Sa note de politique jeunesse encore chaude, Isabelle Simonis, ministre de la Jeunesse, évoque avec Alter Échos ses priorités pour les prochaines années. L’information et la citoyenneté sont au cœur de son projet… tout comme la réforme des décrets.
Alter Échos: Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté la note d’orientation de politique jeunesse. On dirait parfois qu’il s’agit d’une note qui s’adresse plus au secteur jeunesse qu’à la jeunesse elle-même…
Isabelle Simonis: Je n’ai pas cette impression. Il y a effectivement un des axes qui est le soutien des acteurs dans leurs missions. Si vous avez bien vu, nous avons abordé d’autres thématiques qui concernent les jeunes en général. L’enseignement, l’emploi et surtout la citoyenneté. Comment, avec le secteur jeunesse, on peut encourager, développer la citoyenneté… Je vais donc travailler avec eux, en concertation, mais cela ne m’empêche pas d’avoir une vision d’une politique jeunesse qui m’est propre.
A.É.: À propos du «secteur», vous comptez vous attaquer à l’évaluation des décrets sectoriels…
I.S.: Le travail avait été entamé lors de la précédente législature avec pas mal de difficultés. Nous devons arriver avec une proposition de méthodologie d’évaluation qui, je l’espère, fera consensus, pour évaluer les dispositifs décrétaux. Ensuite nous travaillerons sur une réforme des décrets. Mais je ne peux en dire plus pour l’instant.
A.É.: Vous n’avez pas encore d’idée de ce qu’il faudrait réformer dans les décrets du secteur jeunesse?
I.S.: J’ai beaucoup de questions. Et pas encore de réponses définitives. On pourrait se demander s’il faut aller vers des décrets très spécifiques relatifs à certains secteurs ou s’il faut plutôt tendre vers un grand décret unique. On sait que le secteur jeunesse rassemble des structures très différentes qui ne font pas la même chose, qui n’utilisent pas la même méthodologie, bien qu’ils se retrouvent derrière les valeurs communes des «Cracs» (citoyens responsables actifs critiques et solidaires).
A.É.: À propos des fameux Cracs. Une réforme du décret sera-t-elle l’occasion d’un travail de définition, de précision de ces notions qui apparaissent parfois comme un peu fourre-tout.
I.S.: Je suis d’accord avec vous. C’est d’ailleurs pour ça que nous allons travailler sur la question: «C’est quoi pour un jeune aujourd’hui être citoyen en Fédération Wallonie-Bruxelles?» Quelles sont les normes de la citoyenneté, comment on les fait vivre, en fonction des valeurs, des trajets de vie, des parcours, des identités des jeunes aujourd’hui. Il s’agit d’ailleurs d’une autre de nos priorités. Celle de lancer un Forum participatif jeunesse.
A.É.: Si j’ai bien compris, on trouve du côté des maisons et centres de jeunes une grande fédération qui accepterait l’idée d’une évaluation du décret, l’autre qui pourrait s’y opposer tant que les moyens du secteur ne sont pas réévalués. Du coup, cela pourrait coincer…
I.S.: Je ne suis pas quelqu’un de directif à outrance mais j’ai une feuille de route. J’ai un accord de gouvernement dans lequel figure une évaluation du décret et donc nous le ferons. J’espère avec le plus grand consensus. Et par ailleurs, au-delà des moyens, il y a aussi une demande de simplification, d’objectivation, de clarification des textes.
Une politique jeunesse mieux ancrée localement
A.É.: Vos autres priorités?
I.S.: Je souhaite soutenir le développement local d’une politique de jeunesse. Je n’ai pas la main directement, mais plusieurs choses peuvent être réalisées. Nous souhaitons travailler sur des transversalités à la fois horizontales, dans la Fédération Wallonie-Bruxelles, et sur des transversalités verticales et qui devraient impliquer plus et mieux les communes. Alors que tout le monde dit que la jeunesse est une priorité, des plans locaux de jeunesse devraient se retrouver dans les programmes stratégiques transversaux des communes ou dans les déclarations de politique communale. On devrait pouvoir travailler la participation des jeunes sur un terrain local. Cela peut être fait à partir d’une MJ mais elle ne doit pas le faire toute seule, elle doit pouvoir s’appuyer sur un centre culturel, une organisation sportive, etc. Donc il faut que la commune ait une politique intégrée de jeunesse, avec les différents services pour avoir une action lisible et visible. L’idée serait de les y inciter. Une sensibilisation devra se faire vers les communes et les ministres des Pouvoirs locaux.
A.É.: Un grand nombre de communes, jusqu’à présent, semblaient plus enclines à s’armer d’une batterie d’outils plutôt répressifs (sanctions administratives communales, couvre-feux) que de se lancer dans une politique de jeunesse…
I.S.: Oui, mais c’est le mauvais débat. C’est souvent dans les moments où la jeunesse pose problème que les communes s’emparent d’une politique jeunesse en créant une maison de jeunes ou en ouvrant un espace pour jeunes. Cela serait intéressant de penser différemment et de promouvoir en amont une politique émancipatrice des jeunes. Sans cela, on renforce une espèce de mono-image de la jeunesse qui, neuf fois sur dix, est envisagée comme un problème plutôt que comme une opportunité.
A.É.: Vous évoquez aussi dans votre note ce fameux problème de «l’image des jeunes» qu’il faudrait valoriser car elle souffrirait de clichés négatifs. Mais n’est-ce pas devenu en soi un cliché d’évoquer ces images négatives?
