Quand on parle de social… le sport n’est jamais bien loin. A tel point que certains estiment qu’on lui en demande beaucoup. Approche de la question avec Jean-Michel De Waele, doyen de la faculté des sciences sociales et politiques de l’ULB et Olivier Schmitz, de l’UCL.
Alter échos : On affirme souvent que le sport est un vecteur d’intégration sociale, de cohésion sociale. A quel niveau de pouvoir cela se joue-t-il ?
Jean-Michel De Waele : Comme toujours en Belgique c’est un peu compliqué. Au niveau fédéral, il y a peu de choses. Les communautés ou les régions financent certains projets (NDLR par exemple de cohésion sociale). Mais c’est surtout dans les communes, dans les écoles, dans certains clubs sportifs, qui reçoivent des subsides, que des politiques d’insertion sociale peuvent être mises en place. Reste à savoir où l’insertion sociale commence… car, de plus en plus, on fait jouer au sport un rôle globalisant.
AE : Vous pensez qu’on en demande trop à la pratique sportive ?
JMDW: Le sport, le mal-aimé des élites est convoqué en permanence pour résoudre mille difficultés. Un jour il est pratiqué en prison pour aider à la réinsertion. Un autre pour lutter contre le racisme, un autre jour pour résoudre les problèmes de jeunes en difficulté. On prête au sport des vertus magiques comme s’il suffisait d’en pratiquer pour que tout aille bien. On surinvestit le sport dans la cohésion sociale. Attention, je ne dis pas que le sport ne sert à rien, mais il faut investir le reste.
AE : Comment expliquez-vous cette tendance à surinvestir la fonction symbolique du sport ?
JMDW : C’est assez idéologique de dire que le sport est la seule façon de s’en sortir. Un peu comme lorsqu’on cantonnait les Noirs américains à la boxe. Avec des projets de cohésion sociale qui ne visent que le sport, on sous-entend que ces jeunes ne vont pas s’en sortir par les études. Que les jeunes maghrébins, c’est par le sport, par le physique, qu’ils vont trouver leur voie. Par conséquent c’est cet ascenseur social qu’il faudrait leur offrir.
AE : Malgré tout, le sport est souvent présenté comme ayant des qualités éducatives
JMDW : Lorsqu’on parle de cohésion sociale, offrir des salles de sport ne sert à rien sans un renforcement du niveau éducatif. Le sport peut aider si d’autres outils sont mobilisés. La pratique du sport devrait être un prétexte, pas un but en soi.
AE : Il existe aussi des écoles sportives…
JMDW : Je suis très sceptique sur les écoles sportives, ou les options sportives dans les écoles qui sont souvent des options poubelles, de petite quantité et de piètre qualité… et qui donnent rarement lieu à l’émergence de grands sportifs. Rappelons que très peu de personnes vivent d’une pratique professionnelle du sport. Il faut concevoir une politique de cohésion sociale globale et éviter les filières où la moindre blessure signifie diplôme au rabais.
AE : Le sport a tout de même des vertus à vos yeux…
JMDW : Le sport reste un vecteur fantastique de lien social, qui est sous-estimé. Il y a tout ce sport amateur qui mobilise énormément, qui crée des rencontres. Le club sportif est un lieu de socialisation, la pratique du sport favorise le lien social. Il y a beaucoup de gens seuls qui attendent leur match de mini-foot hebdomadaire pour voir des gens. Le sport mobilise des jeunes, des parents, parfois un comité des fêtes, le gars à la buvette. Les pouvoirs publics doivent encourager ce lien social.
AE : C’est donc avant tout un lieu de rencontres
JMDW : Oui, le sport favorise la rencontre, mais il n’y a pas que le sport qui permet ça. Il faut faire attention. Je n’aimerais pas que le sport reste associé aux classes populaires et la culture aux élites, et c’est ce que je crains parfois que l’on offre.
Bruxelles : l’inégalité par le sport
Olivier Schmitz est anthopologue et sociologue à l’UCL. Il s’est penché sur le thème de l’intégration par le sport par le biais d’une « enquête ethnographique comparative », à Saint-Josse et à Woluwe-Saint-Lambert. Partant du principe que « le sport occupe une place centrale dans les politiques d’intégration mises en place par les pouvoirs publics en raison des vertus socialisantes qu’on lui accorde », Olivier Schmitz constate que l’efficacité de ces politiques est en grande partie « conditionné par l’idéologie et les fins poursuivies par les décideurs ».
