La mise en place à l’échelle nationale de compteurs intelligents est très contestée outre-Rhin. Coûts d’installation et d’entretienconséquents, gains faibles, impact sur l’environnement nul voire négatif, lisibilité pour le consommateur peu efficace : de nombreux éléments viennentremettre en cause le supposé bien-fondé d’un dispositif d’une telle envergure.
Le projet de recherche allemand Intelliekon a été mis au point en 2008. L’expérience, développée dans huit communes situées dans cinqBundesländer différents, a été menée sur une durée supérieure à douze mois ; elle a débuté entre mai et juillet 2009 pours’achever fin novembre 2010. Destinée à évaluer le rapport coûts/bénéfices relatif à la mise en place à l’échelle nationalede compteurs intelligents, les résultats obtenus laissent perplexe. Présentés comme un moyen fiable et innovant de réduire de manière significative la consommationd’énergie pour l’utilisateur, ces smart meters voient leur efficacité discutée et nuancée par de nombreuses études, émanant aussi biend’instituts de recherche publique que d’entreprises privées.
Intelliekon : un projet coûteux pour des résultats discutables
La synthèse du projet Intelliekon livrée par l’institut de renommée mondiale Fraunhofer1 met en lumière divers aspects et conclusions ressortant decette période de test. Les économies d’énergie générées par l’introduction des smart meters font pâle figure : les gainsobtenus grâce au dispositif mis en place lors de cette longue phase d’essai ne dépassent pas les 30 euros annuels. Le Fraunhofer Institut doute sérieusement del’efficacité à long terme de ce nouveau système de lecture de la consommation d’énergie. L’étude évoque le poids des habitudes quotidiennesdu consommateur, qu’un simple outil technologique ne saurait réduire.
Le rapport publié par la société Yello Strom en partenariat avec le cabinet de conseil Frontier Economics2 nuance également les résultatsqu’engendrerait le déploiement national des smart meters. Selon les experts de ces deux groupes, le remplacement des compteurs de l’intégralité des foyersallemands – responsables d’un tiers de la consommation d’énergie du pays – coûterait entre 3,8 et 5,7 milliards d’euros. Or les économiesréalisées une fois ces compteurs installés ne sont pas intéressantes dans chaque cas de figure, bien au contraire. Les chiffres fournis sont édifiants : toutd’abord, le compteur intelligent à l’échelle nationale ne permettrait de faire des économies qu’à une petite partie des consommateurs, soit 15 %.Par ailleurs, plus un foyer consomme d’énergie, plus les gains produits par l’usage des smart meters sont importants. Et inversement. Le coût de mise en place etd’entretien du compteur serait cependant le même pour tous. Il y aurait donc quelques gagnants, pour beaucoup de perdants. Selon Yello Strom, seule l’utilisation des smartmeters par des foyers sélectionnés au préalable pourrait amener des bénéfices nets. Et la synthèse de préciser que cet investissement« sélectif » permettrait à l’État d’économiser 4,5 milliards d’euros : il engendrerait au total des bénéfices de71 millions d’euros par an, tandis qu’un dispositif national et obligatoire entraînerait un déficit de 218 millions d’euros par an. Une approche ciblée offriraitdonc de meilleurs résultats. Enfin, le prétendu impact positif qu’aurait sur l’environnement l’utilisation à l’échelle européenne dessmart meters est également contesté : le coût par kWh étant trop important.
Placer le citoyen au coeur du dispositif
L’unique moyen de rendre l’usage des compteurs intelligents efficace passerait par la révision de la place à allouer au consommateur au sein de ce processus. Evoquant lepostulat des chercheurs Kempton et Layne paru en 1994, selon lequel la consommation d’énergie est l’affaire des institutions, mais également celle des citoyens,l’équipe du Fraunhofer Institut s’est attachée à observer précisément la manière dont devrait s’établir le lien entre smartmeter et usagers. La façon dont l’information relative à sa consommation d’énergie est présentée à l’usager devrait, selon leschercheurs, être adaptée au profil sociologique de l’usager, à sa propre grille de lecture. L’une des conclusions indique également que plus cette informationest délivrée de manière ludique à l’aide de graphiques clairs, mieux elle est reçue et assimilée par le consommateur. Susciter la surprise etl’intérêt de l’utilisateur constituerait l’une des clés gagnantes dans cette volonté de transparence des chiffres et données.
Les réflexions formulées par les experts de Yello Strom et Frontier Economics abondent dans ce sens. Le groupe de recherche insiste en effet sur les conséquencesparticulièrement positives constatées lorsque l’utilisateur a choisi de son propre chef d’avoir recours au smart meter. Cette approche volontaire est celle qui permet defaire les économies les plus intéressantes. Yello Strom met l’accent sur l’importance du libre arbitre dans ce processus de mise en fonction des smart meters.
Cet avis est également partagé par Ulrich Ropertz de la Mieterbund (Association allemande de locataires). Selon lui, l’idée des smart meters sonne plutôtbien, mais force est de constater que ces compteurs ne sont pas si « smart » qu’ils paraissent de prime bord. Le porte-parole de la Mieterbund trouve l’idéed’une consommation encouragée en dehors des pics parfaitement inadaptée, rares seraient les usagers qui envisageraient de se lever en pleine nuit pour lancer une machine àlaver ou regarder la télé. Mettre au point un tarif de nuit semble donc être une réponse erronée à une question pourtant nécessaire. Concernant lapossibilité de connaître sa consommation en temps réel, U. Ropertz en souligne le bien-fondé. La transparence des informations constitue, selon lui, le seul point positifdu dispositif. « Malheureusement, ces compteurs intelligents reviennent cher et ce surcoût serait à payer par les locataires », déplore-t-il. Quant àl’impact environnemental, le porte-parole affirme également qu’il serait assez mauvais, puisque ces smart meters nécessiteraient finaleme
nt davantage de ressourcesénergétiques. Seul le recours volontaire à l’usage des compteurs intelligents aurait selon lui du sens. Mais si seulement un million de foyers allemandss’équipent en smart meters alors que les 79 millions restant ne diminuent pas leur consommation d’énergie, à quel résultat final ce dispositifamènerait-il ?
Smart hacking for privacy
En décembre 2011, Berlin accueillait le 28e Chaos Communication Congress. A cette occasion, des hackers ont montré la possibilité de pirater les smartmeters3. Ils ont découvert différents « bugs » de sécurité. Lors de la présentation publique, les hackers ontpointé deux aspects : d’une part, il serait par exemple possible d’identifier les programmes TV vus par les gens et, d’autre part, il serait possible d’altérer facilement lesdonnées transmises à un tiers et potentiellement de fausser le montant de consommation à facturer. La consommation pourrait paraître extrêmement élevéeou négative.
La présentation (1h) est visible sur YouTube :
http://www.youtube.com/watch?v=YYe4SwQn2GE
Baudouin Massart
1. www.isi.fraunhofer.de/isi-de/service/presseinfos/2011/pri11-13.php
2. www.frontier-economics.com/…/…kurzgutachten-en.pdf
3. http://events.ccc.de/congress/2011/Fahrplan/events/4754.en.html