C’est dans un ancien internat de Forest, entièrement rénové, que la première IPPJ de la capitale hébergera vingt garçons et dix filles dès 2020. Un projet qui suscite le débat.
«L’absence d’IPPJ à Bruxelles est un problème depuis des dizaines d’années», soulignait le ministre lors de l’annonce de la création de l’IPPJ. Un manque d’autant plus criant que près de la moitié des jeunes placés dans les institutions actuelles – tant garçons que filles – sont bruxellois. «Les distances entre la capitale et les sites existants sont importantes, ce qui complique les visites pour les familles et avocats. Or, la famille est un intervenant majeur pour la réinsertion du jeune», relevait-il. L’IPPJ comportera deux sections de dix places pour les garçons et une section de dix places pour les filles. Le tout en milieu ouvert. Une septantaine de travailleurs seront affectés à la nouvelle institution.
Mixité de façade
Avec un mot d’ordre, celui d’innovation. La première concerne la mixité. Une nouveauté, en effet, même si elle sera très limitée. Seul le site sera mixte, pas les sections. Ce sera aux équipes éducatives de s’emparer du projet, nous indique-t-on au cabinet du ministre. L’idée est de pouvoir favoriser, à terme, des activités communes.
Outre la mixité, la création de cette IPPJ est l’occasion de repenser le projet éducatif. Il se base, d’ailleurs, sur une large réflexion menée avec les professionnels du secteur, l’Administration de l’Aide à la jeunesse et le délégué général aux Droits de l’enfant, Bernard De Vos. Il veut coller au plus près des besoins des mineurs en vue de leur réinsertion. Cela passe par un «réaccrochage» scolaire, la création d’un réseau de relations sociales, en relation étroite avec les parents et la famille au sens large. «La volonté est de créer une institution en lien avec la cité, ses écoles, ses associations, les institutions publiques de formation pour pouvoir travailler concrètement à l’insertion sociale du jeune, à son retour à l’école et à l’acquisition de savoirs donnant accès à l’emploi», précise Rachid Madrane.
«La volonté est de créer une institution en lien avec la cité, ses écoles, ses associations (…)», Rachid Madrane, Ministre de l’Aide à la jeunesse
L’autre volonté est d’uniformiser les parcours éducatifs entre les IPPJ elles-mêmes. Aux yeux du ministre, lorsqu’un jeune change d’IPPJ, il y a une rupture dans sa prise en charge. En cause: des projets éducatifs trop diversifiés, trop nombreux. Du coup, les juges ne placent pas les jeunes en fonction de ces projets, mais avant tout par rapport aux places restantes en IPPJ. L’idée est dès lors de tout simplifier à travers trois missions. Ce sera le cas fin 2017-début 2018 (voir encadré: un nouveau service «diagnostic»).
Partant de cette page «blanche», la volonté est surtout d’inviter les juges à choisir des mesures alternatives à l’IPPJ. Comme les SAMIO (Services d’accompagnement et de mobilisation intensifs et d’observation), qui interviennent auprès du jeune et de sa famille de façon intensive. D’ailleurs, ce service sera installé sur le site bruxellois.
Préparer la sortie
Le travail entamé en IPPJ sera poursuivi, au terme du placement, par un service d’accompagnement postinstitutionnel (API). Ce service, comptant seize places pour les garçons et quatre places pour les filles, sera prévu sur le site. Si ce travail de suivi nécessite une famille, dans certains cas, ce retour à la maison est impossible. D’où l’idée de créer des «kots de transition supervisés» où des jeunes pourront s’initier à l’autonomie en vue de prendre celle-ci à leur majorité après leur placement en IPPJ. Les jeunes seront encadrés par une équipe éducative. Ils vivront en appartement et apprendront à gérer un budget, à entreprendre des démarches administratives, à poursuivre leur scolarité ou à entamer une formation… Quant à un probable développement de ces kots en Wallonie, la réflexion est en cours, nous explique-t-on au cabinet du ministre.
