Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Carte blanche

«Je suis une jeune qui ne sait pas où est sa place.»

Ces articles ont été écrits par des jeunes lors d’ateliers Scan-R, le dispositif média innovant d’accompagnement à l’expression des 12-30 ans en Fédération Wallonie-Bruxelles.

18-09-2023
© Shutterstock

La jeunesse et la citoyenneté 

Par Fortuné, 24 ans, Liège  

De la citoyenneté 

Suis-je citoyen ? Dans ma vision des choses, être citoyen peut avoir différentes significations. Lors des élections, le citoyen se voit investi de pouvoirs supplémentaires qui lui permettent d’avoir un impact vertical. Impact vertical car il peut choisir les représentants politiques. 

En dehors de cette période, le citoyen est titulaire de pouvoirs moindres mais qui lui permettent d’avoir un impact horizontal. Dans ce cas de figure, il peut influencer les autres citoyens de la collectivité. Mais, son influence sur les élus s’affaiblit drastiquement. 

En somme, est citoyen celui qui en principe peut choisir ses décideurs et participer à la vie de la collectivité et y exercer une influence. 

Quid de la jeunesse ? 

S’agissant du jeune, peut-il se considérer comme un citoyen ? Selon la définition que nous avons choisie, le jeune semble ne pas rentrer dans le cadre de la citoyenneté. En effet, peut-on affirmer que le jeune a un impact horizontal dans la collectivité ? Ma réponse est négative car dans la société actuelle, la parole du jeune est, par principe, disqualifiée. 

Donc, de ce postulat, mécaniquement, le jeune n’est qu’un « demi-citoyen » car il n’a pas d’impact sur les autres citoyens. 

Concernant l’impact vertical, le droit de vote s’acquiert à l’âge de 18 ans dans notre pays. Le jeune aura théoriquement cet impact, mais ce dernier sera d’une faible intensité car il n’a pas coutumier à l’exercice du droit de vote. 

Ainsi, le jeune est un citoyen avec un statut spécial qui rend sa place dans la collectivité très particulière et difficile. 

Avoir sa place dans la société 

Par Eloïse, 20 ans, Louvain-La-Neuve 

Ai-je trouvé ma place dans la société ?  

Me sens-je à ma place dans la société ?  

Ai-je ma place dans la société ?  

Ces trois questions sont semblables dès lors qu’elles parlent de l’être humain dans la société, mais leurs interprétations divergent de par les nuances que leurs réponses apportent.  

Ai-je trouvé ma place dans la société ? Pour répondre à cette question, il faut dans un premier temps la comprendre et l’apprivoiser. Que signifie trouver sa place ? Nous vivons dans un temps où nous avons la sensation de toujours devoir se rattacher à telle ou telle chose pour pouvoir ressentir notre appartenance. La société telle qu’elle est aujourd’hui regorge de partis, d’associations, d’activités, de métiers.  

Moi, je suis étudiante en psychologie. J’adore mes études car elles me donnent le sentiment que j’exercerai un métier qui me correspond. Je suis cheffe baladins, j’aime être en contact avec les plus jeunes et être au sein d’un échange mutuel de positivité. Je fais partie d’une troupe de théâtre et cela me stimule jours après jours. Je suis au sein d’une ASBL qui promeut la parole de la jeunesse ce qui me permet de me rendre utile.  

Nous pourrions donc dire, dans un certain sens, que j’ai trouvé ma place dans la société : je suis future travailleuse, je sais où je vais et je sais ce que je fais. Ainsi, en partant du principe que trouver sa place est être actif dans une ou plusieurs branches de la société, je le suis.  

Pour ce qui est de la seconde question : me sens-je à ma place dans la société ? C’est une autre paire de manches. C’est quelque chose de répondre à l’affirmative à la première question, c’est-à-dire d’être un pion dans le grand jeu, mais c’est autre chose que de trouver un sens à ce grand jeu.  

Les règles sont simples, on doit être actif. Le ressenti en est tout autre, suis-je actif car je dois l’être ou suis-je actif car cela me correspond-t-il ? Je pense que pour le moment je me sens à ma place dans la société car je ne reste pas figée dans une partie de celle-ci. Comme dit plus haut, je fais diverses choses et variées qui me permettent dans une certaine mesure de me sentir à ma place car cette dernière n’est pas fixe. En effet, je ne me sentirai pas à l’aise si je restais dans l’entre-soi, ne consacrant du temps qu’à mes études en suivant simplement ce que le grand jeu de la société a décidé pour moi. Je me sens à ma place car, grâce aux différentes activités que j’entreprends, je rencontre de plus en plus de personnes. Je ne vis pas mon jeu en solitaire, mais en équipe.  

