L’asbl « Fauteuils volants » organise des activités où valides et moins valides vivent pleinement leur différence. Prochaine étape : la construction d’une résidence de vie solidaire à Woluwe-St-Lambert
Fondée en 2002 par des parents désireux d’élargir le champ d’activités de leurs enfants touchés par le handicap, l’asbl « Fauteuils volants »1 a su multiplier les activités basées sur la solidarité et la mixité où valides et moins valides échangent, créent et vivent dans le respect de leur différence. Une vraie bouffée d’air frais pour ces jeunes qui ont du mal à accepter le côté souvent rigide et exclusif des structures à même de les accueillir. Forts de leur expérience, les dirigeants se sont lancé un nouveau défi, et de taille : la construction d’un habitat groupé, baptisé « Jangada » (du nom d’un radeau brésilien hissé d’une grande voile, accessible à tous) sur le site de l’UCL à Woluwe-St-Lambert. Le projet est bien avancé, l’obtention du permis d’urbanisme et les plans d’exécution sont prévus pour la fin de cette année. Si le financement est bouclé à temps, les travaux pourraient commencer en milieu d’année 2014.
Christine Schuiten, présidente de « Fauteuils volants » : « Nos jeunes, souvent issus de familles nombreuses, ont peu de possibilités de vivre des activités à l’extérieur et par conséquent de couper le cordon ombilical. L’expérience aidant, nous nous sommes rendu compte que les gens changeaient à leur contact et que la mixité voulue au sein de nos activités agissait en symbiose, chacun s’apportant beaucoup sur le plan humain. Ces jeunes ont grandi et se sont posé des questions légitimes. Que vais-je faire de ma vie ? Devrai-je rester tout le temps chez mes parents ? Certains parents cherchant une structure d’accueil se sont vu proposer des centres du troisième âge ! C’est là que nous avons décidé de bouger, inspirés par la grande solidarité qui unit tous nos membres. »
Un espoir de subsides
Pour le moment, le plan financier de ce projet d’habitat groupé se construit sans subsides publics, mais tout espoir n’est pas mort. « Les prochains nouveaux décrets de la ministre Evelyne Huytebroeck, qui nous soutient très fort, vont faire que d’ici quelques années, nous pourrons bénéficier de subsides. Pour le moment, ce sont les structures de 12 personnes qui en bénéficient. Or nous désirons qu’il y ait moins de huit personnes à mobilité réduite dans ce groupe. Le projet « Jangada » comporte 17 logements avec une population de sept personnes moins valides, dont trois à grande dépendance, neuf logements pour valides, un kot à projet pour six étudiants, une salle polyvalente, un salon, des parkings… Il faut garder à l’esprit que cette cohabitation mixte ne doit pas être trop lourde pour les personnes valides pour que tout se passe au mieux. Nous savons que ce projet intéresse le plus grand nombre, nous avons déjà trop de demandes du côté des moins valides. Quant aux réactions des personnes non handicapées, notamment des étudiants, elles sont très positives. Chaque habitant sera totalement autonome et aucune activité ne sera imposée. Nous préconiserons qu’il y ait une activité commune par semaine, pour vivre avec plaisir cette solidarité et cette convivialité. Il y aura une personne référente externe, habitant sur le lieu ou pas, qui sera joignable à tout moment. Sans compter l’apport de certains bénévoles en cas de besoin. Nos jeunes moins valides auront leur emploi du temps, l’organisation de leurs soins et de leurs aides indépendamment des autres locataires. Enfin, le bâtiment est mitoyen à un kot d’étudiants infirmiers et médecins, on peut donc imaginer un pont entre les deux, avec rétribution bien sûr. Une commission d’admission sera constituée afin de choisir les sept personnes le mieux adaptées à vivre dans cette structure. Le projet suit bien son cours, nous sommes en ordre avec la commune qui nous apporte son soutien. Il faut juste boucler le budget, nous bénéficions de l’apport de grosses sociétés, de donateurs, CAP 48 nous a donné 50 000 euros, Le Soir 25 000, et nous organisons des conférences et des réunions pour informer au maximum. Les réactions sont vraiment excellentes. »
Le projet Jangada et le projet Les Pilotis2 (maisons d’habitation communautaire pour jeunes adultes peu autonomes), deux projets pilotes à Bruxelles, sont soutenus par la COCOF qui s’en est inspirée pour modifier prochainement les décrets d’attribution de subsides.
Les autres : un besoin vital
Autonomie et solidarité sont les mots qui reviennent systématiquement chez les personnes impliquées dans ce projet. Vivre sa vie, mais être aussi au service des autres. Laetitia Picrit a 23 ans et souffre d’un lourd handicap. Tétraplégique, elle se déplace en voiturette et peut jouir d’une autonomie de deux ou trois heures seulement. Pourtant, très indépendante, elle attend avec impatience la concrétisation du projet. « J’ai hâte de vivre entre personnes valides et moins valides, la mixité est ma priorité. Je suis ce projet depuis 2006, c’est dire mon enthousiasme. C’est tellement important pour moi d’avoir enfin mon propre appartement. J’ai visité plusieurs centres pour adultes qui ne correspondaient pas du tout à mes attentes. Depuis toute petite, je suis habituée à faire des activités avec d’autres, le contact représente un besoin vital pour moi. Quand je me rêve à Jangada, je me vois très active, créant une troupe de théâtre avec les étudiants et les autres habitants. J’ai hâte d’y être, mais la vie m’a appris à savoir, aussi, me montrer patiente. Il va falloir réorganiser mes journées, mais je sais que j’y arriverai. »
La maman de Laetitia Picrit, Liliane, souligne l’importance que revêt, pour sa fille, la perspective de se réaliser au contact des autres, et pas en vase clos entre personnes souffrant de handicap. Comme tous les parents membres de « Fauteuils volants », elle entrevoit là la solution idéale. « Lætitia a toujours privilégié des activités mixtes avec des personnes valides, désireuses de vivre comme tout le monde. Nous sommes une famille de cinq et Lætitia, qui a deux frères, a grandi avec l’idée d’accepter les différences de chacun et de franchir des étapes. Elle se déplace, fait les courses, se promène avec ses copines… Malgré les efforts qui lui en coûtent – elle a des lésions aux bras, aux jambes et au dos –, elle prend des risques avec le désir d’avancer et d’être le plus indépendante possible. Et elle prend avec humour le fait que certains, devant son défaut d’élocution, la prennent pour une demeurée, ce qui n’est absolument pas le cas ! Un logement en habitat groupé et solidaire, qui plus est tout près de chez nous, représente une formidable opportunité de se trouver un deuxième chez-soi. Et l’assurance qu’elle sera heureuse plus tard, quand nous ne serons plus là. »