L’institution disposera aussi d’une grande salle de sports qui pourra être utilisée par les associations du quartier et les clubs de la commune. Cela permettra également aux jeunes de rencontrer d’autres publics. Un plus pour leur réinsertion.
Pour la criminologue, Isabelle Ravier (UCL), la création de cette IPPJ dans la capitale répond avant tout à une «logique d’augmentation des places», à l’instar du phénomène constaté dans les prisons. «Et ce, sans qu’il y ait un réel transfert vers des solutions alternatives au placement», déplore-t-elle. À ses yeux, la future IPPJ répond à certains besoins, en travaillant davantage la question de l’insertion, celle de la mobilisation des familles, l’inscription dans le tissu scolaire grâce au tissu urbain. «L’offre institutionnelle est intéressante, mais on ne répond pas du tout à ce besoin réel de diversification des mesures. On continue d’alimenter cette vision que la seule solution pour les mineurs délinquants, c’est l’IPPJ.» De la sorte, tout effort de réinsertion est rendu difficile à cause de cette étiquette «IPPJ» qui colle à la peau de ces jeunes, rendant de la sorte très complexe l’inscription dans le tissu local, associatif et scolaire. «Beaucoup de jeunes placés cherchent à prolonger leur séjour en IPPJ, se retrouvant sans famille, sans projet à la sortie. C’est le cas pour 48% d’entre eux. Cela repose toute la question de l’isolement du jeune avant, pendant et après son placement», poursuit-elle. Quant à la mixité, la criminologue craint que les filles ne soient «perdantes»: «La création de nouvelles places risque de faire de perdre le dynamisme qu’il y avait dans leur prise en charge. Comme il n’y avait pas de places pour elles, des synergies existaient avec des associations et des résidences-services par exemple, ce qui favorisait l’émergence de projets transversaux.»
Outre la création d’une IPPJ à Bruxelles, une réflexion plus large a été lancée sur la façon dont s’organisent les prises en charge des jeunes en leur sein. «Il existe 23 sections différentes au sein de nos six IPPJ, pas moins de seize projets éducatifs différents ainsi que neuf durées de placement différentes. Ces projets éducatifs sont souvent plus juxtaposés qu’articulés les uns avec les autres. De plus, dans la réalité, alors que les projets éducatifs sont très différenciés, les magistrats orientent surtout les jeunes en fonction des places disponibles», explique Rachid Madrane. Le ministre veut donc harmoniser les projets éducatifs des différentes IPPJ pour les inscrire dans un trajet éducatif individualisé. «Ce qui rendra aussi plus simples les éventuels changements de section», ajoute-t-il.
Dès lors, l’intervention des IPPJ sera recentrée sur trois missions: d’abord, et c’est une nouveauté, celle des «services diagnostics», qui remplaceront les sections d’accueil: il s’agit de services d’évaluation, d’observation et d’orientation, où le jeune sera pris en charge non plus pour 15 jours comme dans une section d’accueil, mais pour un mois, le temps d’évaluer sa dangerosité, le risque de récidive qu’il présente, ses ressources sociales et familiales… Il y aura trois services de 10 places, plus une place d’urgence, pour garçons à l’IPPJ de Saint-Hubert et un service de huit places pour filles à l’IPPJ de Saint-Servais. Ensuite, si le diagnostic réalisé conclut à la nécessité d’une prise en charge en IPPJ, le jeune intégrera un service d’éducation soit en régime fermé, soit en régime ouvert. La durée de prise est charge sera fixée à trois mois renouvelables. Au terme de la mesure décidée par le juge, le jeune retourne en famille avec ou sans suivi d’accompagnement ou il est placé en initiation à autonomie. Enfin, à l’issue du placement, des missions de suivi du jeune dans son milieu de vie continueront à pouvoir être menées.
En savoir plus
«IPPJ: vers une instance de contrôle?», Alter Échos n°424-425, Zoé Fauconnier, 8 juin 2016.