Ils ne partagent pas toujours la même culture ni les mêmes trajets, mais se retrouvent depuis un an autour d’un potager collectif à Nessonvaux en région liégeoise. Qu’ils viennent de l’IPPJ, du centre pour réfugiés de la Croix-Rouge ou du centre spécialisé pour jeunes handicapés, cette mise au vert permet d’oublier le quotidien d’une institution et de favoriser les rencontres.
C’est un véritable chantier pour faire sortir de terre un jardin communautaire de l’ancien terrain de foot. Et il a beau ne pas cesser de pleuvoir, tout le monde y va de son coup de main pour retourner la terre sans s’inquiéter de voir ses pieds s’enfoncer peu à peu dans la boue. Il faut dire que le travail ne manque pas pour rénover l’ancienne buvette, mettre en terre plusieurs arbustes ou construire des hôtels à insectes avant l’hiver…
C’est à ce petit jeu que s’amuse Madi, 18 ans, en découvrant les joies de la menuiserie. Cela fait deux mois que le jeune réfugié, originaire de Guinée, est arrivé à Fraipont au centre de la Croix-Rouge. Pendant quelques heures, Madi sort de son quotidien de «candidat réfugié». «Travailler avec des menuisiers, c’est une première pour moi. En quelques heures, j’ai appris à couper du bois. C’est très motivant. J’aime beaucoup parce qu’au centre, je ne faisais rien, si ce n’est attendre que mon dossier avance au niveau administratif. Être dans ce jardin, cela me permet de penser à d’autres choses, de vivre un peu sans ce poids de réfugié, confie-t-il. Sur le chantier, cela m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes qui viennent d’un peu partout. Subitement, on s’intéresse à mon sort, on me demande ce que je veux faire, et j’explique ma situation. Le fait de parler, d’être écouté, réconforté, c’est important.»
«Être dans ce jardin, cela me permet de vivre un peu sans ce poids de réfugié.», Madi
Avec d’autres jeunes, il participe au projet «VerT l’Avenir», né d’une collaboration entre l’IPPJ de Fraipont, le centre de la Croix-Rouge de Fraipont et de l’Institut médico-social Notre-Dame de Cerexhe-Heuseux, un centre d’enseignement secondaire spécialisé destiné aux adolescents handicapés. Coordonné par l’asbl C-Paje (Collectif pour la promotion de l’animation jeunesse enfance), ce projet permet depuis novembre 2016 de rassembler des jeunes aux parcours divers autour de la construction de cet espace vert. C’est la fondation de la société Carmeuse qui soutient le projet pendant trois ans, à hauteur de 25.000 euros par an.
Un travail de longue haleine
Pendant cette première année, les animateurs du C-Paje se sont rendus dans les différentes institutions pour mener un travail de sensibilisation autour de la nature. «Cela a permis en quelques mois pour chacun des groupes de créer une réelle dynamique autour du potager, en découvrant une réalité ignorée par beaucoup de jeunes, à savoir le travail de la terre, en apprenant à semer, cultiver et récolter ce que l’on plante», explique Geneviève Cabodi, animatrice du C-Paje.
Cela dit, ce n’est pas la première fois que le C-Paje coordonne des actions avec ces trois institutions. «Cela fait huit ans qu’on travaille au sein de celles-ci. Jusque-là, on faisait des fresques, ce qui était à vrai dire plus simple à organiser qu’un jardin», plaisante Geneviève. «Même si les jeunes changent, le lien avec les éducateurs reste. C’est le résultat d’un travail de longue haleine dans chaque institution qui a permis de lancer l’idée du jardin», poursuit-elle.
Parmi les jeunes participants, beaucoup ne verront pas en effet le fruit de leur travail. Certains, notamment ceux de l’IPPJ et de la Croix-Rouge, auront quitté leurs institutions respectives avant le printemps. «Cela permet de travailler le côté solidaire et communautaire du projet: ce que je cultive, je ne le récolterai pas forcément. Mais c’est aussi toute la difficulté d’une telle initiative parce qu’un potager se fait sur du temps long, repose sur beaucoup de patience…»
Une vraie claque
Malgré les va-et-vient, chaque jeune y trouvera son compte, en quelque sorte. «Ce sont surtout pour ceux de l’IPPJ que les bienfaits sont le plus visibles, admet Geneviève. Le fait de se retrouver tout à coup face aux enfants porteurs de handicaps et au vécu de jeunes réfugiés permet aux jeunes de l’IPPJ de sortir d’une forme de victimisation et de reconsidérer plus positivement leur vie en institution. Ils en prennent plein la gueule, en somme, raconte Geneviève. Pour les enfants porteurs de handicaps, le potager est vécu plutôt comme une sortie, une animation dans la journée. Ce sera juste un moment chouette, et c’est déjà important. Pour les jeunes de la Croix-Rouge, le potager leur permet d’avoir des contacts. On n’est pas encore dans l’intégration, mais on commence à créer des connexions, notamment via les réseaux sociaux, qui permettent de sortir du centre, de la logique immigration-réfugié.»
«De voir des jeunes réfugiés faire tout pour aller à l’école, cela permet de ramener nos jeunes à un parcours scolaire qu’ils ont souvent abandonné.» Marc Civino, IPPJ de Fraipont
Du côté des institutions elles-mêmes, on reconnaît aussi les bienfaits d’une telle expérience. «Les jeunes découvrent qu’ils ne sont pas qu’un numéro, qu’ils ne sont pas qu’un statut à définir dans une case, celle de l’immigré. On sort des amalgames à travers l’échange avec d’autres jeunes», explique Elie Monteiro, animateur à la Croix-Rouge de Fraipont. Cela n’empêche pas une certaine réticence au début. «Simplement parce que, pour ces jeunes, travailler la terre, être au contact de la nature, c’est un réel dépaysement, poursuit Marc Civino, éducateur à l’IPPJ de Fraipont. Ils sont loin de cette réalité, mais, en insistant, et au bout de quelques journées, ils se sont laissé emporter par ce nouveau langage.» Au fil des mois, au gré des saisons, à côté de la découverte du potager, les jeunes s’intéressent au parcours des autres qu’ils rencontrent. «Ils se posent beaucoup de questions, ils sont très curieux. C’est à côté du jardin la découverte d’un autre monde, celui des migrants, du handicap, continue l’éducateur. De voir des jeunes réfugiés faire tout pour aller à l’école, pour s’impliquer dans leur scolarité, cela permet de ramener nos jeunes à un parcours scolaire qu’ils ont souvent abandonné. C’est une vraie claque.»
En savoir plus
«Jeunes en IPPJ : le rêve d’une vie ‘normale’», Alter Échos n°413, 25 novembre 2015, Manon Legrand.