Le chercheur est donc allé observer des terrains de sport, des espaces publics, des clubs sportifs. Il a interviewé des jeunes, des responsables de clubs, des fonctionnaires communaux en charge de l’animation sportive et d’autres connaisseurs des terrains locaux.
La commune riche, la commune pauvre. L’un est très petite et contient peu d’espaces dédiés aux loisirs, l’autre, au contraire, bénéficie d’une offre abondante. Population étrangère hors Union européenne importante à Saint-Josse, alors que Woluwe est plutôt le fief d’Européens fortunés. Woluwe-Saint-Lambert et Saint-Josse : deux mondes que tout oppose.
A Saint-Josse, les politiques sportives (principalement le mini-foot), « ont pour but d’intégrer, d’éduquer une jeunesse perçue comme à la dérive », constate le chercheur. Alors qu’à Woluwé, « les activités sportives n’ont pas cette orientation sociale ou éducative. Elles ne sont pas un moyen, mais une fin ».
Cette façon de concevoir le sport à Saint-Josse, ce « modèle normatif d’éducation » peut avoir « un effet rebutant pour les jeunes visés et donc renforcer les inégalités sociales dans l’accès aux infrastructures sportives », peut-on lire dans l’enquête.
Et Olivier Schmitz d’en tirer quelques conclusions : « L’intégration sociale par le sport est une idée séduisante car elle crée l’illusion qu’il suffirait de faire en sorte que les jeunes de milieux défavorisés, qu’ils soient issus ou non de l’immigration, pourraient plus facilement s’intégrer à la société s’ils avaient l’occasion d’exercer régulièrement (…) un sport. C’est oublier que les jeunes issus de milieux défavorisés sont souvent en décrochage scolaire et sont facilement rebutés par les aspects rigides et trop structurés des animations sportives. »
L’étude, l’une des rares à s’intéresser au sport en Belgique, a été publiée dans la revue Recherches sociologiques et anthropologiques en 2011.
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Florilège sportif chez Alter
Il n’est pas rare que l’on parle de sport dans nos colonnes. Bien souvent, le sport est présenté comme un vecteur de mobilisation des publics, notamment des jeunes. Une façon de les faire « mordre à l’hameçon ». Mais là où certains dénoncent les logiques purement occupationnelles, d’autres utilisent le sport pour faire avancer leur public vers autre chose.
En janvier dernier, nous vous présentions le projet Fefa, à Anderlecht (AE n° 352). Où l’on convoque le football pour mieux accrocher les jeunes à leur école. Mais le sport peut être entendu au sens large. Dans le numéro 290 d’Alter Échos, l’école de cirque de Bruxelles imagine le « cirq’basket », projet de cirque social visant à mobiliser des jeunes de quartiers difficiles. Les exemples sont nombreux. Des jeunes filles de l’IPPJ de Saint-Servais aident à l’encadrement de handisport (AE n° 369). A Droixhe, c’est un ancien policier qui tient le club de boxe de la ville, pour tenter de « canaliser les énergies, impliquer les jeunes dans un projet (AE n° 322) ». Enfin, à Spa, l’asbl domaine de Beauplateau organise des stages d’arbitrage de foot pour jeunes en difficulté (AE n°314).
Malgré les tendances très normatives qui caractérisent souvent les projets sportifs, ceux-ci sont indéniablement devenus des outils privilégiés de l’intervention sociale.
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Alter Échos n° 290 du 01.03.2012 : Le cirque social en formationAlter Échos n° 314 du 01.05.2011 : Formation pour jeune homme en noir
Alter Échos n° 322 du 11.09.2011 : A Liège, prends-toi une Droixhe !
Alter Échos n° 352 du 25.01.2013 : A Anderlecht, Fefa met la balle au centre de la réussite
Alter Échos n° 369 du 19.11.2013 : Les filles de l’IPPJ saisissent la balle au bond