La mission de la Fondation Roi Baudouin est à la fois très claire et très large : contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population. Elledispose pour cela d’un budget de fonctionnement d’environ 25 millions d’euros par an. Ce budget permet de réaliser pas mal de choses mais malheureusement pas tout.C’est pourquoi la Fondation a choisi de mettre l’accent sur certains thèmes prioritaires à travers quatre programmes centraux : Justice sociale, Sociétécivile, Gouvernance et Fonds et Philanthropie d’aujourd’hui. Nous avons souvent parlé dans Alter Échos des projets « Justice sociale » comme le Fonds pauvreté, le Fondsexpérimental services de proximité ou le jobcoaching. Certains de ces projets se clôturent, d’autres continuent tandis que de nouveaux surgissent. L’occasion de faire lepoint avec Françoise Pissart, directrice du programme « Justice sociale ».
Les nouveaux projets
Si on se réfère au plan stratégique 2003-2005 de la Fondation1, la mission générale du programme Justice sociale, y est définie en ces mots : » contribueraux possibilités effectives, pour des personnes victimes de la discrimination ou en situation de vulnérabilité, de réaliser leurs aspirations au bien-être. » Unvaste chantier qui se construit sous trois formes : anticiper de nouvelles formes d’injustice sociale, augmenter l’autonomie des personnes en situation de vulnérabilité etpromouvoir la sécurité. Les moyens pour réaliser ce travail de titans? Un budget de 6 millions d’euros (frais de personnel non compris) et une équipe de 10 personnesréunies autour de Françoise Pissart, directrice du programme.
Anticiper les nouvelles formes d’injustice sociale grâce à un » réseau d’écoute «
» Il existe de nombreuses formes d’injustices sociales telles que la pauvreté, la maltraitance des enfants, mais bien d’autres restent ignorées des institutions, constateFrançoise Pissart. Nous avons souhaité déceler ces nouvelles formes d’injustice sociale car plus tôt elles seront identifiées, au mieux elles seronttraitées. Et puis, nous ne voulions plus déterminer nous mêmes les thématiques sur lesquelles nous allions travailler mais qu’elles puissent plutôt remonter duterrain »
En l’occurrence, la Fondation fait œuvre de pionnière avec une méthodologie innovante, il s’agit de mettre en place dans toute la Belgique un réseaud’écoute sociale. » Nous partons d’un réseau de personnes prêtes à informer la Fondation de faits révélateurs d’injustices socialesnouvelles ou méconnues comme des situations concrètes d’exclusion, des thèmes peu porteurs ou des groupes qui ne sont pas politiquement très intéressants.Nous ne nous basons pas sur des rapports ou des statistiques mais sur des récits de gens en contact direct avec la réalité. Ces ‘personnes-antennes’ ont étéchoisies en fonction de leur capacité d’écoute : avocats, magistrats, banquiers, notaires, docteurs, directeurs d’école, psychologues, barmans, gardiens de prison,policiers, journalistes, travailleurs de rue, CPAS,… «
En tout, ils sont 150 à faire écho en toute discrétion à la Fondation de récits de vie entendus dans leur quotidien. Un comité de décodagecomposé d’universitaires et de représentants du secteur social analyse ensuite ces récits et sélectionne parmi eux des thèmes pertinents pour des nouvellesactions à mener par la Fondation ou pouvant faire l’objet d’une diffusion auprès d’un large public.
» En juin 2003, nous avons reçu cinquante témoignages qui ont été lus et commentés, poursuit notre interlocutrice. De ces premiers récits, une vingtainede thèmes intéressants ont émergé et parmi ceux-ci quatre seront approfondis : les jeunes fugueurs, la problématique des prisonniers d’origineétrangère, le rôle que pourraient jouer les écoles pour les parents d’origine étrangère et le droit au logement pour tous. Cela ne signifie pas que les autresthèmes ne feront l’objet d’aucune attention, mais nous les gardons en réserve pour les traiter ultérieurement. Pour chacun des thèmessélectionnés, en collaboration avec les partenaires de terrain, nous mettrons en œuvre une stratégie adaptée. »
Avec un budget qui représente 40% du budget total du programme « Justice sociale », le réseau d’écoute sociale constitue un axe important de l’action de laFondation. Il vise principalement à indiquer des pistes pour les pouvoirs publics et les services d’aide. Les premières propositions devraient être couchées surpapier à l’automne 2003, de manière à ce que l’action de la Fondation puisse débuter cette année encore. La première phase de la campagne‘réseau d’écoute’ s’achèvera en 2005, avant une évaluation.