Quant à la troisième question : ai-je ma place dans la société ? Elle prend en compte le fait que le jeu est truqué depuis le départ. Oui, j’ai ma place dans la société car je viens d’une famille de la classe moyenne qui a su me permettre de suivre des études. J’ai eu le bon pion au début de la partie. Ce n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde. C’est-à-dire que le jeu a ses propres règles, mais que ces règles ne sont pas équitables. Le point de départ est truqué, avoir sa place dans la société n’est pas égale pour tout le monde. C’est un mécanisme à double sens, on peut se sentir à sa place, mais la société peut ne pas nous considérer à notre place.  

Ces trois questions mettent en exergue toute la complexité et les incohérences de notre société. Nous vivons dans un grand jeu avec des règles inégales. Nous sommes des pions qui pour se rattacher aux jeux devons s’investir dans telle ou telle cause. Nous avons l’impression de devoir avancer pour gagner. Et si le jeu trouve que nous ne sommes pas assez performants pour lui, il écartera le pion de la partie.  

L’idée qui me vient en tête serait d’espérer, qu’un jour, tous ces pions mis à l’écart puissent recréer leur propre jeu, leur propre société avec leurs envies et leurs droits. Que le jeu et ses règles découlent des pions et non l’inverse.  

Votes blancs, sièges vides ! 

Par Corentin, 19 ans, Anderlecht 

A moins d’un an des élections, la question est dans la tête de nombreux électeurs : pour quel parti voter ? Gauche ? Droite ? Extrêmes ? Les mêmes débats, pour convaincre les autres de suivre son choix politique, vont refaire surface sur les plateaux télévisés et dans les journaux mais également au sein des familles. Chacun tentera de démontrer que le parti qu’il soutient possède LA solution mais dans ce vacarme d’échanges politiques, une partie de la population restera silencieuse : celle ne sachant pas pour qui voter ou se désintéressant des enjeux électoraux. Partout en Europe, nous assistons à une fracture entre les mandataires politiques et une partie de la population se soldant par un vote blanc dans l’urne quand celui-ci n’est pas nul ou tout simplement inexistant. Une question est donc à se poser : les votes blancs sont-ils suffisamment pris en compte ? Et si non, comment pouvons-nous améliorer leur prise en considération dans la machine démocratique ? 

En Belgique, les votes blancs mais également les bulletins de vote considérés comme nuls sont comptabilisés mais il n’en résulte aucune incidence politique. Avec un peu de chance, leur nombre sera énoncé voire tenté d’être expliqué dans la presse quand il n’est pas, tout simplement, laissé de côté lors de l’annonce des résultats électoraux. Les votes blancs confortent donc la majorité étant donné qu’ils ne représentent pas une opposition à son statut. Face à ce problème, une solution est envisageable : créer un parti constitué de bulletins blancs ! L’idée est de tenir compte de ces derniers lors de l’attribution des sièges au sein des différentes niveaux de pouvoir en laissant vides les sièges qui devraient être occupés par ce « parti de votes blancs »  sans pour autant modifier le nombre de sièges nécessaires pour obtenir une majorité politique. Si les votes blancs représentent 15% des résultats électoraux, il reviendra aux partis politiques (85% des votes) de mettre en place une coalition afin de réunir 50% des sièges de l’hémicycle malgré qu’une partie de ces derniers soient vides. 

Quels sont les avantages de ce système ? Tout d’abord et comme il en ressort au terme de l’introduction, cette modification institutionnelle permettra de visualiser concrètement et de tenir compte, au sein des pouvoirs législatifs, de la part de la population n’ayant pas trouvé de partis politiques répondant à ses attentes. De plus, cette modification rendra également plus complexe la formation d’une coalition. Les différents partis seront donc d’autant plus motivés à comprendre ce que recherche la population ayant voté blanc et, ainsi, à proposer un programme politique répondant davantage à leurs points d’intérêt. Cette adaptation permettra de faciliter la mise en place d’une coalition parlementaire lors des prochaines élections tout en étant davantage en phase avec le point de vue des électeurs. 

Au-delà des avantages institutionnels que l’on pourrait apparenter à des avantages de forme, il existe une véritable plus-value de fond : empêcher que l’absence de votes ou que les votes blancs ne bénéficient aux extrêmes. Il semble évident que les électeurs de ces partis sont davantage déterminés à aller voter contrairement à ceux n’étant convaincus par aucun parti et, ce, même si le vote est obligatoire. Ce constat couplé au fait que les électeurs ayant voté blanc ne sont pas représentés au sein des hémicycles a pour conséquence une surreprésentation, notamment, de l’extrême droite au sein des pouvoirs législatifs. Valoriser le vote blanc et nul lors de la répartition des sièges permettrait de constituer des assemblées plus représentatives de la population en encourageant les personnes ne sachant pas pour qui voter à se présenter aux bureaux de vote pour exprimer leur point de vue. 

