S’insérer… Mais qu’est-ce que s’insérer ? Entre insertion professionnelle et insertion sociale, entre Union européenne et Belgique, entre cours de langue, formationet partenariats d’opérateurs de terrain, la thématique « Insertion sociale et professionnelle » a tenté de faire le tour d’une question complexe. Uneintroduction et trois ateliers plus tard, les conclusions sont nombreuses et variées…
« La pauvreté existe encore en Europe et en Belgique… », c’est par ces mots que Julien Van Geertsom, président du SPP Intégration sociale a choiside lancer les débats centrés sur le thème de l’insertion sociale et professionnelle. Des débats auxquels il a d’ailleurs lui-même contribué par unexposé traitant des « Expériences d’insertion dans les pays voisins ». Pour initier sa réflexion, Julien Van Geertsom s’appuie sur quelqueschiffres : en Belgique, 14,7 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (860 euros par mois pour une personne isolée ; 1805 euros par mois pour une famille de deuxparents et deux enfants), soit près d’un million cinq cent mille personnes. La moyenne européenne, elle, se situe à 16 %. Une zone européenne où, desurcroît, 10 % des ménages n’ont pas d’activité professionnelle, 20 % des gens n’ont pas accès à un logement décent et 44 % d’entre euxse révèlent sans connaissances relatives à l’Internet et à l’informatique, une condition presque sine qua non à une « bonne »insertion.
Si ces pourcentages sont autant de failles dans le modèle social européen, Julien Van Geertsom souligne que l’Union européenne a tenté de combler celles-ci enmettant en place la Stratégie de Lisbonne. Une stratégie qui s’est donné pour mission de moderniser le modèle social européen à l’horizon 2010 entravaillant sur deux axes : les ressources humaines et la lutte contre l’exclusion sociale. Julien Van Geertsom souligne cependant qu’à l’heure actuelle, les objectifs de Lisbonnene sont pas tous atteints. « Le fait est que, après Lisbonne, l’Union européenne a progressivement dévié vers des objectifs économiques en laissantle social quelque peu de côté », affirme-t-il. Une dérive que la Commission européenne a tenté de corriger en 2006 par la mise en place d’unestratégie globale de l’inclusion active que l’orateur définit comme suit : « L’inclusion active contient une triple dimension. Premièrement, il s’agitde garantir un revenu minimum nécessaire à la dignité humaine. Deuxièmement, il s’agit de relier des personnes fragilisées au marché de l’emploi.Troisièmement, il est impératif de développer un accès pour tous à des services de base de grande qualité. »
Dépasser le simple stade de la mise à l’emploi
Si la mise à l’emploi est une chose importante, Julien Van Geertsom souligne que cette démarche n’est pas la seule à compter dans le paysage de l’insertion. Danscette optique, le président du SPP intégration sociale souligne l’importance de l’activation sociale. « On ne peut pas assurer l’insertion de tout le monde par la miseà l’emploi, déclare-t-il à ce sujet. Mais cela ne veut pas dire que les gens qui n’entrent pas dans cette catégorie n’ont pas le droit des’insérer via d’autres canaux comme le volontariat, l’apprentissage d’une langue ou encore l’économie sociale. »
Afin d’augmenter les chances de mise en place de bonnes pratiques en matière d’insertion parmi les états membres, une méthode dite de « coordinationouverte » a d’ailleurs été mise en place au niveau européen. Le but de l’initiative est simple puisqu’il s’agit pour les 27 de définir une séried’objectifs communs en matière d’insertion et de mettre ensuite en place des plans nationaux d’inclusion sociale pour, finalement, partager les bonnes pratiques. Une forme d’apprentissagemutuel, de « Soft Law » chapeautée par la Commission. Les bonnes pratiques, quant à elles, ne manquent d’ailleurs pas. Julien Van Geertsom cite ainsil’exemple d’une expérience menée aux Pays-Bas, qui consiste à prendre en charge les personnes les plus éloignées du marché du travail pour leur proposer desactivités bénévoles, sportives ou culturelles. Ceci dans l’espoir de les réinsérer et, de cette façon, de les rapprocher de ce fameux marché dutravail.
