«Les premiers rapports qui dénoncent les artifices des mendiants, des voleurs, des ‘maffias’ datent de la Réforme», explique Jean-Pierre Tabin, professeur à la Haute école de travail social et de la santé EESP de Lausanne (HES SO). Dès le Moyen Âge, certaines villes interdisent la mendicité. Ici on tatoue les «vrais mendiants», là on coupe les oreilles et le nez aux «faux mendiants». Ailleurs, on donne des amendes à leurs donateurs.
La criminalisation de la pauvreté n’a rien d’inédit. Il y a bien longtemps que la pauvreté errante et le vagabondage véhiculent un sentiment d’insécurité. Et on retrouve aujourd’hui, au centre de la rhétorique utilisée dans les débats politiques ou dans la presse, les mêmes arguments que jadis: la crainte des réseaux de mendicité et de l’exploitation d’êtres humains (au XVIe siècle, on parle déjà d’une «contre-société argotique», avec un «roi des mendiants» qui gagnerait beaucoup d’argent), et celle d’une attitude agressive, harcelante de certains mendiants, qui troublerait l’ordre public (les mendiants «criards» sont déjà dénoncés par Calvin).
«Mais ces discours sont répétitifs, jamais documentés et sont construits sur le mode de la scandalisation, de l’émotion, explique Jean-Pierre Tabin. On se soucie davantage des comportements potentiels que des comportements réels. C’est une prophétie autoréalisatrice: en criminalisant les pauvres, ceux-ci deviennent ce qu’on a dit qu’ils étaient.»
Dans son dernier dossier, «Cachez ce mendiant que je ne saurais voir», Alter Échos s’est penché sur les règlementations de la mendicité. De telles règlementations étaient déjà en vigueur au Moyen Âge. Lire notre «Petite chronique d’un malaise persistent», en accès gratuit.