Certains projets ont toutefois déjà débuté. « Nous avons mené une étude avec Child Focus sur le profil des jeunes fugueurs, nous avonségalement travaillé avec le cabinet Onkelinx (ndlr : à l’époque ministre de l’Emploi et de l’Égalité des chances) sur le personneldomestique d’origine internationale. Pour les parents d’origine étrangère et la scolarité des enfants, nous allons financer une étude de faisabilité etlancer un appel à projets. En ce qui concerne les prisonniers allochtones, un professeur d’unif flamand va réaliser sous peu un état des lieux de ce qu’ilconnaît de la question et nous allons approfondir cet état des lieux avec des gens du secteur. Quant à la thématique du droit au logement pour tous, il s’agitd’un gros morceau; nous pensons mettre l’accent sur les familles monoparentales et les difficultés d’accès pour certaines catégories de personnes, mais lethème est encore à explorer… »
Augmenter l’autonomie des personnes en situation de vulnérabilité
Second axe du volet « Justice sociale » de la Fondation : le soutien à de nouvelles pratiques d’hospitalité envers les nouveaux migrants et une contribution au débat public surles migrations. « Dans ce cadre, nous organisons en partenariat une série de débats sur des questions d’avenir en matière de migration en Europe, préciseFrançoise Pissart. Ils sont destinés aux décideurs et aux stakeholders européens. Autre projet qui s’inscrit dans une initiative existante, celle du Migration PolicyGroup, qui lance sous le label « Migration Policy Dialogue », un réseau composé de partenaires issus de 15 pays européens. La Fondation opère comme partenaire belge : elleanimera en Belgique en collaboration avec d’autres organisations comme le Centre pour l’égalité des chances une plate-forme d’échange et d’information regroupant desstakeholders actifs dans ce domaine. Ils recevront de manière régulière des infos sur les enjeux et évolutions des politiques migratoires de l’Union européenne etsur leur application au niveau belge. Les analyses de cette plate-forme seront répercutées dans le réseau européen. »
À côté de ce réseau belge d’échange d’infos, la Fondation lancera trois appels à projets qui permettront aux communautés de migrants, en partenariatavec des services publics ou des acteurs associatifs privés, de développer des réponses aux besoins des nouveaux arrivants en matière d’emploi, de formation,d’enseignement, de logement, de santé, d’aide juridique, etc. Les résultats de ces appels seront ensuite diffusés. Un premier appel a été lancé en maidernier; les projets soutenus seront sélectionnés par un jury indépendant en septembre.
La Fondation développe également un projet qui vise à encourager les attitudes positives des communautés d’accueil à l’égard de ces nouveaux arrivants età renforcer les processus d’intégration. « Nous soutiendrons dans ce cadre des projets de bon voisinage et de services réciproques développés par lescommunautés de nouveaux arrivants en collaboration avec la population locale. Nous favoriserons également les échanges de bonnes pratiques développées en Belgiqueet à l’étranger en collaboration avec Fedasil. »
Autre volet, cette fois consacré à une partie trop souvent oubliée mais malheureusement bien réelle des migrants : les mineurs victimes de la traite des êtreshumains. Le projet vise à définir des standards de qualité ou l’accueil, l’aide et l’accompagnement de victimes mineures de la traite et de l’exploitation sexuelle en Belgique.Une étude qui se déroule actuellement en collaboration avec Child Focus permettra d’identifier les méthodes utilisées et l’expérience existante et de lesprésenter ensuite, assorties d’une série de recommandations, aux autorités et aux organisations concernées.
Enfin dernière partie de cet important chapitre « migration » : le soutien aux pratiques d’accueil en Europe du Sud-Est (pays du pacte de stabilité). Il comporte notammentl’octroi de permis de séjour temporaires ainsi que d’une aide financière à court terme aux victimes de la traite des êtres humains qui témoignent contre leurstrafiquants.