Un dernier point important concerne la création de nouveaux partis. La prise en compte des votes blancs mettant en avant la population « non-convaincue » par les programmes actuels des partis politiques permettra à de nouveaux mouvements citoyens de voir le jour et de prendre une place au sein du paysage politique. Or la formation de nouveaux partis contribue à faire vivre la démocratie et à son innovation afin de garantir sa constante évolution. 

A moins d’un an des élections et alors que tous les partis politiques sont rivés sur leur campagne électorale, la question de la prise en compte des votes blancs mais également des votes considérés comme nuls n’est pas à mettre entre parenthèses d’autant plus dans un pays où le vote est obligatoire ! Bien au contraire, elle est essentielle au sein d’une démocratie semblant se figer sur elle-même et ne permettant pas de répondre à la fracture politique actuelle et future. C’est en prenant en compte l’avis de la population n’étant pas convaincue par les propositions politiques des différents partis que nous pourrons encourager toutes les tranches de la population à se déplacer pour venir déposer leur vote dans l’urne et, ainsi, constituer des assemblées plus représentatives ! 

Là où est ma place 

Par Victoria, 25 ans, Liège 

 

Je suis une jeune qui ne sait pas où est sa place. 

Je ne le sais pas parce que la société est très complexe et intimidante. 

En effet, si tu n’as pas un bon travail avec un bon salaire, tu es considéré comme un moins que rien. 

Ce qui fait que les jeunes perdent leurs rêves et se résigne à se caser dans les boîtes définies par la société. 

 Je suis actuellement chômeuse avec aucune idée de ce que je veux faire dans la vie, car j’aimerais faire quelque chose que j’aime et pouvoir en vivre.  

Mais dans notre société, faire de ce qu’on aime un métier n’est plus une option facile. 

Ce qui fait que les jeunes sont obligés de faire comme les autres parce que ça marche et paye bien. 

 Moi je trouve cela triste de devoir rester dans cette boîte miteuse que la société nous donne pour son propre intérêt. 

Et, en tant que jeunes, on a rien à dire là-dessus, je trouve cela injuste. 

 

À la traine 

Pierre, 25 ans, Liège 

Je sais bien qu’il ne faut pas, c’est mauvais pour la santé mentale. Mais c’est vraiment trop difficile de ne pas se comparer aux autres.  

Je suis sur le point d’avoir 26 ans. À un âge où la très grande majorité évolue depuis un moment dans le monde du travail, me voici qui atterrit délicatement, telle une graine de dandelion, dans la fournaise du marché de l’emploi. À un âge où les meilleurs font leur doctorat et où les plus motivés ont plus de sept ans d’expérience de travail, je débarque tout fraichement avec mon petit bachelier et aucune expérience à brandir. 

La place des jeunes dans la société et dans le monde du travail, c’est celle de l’apprentissage. Lorsqu’on voit un jeune se présenter, on ne voit pas ce qu’il est mais ce qu’il pourrait devenir. On ne voit pas ses fautes mais ses futures qualités. Bénéficierai-je de la même miséricorde ? 

Vous savez, je n’en suis pas arrivé là parce que je voulais repousser mon entrée dans le monde des adultes le plus possible. J’étais simplement si perdu, et si démuni ? 

Cette impression de tournis à l’approche de la vie active ne m’a jamais quitté et souvent, je dois lutter pour m’empêcher de trop m’en vouloir. Je n’ai pas eu votre force et votre sens de la direction, et, à force de me perdre, je me suis retrouvé à la traine. 

Ce qu’il me reste à dire à la société c’est : navré du retard, vous reste-t-il une petite place malgré tout ? 

 

Bouches émissaires, Jeunesses ardentes
Ce livre reprend les textes d’une centaine de jeunes que Scan-R a rencontrés durant l’année 2022 lors d’ateliers et du Laboratoire social et médiatique organisé en novembre 2022.
Cet ouvrage reprend les récits de jeunes à propos de quatre thématiques: Écologie, Genre, Migration et Scolarité et est le second recueil édité par Scan-R, après Bouches émissaires, Jeunesses confinées, publié en 2020 qui mettait en avant le vécu des 12-30 ans durant le confinement et la crise sanitaire inédite.
Pour plus d’infos: www.scan-r.be

Alter Échos

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)