Plus loin, l’« Equal programme », mené en Suède, est également mentionné. Cette initiative a pour objectif de regrouper desétudiants en travail social et des ex-bénéficiaires des services sociaux afin qu’ils puissent partager leur expérience en matière d’insertion. En Allemagne,ce sont les programmes « Förmig » (dont le but est d’améliorer la pratique de l’écriture et de la lecture chez les enfants en provenance de milieuxdéfavorisés) et « EQJ » (aides offerte aux jeunes défavorisés en transition entre l’école et le monde du travail pour accéderà un contrat d’apprentissage) qui sont cités. Pour la France, on parle de réduction de charges sociales pour les employeurs. Au Danemark, c’est l’apurement des dettes desplus défavorisés, dès lors que ceux-ci acceptent une formation ou un emploi, qui semble avoir la cote.
CPAS et clusters : de nouveaux partenariats en Belgique
On le voit, si une logique collective semble en œuvre aujourd’hui, en Europe, pour ce qui concerne l’insertion, il est intéressant de constater qu’un mouvement semblable existeégalement entre certains opérateurs en Belgique… En effet, à l’heure actuelle, les CPAS et autres acteurs de l’insertion socioprofessionnelle semblent de plus en pluss’orienter vers une démarche marquée du sceau du « faire ensemble au bénéfice des usagers ». Dans ce cadre, l’atelier consacré à cethème, juste après l’allocution de Julien Van Geertsom, a mis l’accent sur quelques exemples concrets de partenariat entre structures œuvrant aujourd’hui pour une insertiondurable ainsi que sur les effets positifs qui peuvent découler de ce genre d’initiatives.
Dans son introduction, Ricardo Cherenti, chef de service à la Fédération des CPAS wallons, a rappelé la complexité des politiques d’insertion sociale. Lamultiplicité des formes administratives de contrats, plans et dispositifs mis en œuvre pour lutter contre la précarité sociale dans le domaine de la formation et del’accès au marché du travail (« des dispositifs qui se chevauchent ou, pire, qui ne se chevauchent pas ») a également étéévoquée. Aussi, le partenariat apparaît-il comme l’un des leviers d’action pertinents
pour que les acteurs de l’insertion puissent poursuivre leurs objectifs, sans marcher sur lesplates-bandes les uns des autres et sans perdre les usagers en route.
Dans ce cadre, l’exemple des clusters, tant en Flandre qu’en Wallonie, peut être pointé comme l’une des incarnations très concrètes du principe de partenariatentre les CPAS (ou les OCMW) et les parties prenantes de l’insertion socioprofessionnelle, qu’elle soient des entreprises, des OISP ou des services publics comme les maisons de l’emploi. En Wallonie,les clusters se sont mis en place à la suite de la loi de 2002 sur le droit à l’intégration sociale dans le cadre, notamment, du programme pilote de regroupement« petits CPAS, petits clusters ». Ce programme pilote, précise Bernard Taymans, coordinateur du cluster de Braine-le-Château-Ittre-Rebecq, n’estcependant que la suite d’expériences de collaboration entre CPAS et autres structures publiques ou d’insertion socioprofessionnelle existantes. Il permet l’investissement du champ del’économie sociale par les CPAS, la création de sociétés coopératives à finalité sociale (SCFS) et la création d’emploi pour les publicsfragilisés du territoire. Ces développements sont désormais à portée de main des « petits acteurs locaux », puisqu’en collaborant entre eux demanière structurelle, ils multiplient leurs ressources et leur réactivité pour inventer des solutions aux maux de la précarisation de leurs usagers.
En Flandre, et plus précisément en Campine, le modèle du cluster est aussi l’un des maillons des pratiques de collaboration développées depuis la fin desannées ’90 par les acteurs locaux de l’insertion socioprofessionnelle. Exemple parmi d’autres, « ISOM » (Intergemeentelijke Samenwerking OCMW’s Middenkempen– un cluster regroupant Herentals, Grobbendonk, Herenhout, Katerlee et Vorselaar), a vu le jour en 2002, précise Leen Dries, l’ex-coordinatrice de la structure, etrassemble alors six CPAS, situés pour la majorité en milieu rural. Six ans plus tard, les résultats de la collaboration sont visibles : le taux de chômage de la zone estfaible (5,15 %) et le nombre d’ayant droit à l’intégration sociale est lui aussi peu élevé (165 en juin 2007). » D’où viennent ces statistiquesencourageantes ? Entre autres, des efforts combinés des acteurs traditionnels de l’insertion socioprofessionnelle pour développer des actions et des outils novateurs dans le cadre de la« méthodologie de l’emploi intégral ». En s’appuyant autant sur les programmes de transition professionnelle (WEP-plus), sur la possibilité de créerdes activités économiques par le biais de la mesure titres-services (120 aides ménagères employées), que sur les programmes du Fonds social européen, lecluster est arrivé à mobiliser les énergies pour favoriser l’emploi ou, du moins, l’accompagnement de ses usagers.
