Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Archives

Jérémy, ex-délinquant, futur maçon… en Afrique

Rencontre avec Jérémy, qui vient de rentrer d’un « séjour humanitaire de rupture » en Afrique.

27-03-2009 Alter Échos n° 270

Les « mineurs délinquants » font régulièrement l’objet d’études, de séminaires, de colloques réunissant les sommités desmondes politique, judiciaire et de l’éducation1. Mais les jeunes eux-mêmes, on les entend plus rarement… Rencontre avec Jérémy, qui vient de rentrerd’un « séjour humanitaire de rupture » en Afrique.

À quelques pas du Palais de Justice de Nivelles et de son tribunal de la jeunesse, une maison accueille des jeunes en semi-autonomie. Défaillance parentale, petitedélinquance, les raisons de quitter le nid familial avant l’heure sont rarement joyeuses. Jérémy passe ici les mois qui séparent sa sortie d’une Institutionpublique de protection de la jeunesse (IPPJ) de sa prochaine majorité.

« J’avais jamais pris l’avion. J’ai jamais vraiment voyagé avant. J’étais en IPPJ quand on m’a proposé de partir là-bas. Je me suis dit que c’étaitl’occasion de tester mes capacités. Mes capacités à travailler, je veux dire. Je ne savais pas que j’en étais capable. En fait, je ne voulais pas. Avant, j’ai faitdes conneries. Vols de scooters, vols de voitures, des trucs comme ça… J’ai eu de la chance, on peut dire, parce que tu peux aller en prison à 16 ans si le juge est dessaisi.Bon, j’ai été placé en IPPJ et puis, on m’a proposé de faire un projet humanitaire au Bénin. C’est bien là-bas. Ça m’a aidéà comprendre que j’ai pas besoin de voler pour gagner de l’argent. Je peux travailler. Maintenant, si je fais encore des conneries, c’est directement la prison, j’aurai18 ans dans trois jours. Dix-huit ans, c’est pas trop jeune pour travailler, là-bas, ils commencent à treize ans… »

L’allure nonchalante, casquette et jogging de rigueur, Jérémy sourit d’un air candide. Dix-huit ans dans trois jours, donc. Les bonnes âmes diraientqu’il a la vie devant lui. Une vie, en tout cas, à laquelle il va devoir se raccrocher : à sa majorité, il devra se débrouiller pour trouver du boulot ou uneécole qui accepte de l’inscrire – « j’ai décroché en 4e, j’ai perdu une année à cause de l’IPPJ et puis, il y a eu leprojet au Bénin… ». Trouver un logement aussi. « Pour l’instant, il vit dans ce studio en semi-autonomie. Ici, les jeunes apprennent à se faire à manger,à laver et repasser leur linge. On a obtenu quelques semaines de délai supplémentaire pour que Jérémy puisse trouver autre chose et s’inscrire dans un projetconstructif. Ce n’est pas facile », explique son éducateur, Christian Bouma, de l’asbl Aide à l’Enfance2.

« L’IPPJ, ça ne sert à rien »

Quand les sujets sensibles viennent sur la table, le regard de Jérémy vagabonde. Pas envie de parler de certains souvenirs. « Dans ma vie, je me suis bien amusé, maisj’ai connu la galère aussi », dit-il pudiquement. Il fait partie du premier contingent de jeunes qui a testé « le stage humanitaire de rupture »3,nouveau projet pilote subventionné par le cabinet de la ministre de l’Aide à la jeunesse, Catherine Fonck (CDH). L’idée, c’est de permettre à des jeunespour qui les méthodes éducatives traditionnelles ont échoué, de rompre avec un milieu délétère, de provoquer un électrochoc bienveillant pourleur redonner confiance en eux et l’envie de redémarrer sur des bases plus saines. Pour Jérémy, c’était visiblement une bonne piste. « L’IPPJ,ça ne sert à rien, ça sert juste à faire plus de conneries. T’es là, enfermé, tu dors, tu te fais chier. Moi, ça ne m’a pas aidé.Le Bénin, ça, ça m’a aidé ». À voir le sourire qui éclaire son visage à chaque fois qu’il énonce le mot « Bénin», on croirait qu’il prononce une formule magique. « Mais faut pas croire, j’ai bossé dur, c’était pas des vacances ! »

Sur les trois mois qu’a duré le séjour, le jeune homme a participé à la rénovation d’un orphelinat – « j’ai véritablementappris à peindre et puis, le contact avec les enfants était super », explique-t-il. Il s’est familiarisé avec les techniques de menuiserie en construisant unebibliothèque, et de l’aménagement de jardin. Le dernier mois, il s’est aussi formé à la maçonnerie avec un professionnel béninois. « Lestechniques sont les mêmes qu’ici sauf qu’ils n’ont pas de machines pour creuser le sol, on a tout fait à la pelle et à la pioche. » Il a tout aimé,même s’il avoue une petite préférence pour la maçonnerie. « J’ai entièrement construit une paillote seul ! Je me vois bien me lancer dans lamaçonnerie, ça me plaît et je sais qu’on peut bien gagner sa vie avec ce métier. »

