de l’empereur, 13 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 548 32 90
– courriel : iev@iev.be
– site : www.iev.be