« Ces exemples précis ne sont qu’une pierre de l’édifice », souligne Sylvie Osterrietch, directrice exécutive du Forem Conseil qui décrit, eneffet, les maisons de l’emploi, les services publics de proximité et la convention cadre signée entre le Forem, les CPAS et la Région wallonne comme autant de ressources enmatière d’insertion socioprofessionnelle. Elle souligne également que ce sont avant tout des individus qui sont aux manettes des collaborations, qu’elles soient inter-services outournées vers des partenaires extérieurs. Et de conclure que le travail en réseau, basé sur la confiance et la connaissance des autres acteurs et la capacitéà renouveler ou mettre en cause ses pratiques professionnelles, est le préalable indispensable à la mise en œuvre de partenariats réussis entre les institutions.Quant à la place de l’usager dans cette organisation parfois tentaculaire de l’accompagnement socioprofessionnel, elle reste peu évoquée… et peut-être même unpeu floue.
La maîtrise de la langue : un outil d’insertion indispensable ?
Souvent évoquée comme facteur d’insertion, la maîtrise de la langue véhiculaire du territoire de vie est une question qui fait débat… Et débat il yaura lors de l’atelier consacré à ce thème et, plus particulièrement, à « La formation linguistique des immigrés en vue de leur intégrationsociale et professionnelle ». Prenant la parole, Nurhan Karacak, conseiller en formation de la ville de Aachen, souligne tout d’abord la difficulté qu’il y a à trouver unemploi en Allemagne lorsqu’on ne parle pas l’allemand. Une situation encore renforcée par un constat administratif pour le moins paradoxal : toute personne souhaitant entreprendre desétudes, et donc éventuellement apprendre l’allemand, se voit supprimer ses allocations de chômage… Une quadrature du cercle qui n’incite guère à l’optimismealors qu’un système apparemment complexe d’insertion à destination des immigrants existe à Aachen sous forme d’une brochure intitulée « MigrantTicket ». Divisée en « postes » ou « cases » symbolisant chacune des étapes d’insertion que l’immigrant est censésuivre, ce système et cette brochure, s’ils se veulent volontaristes, sont peut-être quelque peu complexes. Ce qui semble pousser Nurhan Karack à plaider pour une formationréaliste épousant les qualités des migrants… Une formation qui, en Allemagne, manque à l’heure actuelle cruellement de moyens. En 2008, seulement6 000 000 d’euros ont ainsi consacrés à cette matière. Il manquerait 20 000 professeurs et près d’un million deux cents mille heures de cours, conclutNurhan Karacak.
Du côté des personnes ressources, Michèle Mahia, coordinatrice du service Réinser du CPAS de Liège semble abonder dans un sens proche de celui de Nurhan Karacak.Plaidant pour une recherche active sur les bonnes pratiques concernant l’apprentissage du français, la coordinatrice souligne que bien des gens semblent « perdre leurtemps » dans les cours d’alphabétisation généraux. Michèle Mahia enchaîne ainsi en affirmant qu’il serait bon que les « apprenants »puissent d’abord travailler à un apprentissage de compétences professionnelles pour, ensuite, se former dans le domaine des langues si d’aventure ils n’ont pas le niveau requis. Deplus, souligne-t-elle, le milieu du travail, tout comme celui fréquenté lors d’activités culturelles ou sportives, se prête quelquefois bien mieux à l’acquisitiond’une langue que les salles de cours…
Jean-Michel Heuskin, directeur du Cripel (Centre régional pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) met, quantà lui, en avant l’absence d’une réelle politique d’accueil en Wallonie pour les immigrants. « On peut reprocher beaucoup de choses à la Flandre, par exemple, parrapport à leur politique en matière d’apprentissage de langues [NDLR : un sujet souvent abordé au cours de l’atelier] mais cette région a
au moins une politique enmatière d’accueil… », déclare-t-il. À l’en croire, si les choses se passent plutôt bien en Wallonie à ce sujet, ce n’est pas grâce à uneligne directrice impulsée par les politiques mais plutôt parce que les opérateurs ont décidé de s’entendre sans attendre… L’homme plaide donc pour la mise enplace d’une véritable politique d’accueil qui fasse également que chaque opérateur communique de manière claire par rapport aux services qu’il offre. Il est important,conclut-il, que l’État joue son rôle de régulateur dans le domaine de l’offre d’accueil ou de l’offre de cours de langues… Et Jean-Michel Heuskin de souligner ladifférence qu’il y a entre l’alphabétisation, à destination de personnes peu lettrées, et l’offre que devrait se voir proposer la part non négligeable de migrantssurdiplômés n’ayant pas besoin d’apprendre à lire et écrire mais bien de se familiariser avec une nouvelle langue.