Du rapport général sur la pauvreté au rapport général sur la sécurité
Thème jusqu’ici encore non abordé par la Fondation, la sécurité fera l’objet d’un rapport général. Pourquoi avoir choisi un tel thème? « Parce quenous voulions contribuer durant les trois années à venir à un débat plus serein sur la sécurité, justifie Françoise Pissart. Nous pensons au sein dela Fondation – cela figure d’ailleurs dans nos objectifs – que chacun a droit au bien-être. On souhaite donc éclairer le problème à partir de plusieurs perspectives etproposer des solutions dans lesquelles tous les acteurs concernés sont impliqués : pouvoirs publics, entreprises, société civile et citoyens. Ces différentescontributions aboutiront au ‘Rapport général sur la sécurité’, adressé à un large public, aux différents acteurs et aux responsables politiques. Lavaleur ajoutée du projet réside dans la prise en compte de l’avis des personnes impliquées, la manière d’appréhender les différentes composantes du sentimentd’insécurité et sur l’attention particulière qui sera portée aux personnes les plus vulnérables. Nous devons encore trouver les méthodes qui nous permettrontde recueillir les témoignages aux abords des écoles, dans les transports publics, les quartiers, auprès des personnes âgées isolées, etc. »
Le Fonds pauvreté
Parmi les autres missions poursuivies par la Fondation, on retrouve la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Le Fonds pauvreté, institué en 1996, octroie une aidefinancière à des projets d’associations et d’institutions qui travaillent avec et pour les plus pauvres. Deux fois par an, au printemps et à l’automne2, un juryindépendant sélectionne les projets. Aujourd’hui muté dans le programme « Fonds et Philanthropie d’aujourd’hui », le fonds continue son petit bonhomme de chemin avec un budget de350.000 euros provenant exclusivement de dons privés faits à la Fondation. « Depuis 1996, nous avons soutenu quelque 436 projets, détaille Sabine Denis, conseillèreà la Fondation. En moyenne, nous recevons par appel 250 projets dont seulement 50 seront sélectionnés. En sept ans, nous avons vu évoluer les demandes. Avant, les projetsétaient plus de type caritatif comme les dons de vêtements, de nourriture, d’argent, etc. Il s’agissait plus d’aide alors que maintenant, on constate un processus d’inclusion du publiccible. Les projets sont vus dans une perspective de développement durable. Nous avons aussi recadré les critères de sélection. D’autres thématiques sontarrivées en masse comme les vacances sociales, jusqu’à ce que le ministre flamand Renaat Landuyt sorte les chèques ‘vacances sociales’; le nombre a alors baissé. Nousavons également eu beaucoup de projets autour du logement, des résidents-campings. Actuellement, ce sont les projets autour des TIC qui sont les plus nombreux mais nous recevons aussides dossiers de demande sur des thématiques telles que la pauvreté en prison, la médiation de dettes, etc. C’est pour nous toujours une prise de risque, puisque nousfinançons des associations pas encore très structurées ou, si elles le sont, porteuses de projets innovants et donc, par définition, de projets non sûrs. Maisl’évaluation annuelle de ces projets prouve que très peu abandonnent en cours de route; seuls quelques retards dans le déroulement du projet sont constatés. »
Emploi des moins qualifiés
En collaboration avec le ministre qui a en charge l’économie sociale au plan fédéral, la Fondation développe actuellement deux programmes visant l’insertionprofessionnelle des publics fragilisés. Le premier a pour but de soutenir financièrement des initiatives de services de proximité (2001-2003). Le second programme vise àencourager les échanges entre les entreprises classiques et les entreprises et les réseaux d’économie sociale (2003-2004, cfr encadré).
Management ES-Change
En décembre 2002, la Fondation lançait un appel aux dirigeants d’entreprises du secteur privé et du secteur de l’économie sociale pour qu’ils introduisent ensemble desprojets d’échanges d’expériences et de pratiques. Cette campagne dénommée Management ES-Change, a vu le jour à l’initiative de l’ex-ministre fédéralde l’Économie sociale Johan Vande Lanotte. Quarante et un projets d’échange ont depuis lors été sélectionnés et se sont vu attribuer un montant global de360.000 euros.