Le voyage a tout de même connu un couac sérieux. Parce que Jérémy n’a pas pu s’empêcher de « faire une connerie ». «J’ai pas volé un scooter. Là, ils m’auraient brûlé vif si j’avais fait un truc pareil », explique-t-il rigolard. « Mais, c’étaitquand même grave, j’ai tué un coq avec un autre gars. C’est un animal sacré. Ça m’a valu une semaine dans la brousse. En isolement, quoi. »L’événement ne l’a pas traumatisé outre mesure puisqu’il serait bien resté un mois de plus dans le pays pour poursuivre les chantiers entamés.« J’ai gardé tous les numéros de téléphone. Des éducateurs, des cuistots, des jeunes. Ils sont trop sympas. J’ai très envie d’yretourner ! En tout cas, ça me donne envie de voyager, de connaître toute l’Afrique. »

Ici, même s’il déplore le manque de soleil, il reconnaît qu’il existe aussi plus de possibilités de faire véritablement quelque chose de sa vie. Resteà se trouver un modèle à suivre, des repères… Avant-dernier d’une famille de six enfants, il avoue son admiration pour sa sœur aînée.« Elle aussi, elle était en autonomie à 16 ans. Aujourd’hui, elle a un travail, elle a acheté une maison, elle a un enfant avec son compagnon. Elle a bienréussi… »

Et demain ?

« – Comment vois-tu ton avenir dans dix ans, Jérémy ?
– Je serai au Bénin, c’est sûr !.
– Et dans deux ans, où seras-tu ?
– Dans deux ans, je serai en train de terminer mes études. Ça passe vite, deux ans. Pour devenir maçon. Ou peut-être éducateur. Ça a l’air bien aussicomme boulot, &
eacute;ducateur… Je ne sais pas si je pourrais. Faut faire des longues études pour ça. Je ne sais pas…
– Tu vas fêter ton anniversaire dans trois jours ?
– Pourquoi ? Avoir dix-huit ans, c’est comme avoir cinq ans, qu’est-ce que ça change ?
– Et demain, tu fais quoi ?
– Demain… demain, je vais voir mon grand frère. Il sort de prison. »

Un projet qui nécessite encore quelques ajustements

Les premiers jeunes sont donc partis l’automne passé pour trois mois de rupture supervisée au Bénin, au Burkina Faso ou au Maroc, et commencent tout doucement àrentrer au pays. S’il est encore trop tôt pour juger de la pertinence du projet, le Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse (CCAJ) a tenu à remettre un avis« majoritairement positif » mais tempéré par quelques réserves. L’avis stipule notamment que « le CCAJ est plus inquiet sur des projets de rupture de typehumanitaire qui prévoient des plus longs séjours dans des pays où la loi pénale pour les mineurs est beaucoup plus répressive qu’en Belgique et où lagarantie d’un rapatriement en cas de problème ne peut être effective. »

Nathalie Van Innis, responsable psychosociale de la cellule Cap Solidarité de l’Amarrage (Service d’accueil et d’aide à la jeunesse), l’une des associationsmandatées pour organiser ces séjours, reconnaît que le projet doit effectivement encore subir quelques ajustements. « Nous devons encore affiner notre projet par rapport auxprofils des jeunes que l’on reçoit. Jusqu’à présent, chaque association a connu un rapatriement. Chez nous, cinq jeunes sont partis et l’un d’eux a dû rentrerau bout de deux mois. Mais, même pour lui, on ne peut pas dire que l’expérience a été un échec ». Au rang des réussites, Nathalie Van Innis citele cas d’un jeune qui s’est découvert de réelles compétences pédagogiques et a donné cours à des enfants de l’orphelinat. « Lesjeunes étaient dans un département prioritaire en termes de développement. Ils ont travaillé sur une série de petits projets, ce qui leur a permis de voirrapidement le résultat concret de leur travail. »

Pour Christian Bouma, l’éducateur spécialisé qui suit Jérémy, le choix du continent africain est particulièrement judicieux. « Je suisoriginaire de Brazzaville. Dans la plupart des pays d’Afrique, les enfants sont élevés par la famille élargie. C’est pour ça qu’ils font moins debêtises. Il y a un cadre important, à la fois qui protège et qui surveille. Ici, l’individualisme prime. Ce n’est ni moins bien, ni mieux, il faut faire avec. Envoyerdes jeunes en Afrique, c’est une belle expérience. Pour le jeune qui découvre une hospitalité typique et pour les villages qui accueillent ces jeunes, c’est aussi unerichesse de découvrir une autre culture. »

1. Les 23 et 24 mars derniers, à Bruxelles, un important congrès sur la délinquance juvénile était organisé à l’initiative du ministre de laJustice et le service de la Politique criminelle.

2. Asbl Aide à l’enfance et l’Amarrage :
– adresse : rue de la Croix, 68 à 1420 Braine-L’Alleud
– tél. : 02 384 05 38
– site : www.amarrage.be
3. Voir Alter Échos n° 265.

aurore_dhaeyer

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)