L’insertion sociale et professionnelle dans les pays du Sud
Pour présenter une vision extra-européenne de l’insertion sociale et professionnelle, le CPAS de Liège avait invité, pour le troisième atelier, AngelicaHernandez Bravo, coordinatrice des actions de l’asbl « Vent du nord–Vent du sud », active au Chili. D’entrée de jeu, l’oratrice rappelle que si le Chili estperçu aujourd’hui comme un « pays émergent », de nombreux problèmes persistent, dont la pauvreté. Concernant celle-ci, la tendance est de ladéfinir sur la base du facteur « revenus » alors que la réalité est plus complexe et renvoie au fonctionnement économique même. « Ilfaut comprendre les exclus à travers un système de in et de out », insiste Angelica Hernandez Bravo. Sur un plan macro-social, les personnes ont ou n’ont pasaccès à l’emploi, aux biens de consommation, aux services. Sur un plan micro-social, les personnes ont ou non les capacités de mobiliser leurs ressources propres, leur capitalsocial. Pour lutter contrer la pauvreté, l’enjeu consiste donc à agir sur les capacités qu’ont les exclus à se mobiliser.
« Au cours des dernières années, le patrimoine des ménages chiliens pauvres s’est accru : ils possèdent machine à laver, appareilsélectroménagers, télévision, téléphone portable », déclare Angelica Hernandez Bravo. Ils ont pu accéder à ces biens deconsommation, d’une part, grâce à la baisse de prix de ces produits et, d’autre part, à cause du boom des ventes à crédit et des cartes de crédit.« Leur capacité d’achat a augmenté, ce qui leur a permis d’améliorer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes continue la coordinatrice. Mais il s’agit là d’uneforme éphémère « d’intégration sociale ». Le plus intéressant serait de pouvoir investir dans l’éducation car ces personnes n’accèdent pas auxétudes supérieures. » La ségrégation spatiale – héritage de la dictature – contribue également à l’exclusion : les populationsaisées et les populations pauvres vivent, en effet, dans des quartiers radicalement séparés. Ainsi, les personnes pauvres qui vont travailler comme domestiques dans les quartiersriches en ont souvent pour deux heures de déplacement à l’aller comme au retour. Ce qui n’est pas sans poser certains problèmes comme, par exemple, celui de la garde desenfants.
Pour contrer un système favorisant l’exclusion des plus pauvres, l’asbl « Vent du nord–Vent du sud » met sur pied des projets qui recourent à la« capacité communautaire ». Ainsi, dans le quartier de La Pintana (Santiago), des mères ont mis sur pied une garderie (accessible de 7h à 20h) pour lesenfants. Au sein de la garderie, qui accueille quinze enfants, chaque mère s’occupe des bambins comme s’il s’agissait des siens. En se relayant, elles peuvent chercher du travail, souvent loinde leur domicile. Elles appliquent ainsi le concept de communauté : « Je travaille pour mes voisins, mes voisins travaillent pour moi. » Si au départ, le butn’était pas d’en faire des spécialistes de la garde d’enfants, les femmes se forment néanmoins pour offrir un service de qualité. Un bémol : ces garderiesn’étant pas reconnues, elles sont peu appréciées des professionnelles. Néanmoins, il convient ici de préciser que leur but premier est de permettre aux mèresde travailler et non pas de concurrencer les garderies professionnelles. La garderie de La Pintana est soutenue financièrement par le CPAS de Liège – à raison de 2 000euros par an – et par les récoltes de fonds au Chili – également de 2 000 euros. Il est à noter qu’un centre d’appui scolaire existe également àValparaiso et qu’il accueille 35 enfants. Son budget annuel s’élève à 10 000 euros envoyés par l’asbl Vent du nord-Vent du sud.
Enfin, remarquons qu’une deuxième expérience portée par l’asbl vise à sensibiliser les institutions publiques des quinze régions du Chili au concept de« capacité communautaire », selon lequel « un projet fonctionne s’il vient des gens ». Dans ce contexte, les politiques publiques sontinvitées à être à l’écoute des demandes des gens sur le terrain, afin de répondre au mieux aux besoins de celles-ci. Un véritable challenge quinécessite des efforts considérables.