Services de proximité
Fin 2001, le Fonds expérimental pour les services de proximité était créé à l’initiative de l’ancien ministre fédéral du Budget, del’Intégration sociale et de l’Économie sociale, Johan Vande Lanotte. Le Fonds a obtenu le soutien de Marie Arena, ex-ministre wallonne de l’Emploi et de la Formation et de RenaatLanduyt, ministre flamand de l’Emploi et du Tourisme. L’objectif était d’explorer le potentiel des services de proximité et, là où c’est possible, de stimuler leurdéveloppement. La gestion du Fonds expérimental, qui s’achèvera fin octobre 2003, est assurée par la Fondation Roi Baudouin. En parallèle aux appuis financiersaccordés à des projets, la Fondation s’attache à développer le concept même de service de proximité, tant à court qu’à long terme. « En 2002, 102projets se sont partagé 4.587.361 euros et en 2003, 77 de ces projets ont reçu ensemble 4.512.300 euros d’aide supplémentaire, commente Françoise Pissart. Certains ontarrêté l’expérience parce qu’ils se sont fourvoyés, d’autres avaient demandé le financement d’une étude de faisabilité et se sont rendu compte que leprojet ne tiendrait pas la route ou n’était pas suffisamment mûr pour démarrer tout de suite. Dans les projets qui ont poursuivi, 28 sur 34 côté flamand sont denouvelles initiatives, 22 sur 30, côté wallon et 4 sur 6, côté bruxellois. En tout, le Fonds a permis de générer 451 emplois (ndlr : dont plus de 300 enRégion flamande). »
La Fondation Roi Baudouin en chiffres
Pour l’exercice 2003, la Fondation Roi Baudouin dispose d’un budget de 25.085.248 euros. Environ 85% du budget annuel est affecté au soutien de projets ainsi qu’à leur mise enœuvre, en ce compris les frais de personnel liés à ces projets. Les 15% restants sont utilisés pour le fonctionnement quotidien de la Fondation (impôts et chargesfinancières, frais généraux, services d’appui, amortissements).
Pour mener ses actions, la Fondation Roi Baudouin dispose de deux sources de financement distinctes.
1) Les sources de financement propres se composent essentiellement :
– d’un apport de la Fondation Roi Baudouin grâce aux revenus de son capital propre (5.250.000 euros en 2003);
– des dons et legs effectués en faveur de la Fondation Roi Baudouin;
– de recettes diverses qui proviennent par exemple de colloques ou de publications.
2) Les sources de financement extérieures comprennent principalement :
– la dotation de la Loterie Nationale (qui s’élève pour l’exercice 2003 à 12.150.000 euros);
– les dons et legs effectués en vue de soutenir la mise en œuvre de projets précis de la Fondation Roi Baudouin;
– les missions pour compte d’autorités publiques (10%);
– les partenariats avec les entreprises (9%).
« Pour nous, la gestion a été un véritable défi, confie Veerle Van Kets en charge du Fonds. Le budget était énorme, nous nous lancions dans une aventuredont on ne connaissait pas grand-chose et en plus des appels à projets, nous avons aussi dû organiser des tables rondes, des visites mutuelles des projets et des échangesd’expériences. Nous sommes satisfaits du résultat. Bien sûr, le Fonds expérimental n’illustre pas tous les champs possibles mais du moins une bonne partie en ce quiconcerne le volet social. »
Sur les 30 projets wallons, 7 vont pouvoir survivre grâce aux titres-services, 5 du côté flamand; d’autres pourront s’en tirer avec les diverses mesures pour l’emploi mais celane suffira pas. La mission de la FRB est donc maintenant d’ébaucher des pistes de financement structurelles en tirant les leçons de ces deux années. « Nous avons réuni lesauteurs de projets, poursuit Veerle Van Kets, pour pointer ensemble les obstacles rencontrés, les questions qui se posent, ce qui est à améliorer. Nous procédons ainsià une évaluation participative et non à une évaluation contrôlante, évaluation qui va nous permettre de pouvoir rédiger des recommandations àl’attention du politique en octobre prochain. » Mais si la création d’emplois est bien au centre de l’initiative, l’apport social des services de proximité est de l’avis de la Fondationun peu trop oublié. C’est pourquoi celle-ci envisage de publier en même temps que le cahier de recommandations un recueil de témoignages qui mettra l’accent sur ce volet socialdes services de proximité.
1. FRB, rue Brederode, 21 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 511 18 40, fax : 02 511 52 21, site : http://www.kbs-frb.be Des détails parfois très nombeux sur chaque projetpeuvent être trouvés sur le site Internet, ainsi que nombre de publications et rapports de la Fondation.
2. Pour la sélection d’automne, les projets peuvent encore être introduits jusqu’à fin septembre 2003. Infos sur le site de la FRB : http://www.kbs-frb.be