Jacques Gobert est bourgmestre de La Louvière et président de l’Union des villes et des communes de Wallonie. Son avis sur les Sanctions administratives communales (Sac) est pour le moins réservé. Il dénonce un projet de loi qui fait porter sur les communes le poids des échecs de certaines politiques publiques
Alter échos : L’UVCW a remis un avis mitigé sur le projet de loi relatif aux sanctions administratives communales. Pourtant ces sanctions sont très utilisées par les communes…
Jacques Gobert : Les amendes administratives communales existent depuis plusieurs années. Elles se sont révélées assez positives car elles contribuent à faire diminuer le sentiment d’impunité. Car ces sanctions interviennent dans des délais très courts. Ce qui leur permet d’être pédagogiques. Cela a tout son sens car, avant la loi sur les santions administratives communales, la plupart des infractions répréhensibles n’étaient pas punies.
AE : Pourtant, l’efficacité des Sac n’a jamais été évaluée. On ne sait pas si elles ont un impact réel sur les incivilités.
JG : C’est vrai. Mais le citoyen qui reçoit un PV dans le mois qui suit son infraction est amené à réfléchir. L’enjeu est à considérer plus largement. Beaucoup de communes ne se contentent pas de cet outil répressif. Elles contribuent à développer le réseau associatif, les comités de quartier etc. Les Sac sont un levier supplémentaire quand la communication, le dialogue, sont infructueux. Une grande majorité de communes s’est investie dans l’application de ces sanctions. Dans ma commune, à La Louvière, il y a plus de 1 000 procès-verbaux par an, sur 1 300 infractions répertoriées. Huit cent sont des infractions environnementales.
« Une justice à caractère palliatif »
AE : Le projet du gouvernement étend encore plus les attributions des communes, pourtant, cela ne semble pas vous satisfaire.
JG : Avec les Sac, on transfère une partie des prérogatives de la justice vers les communes, sans transfert financier. Cet aspect prend encore plus de force dans le projet de la ministre. Nous disons qu’il faut faire attention à ne pas créer un système judiciaire parallèle. Certaines infractions graves, comme les coups et blessures volontaires ou le vol, pourront faire l’objet d’une sanction administrative communale. Ce qui dépasse les missions de maintien de l’ordre public des communes. Concernant le vol par exemple, cette infraction ne devrait relever que des juridictions pénales. On assiste à un désinvestissement de l’appareil judiciaire par l’Etat pour laisser le soin à une autre autorité d’exercer une justice à caractère palliatif, où les garanties ne sont pas équivalentes.
AE : Vous pensez que les communes vont choisir de ne pas appliquer de Sanctions aux auteurs de tels faits ?
JG : La difficulté est réelle, car nous sommes entre le marteau et l’enclume. Quand il y a des problèmes de sécurité publique, le citoyen se tourne vers le bourgmestre. Mais il oublie parfois que nous sommes les chefs administratifs de la police, pas les chefs judiciaires. Quant aux parquets, leurs priorités ne sont pas toujours en phase avec celles des citoyens. Donc, même si cette liste d’infractions nous pose un problème philosophique, quelle autre solution avons-nous que de l’appliquer ?
AE : Vos autres griefs concernent la police…
JG : En effet. On nous a vendu une réforme de la police qui devait être le principal maillon de la sécurité publique. Nous ne voudrions pas que cette loi sur les Sac soit le premier jalon posé vers un détricotage de cette réforme. Les communes vont avoir de plus en plus d’agents constatateurs (qui constatent les infractions, ndlr). Le risque existe que la police se décharge des cas concernés par les Sac sur les agents communaux. L’enjeu est d’éviter que les communes ne financent une police-bis.
« Je doute de l’efficacité des amendes pour les mineurs »
AE : Que pensez-vous des modifications apportées par le présent projet de loi aux règles qui concernent les mineurs ?
JG : Sanctionner un jeune de quatorze est un constat d’échec. Si la prise en main de la jeunesse était suffisante, si les politiques de jeunesse étaient efficaces, pourquoi devrions-nous infliger de telles amendes aux parents ? Là encore, si notre opposition est philosophique, quel autre choix avons-nous ? Si un bourgmestre se plaint d’un problème avec des jeunes, on nous répondra « vous avez l’arme des Sac ». Nous allons être le dos au mur.
AE : L’abaissement de l’âge des mineurs concernés par les Sac serait justifié par une baisse de l’âge auquel les jeunes commettent des incivilités. Avez-vous fait un tel constat dans votre commune ?
JG : Oui, les incivilités sont commises par des jeunes de plus en plus jeunes. La question est : est-ce que l’amende, pour un jeune de quatorze ans, est une bonne réponse à l’acte commis ? D’un point de vue personnel, je doute de l’efficacité des amendes pour les mineurs. L’abaissement de l’âge n’aura qu’un impact marginal sur le climat d’incivilité.
AE : Pourtant, Joëlle Milquet met en avant l’obligation de médiation qui est faite aux communes dans le cadre d’une sanction infligée à un mineur…
JG : La médiation a une dimension pédagogique, en cela elle est intéressante. Mais ce sont encore les communes qui vont se substituer à d’autres instances, en l’occurrence, celles de l’Aide à la jeunesse. Encore un palliatif sans transferts de fonds. Ceci étant dit, qu’il s’agisse de médiation ou de prestations citoyennes, ces mesures sont davantage porteuses au point de vue pédagogique que l’amende qui est payée par les parents. Au moins les jeunes travaillent et réfléchissent autour des faits qu’ils ont commis.
Rappelons donc les principales nouveautés apportées par la loi :
La liste des infractions dites « mixtes » (infractions pénales qui font partie du champ couvert par le fonctionnaire sanctionnateur de la commune) est étendue : Les faits de coups et blessures volontaires, les injures, le vol ou les voies de fait et violences légères.
Le coût de m’amende administrative augmente : de 250 à 350 euros pour un majeur, de 125 à 175 euros pour un mineur.
Une interdiction temporaire de lieu, en cas de trouble à l’ordre public, peut être décidée par le bourgmestre
Une sanction administrative pourra désormais être infligée à un mineur de 14 ans (avant, l’âge minimal était de 16 ans). Toutefois, la ministre de l’Intérieur met en avant une série de dispositifs censés encadrer l’utilisation des Sac pour les mineurs : Le fonctionnaire doit informer les parents des faits et solliciter leurs observations. Il peut rencontrer les parents et décider de clôturer le dossier. Le fonctionnaire a l’obligation de proposer une médiation. En cas d’échec il peut décider de mettre en place une « prestation citoyenne ». Enfin, le fonctionnaire peut adresser une amende, à charge des parents (ou du tuteur légal) du mineur.