I.S.: Il y a plusieurs choses. D’abord voir comment les jeunes sont représentés dans les médias. Est-ce qu’il y a beaucoup de jeunes qui présentent des émissions? Est-ce qu’il y a beaucoup d’initiatives de jeunes ou de structures de jeunes qui font l’objet de programmes audiovisuels? Et il y a effectivement le sujet de l’image des jeunes. Il me semble que ces derniers mois, notamment suite aux événements dramatiques que nous avons vécus, les jeunes sont souvent apparus comme étant ceux qui «posaient problème». Nous allons publier des baromètres sur la présence des jeunes dans les médias. Et nous souhaitons entamer une réflexion pour voir comment valoriser une plus grande présence de jeunes ou de structures de jeunesse, notamment dans les télés locales.
A.É.: Vous parliez de transversalités horizontales. Cela fait penser au Plan jeunesse de votre prédécesseure. Ce plan est caduc. Mais il avait permis de poser les jalons d’une conférence interministérielle jeunesse. Que va-t-il advenir de cette conférence?
I.S.: Cette CIM intrafrancophone va exister. Nous allons la faire vivre en matière de formation, d’emploi et sur une série d’autres thèmes.
Quelle information pour quels jeunes?
A.É.: Une inquiétude récurrente du secteur: les moyens. Vous n’avez pas beaucoup de leviers pour répondre aux demandes du secteur jeunesse qui s’estime sous-financé.
I.S.: Une de mes priorités, c’est de stabiliser, de renforcer l’emploi dans le secteur. Jusqu’à présent il y a eu une seule négociation budgétaire. Nous sommes allés rechercher 13 détachés pédagogiques supplémentaires (qui bénéficient aux organisations de jeunesse, NDLR) tout en refinançant les emplois existants. À côté de ça, il y a tout le volet APE (baisse du tarif du point), nous avons commencé les discussions avec la Région wallonne. Mon engagement: venir à chaque conclave budgétaire avec une demande pour renforcer le secteur.
A.É.: Autre sujet important pour vous: l’information des jeunes…
I.S.: Quand on poursuit comme finalité de renforcer la participation des jeunes, il y a une étape préalable essentielle, c’est de donner les clés d’information pour que le jeune soit en capacité de comprendre la société dans laquelle il vit et dans laquelle il pourrait agir et participer.
A.É.: Comment comptez-vous développer l’information destinée aux jeunes? Faut-il passer davantage par les centres d’information jeunesse, quitte à clarifier ou à redéfinir leur mission, faut-il miser sur tout le secteur, informer avec d’autres secteurs? Quelle est votre idée?
I.S.: La note laisse le champ ouvert. Nous visons une information complète avec accès libre et gratuit sans confier cette mission de manière exclusive à un opérateur.
A.É.: Au sujet de l’information, il règne un certain flou. On parle de quoi? D’éducation aux médias, de conseils sur l’orientation professionnelle, d’emploi, de prévention dans le domaine de la santé?
I.S.: Pour moi c’est toute la question. Sommes-nous juste là pour fournir une information préparée, prémâchée qui donne par exemple la liste des écoles, des universités, ou est-ce qu’on se situe dans un travail d’éducation? Et surtout: qui fait quoi? Je veux travailler ces questions-là avec le secteur.
Un forum participatif pour parler de citoyenneté
A.É.: Autre éternel chantier: le Conseil de la jeunesse. Il est souvent critiqué pour son manque de représentativité, de légitimité. Il est aussi souvent réformé. Comptez-vous faire la réforme de la réforme du Conseil de la jeunesse?
I.S.: Une évaluation est prévue en 2017 et par ailleurs il y a des élections à organiser dès le mois d’octobre. Cela dit, je pense qu’il y a encore peut-être des choses à améliorer. Mais il y a une nouvelle secrétaire générale, il faut leur laisser du temps. Nous aurons une réflexion avec eux sur la participation, sur la représentativité. Cela implique de réfléchir à la façon d’organiser les élections pour qu’elles soient représentatives des jeunes d’aujourd’hui. Je considère que le Conseil de la jeunesse est un outil essentiel. Nous souhaitons l’associer à la mise en place du Forum participatif jeunesse.
A.É.: Ce Forum est l’un des projets concrets que vous mettez en avant pour cette législature. Pouvez-vous nous en dire plus?
I.S.: L’idée, c’est mettre en place une réflexion et une participation à la fois des acteurs de la jeunesse et des jeunes sur les questions de citoyenneté. Pour qu’ils puissent faire remonter une série de réalités, de valeurs, et c’est aussi l’occasion pour la politique que je suis de mettre en débat une série de normes qui existent dans notre société. Nous allons repartir d’un travail fait en 2005 par la commission du dialogue interculturel qui a abouti à une dizaine d’articles au sujet du vivre-ensemble, et qui peuvent constituer un socle commun de valeurs qu’on peut partager (lutte contre le racisme, égalité hommes-femmes, etc.). L’idée n’est pas que de s’adresser aux jeunes qui fréquentent les structures de jeunesse. Il faudrait trouver des outils pour les toucher, par exemple via internet. J’aimerais qu’en septembre nous soyons prêts au niveau méthodologique puis qu’on se donne un an de travail de participation.
A.É.: Dans la note, vous faites le constat d’un état moral de la jeunesse assez déprimé…
I.S.: Notre époque est marquée par une perte de repères, au niveau économique, en vivant dans une société qui broie, de perte de repères moraux ou philosophiques et politiques. Comme hommes et femmes politiques, nous nous devons de recréer du lien avec la société en général mais a fortiori avec les jeunes, car la jeunesse peut être capable du meilleur comme du pire. C’est elle qui construira la société, soit avec une vision très fermée, repliée sur elle-même, soit avec une vision progressiste et ouverte.