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Regard critique · Justice sociale

Culture

Jeunes et culture: désacraliser
pour mieux rapprocher

Quand on est jeune et fauché, faire des sorties culturelles régulières n’est souvent pas possible. Il existe bien un droit à la culture, mais encore faut-il pouvoir se payer une place de concert, de cinéma, de théâtre, etc. En Wallonie et à Bruxelles, l’asbl Article 27 se donne pour mission de rendre la culture accessible à tout le monde, et notamment aux jeunes.

(c) Teresa Sdralevich

«Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.» Cet extrait de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme l’énonce clairement: l’accès à la culture est un droit humain fondamental. Celui-ci étant peu contraignant, il est toutefois difficile de s’assurer de son application dans les faits.

C’est la raison pour laquelle est née, en octobre 1999, l’asbl Article 27 (en référence à l’article cité). Sa mission est de «sensibiliser et de faciliter la participation culturelle pour toute personne vivant une situation sociale et/ou économique difficile». Elle a pour ce faire mis sur pied un dispositif grâce auquel les personnes fréquentant une structure sociale partenaire de l’association peuvent assister à un événement culturel pour 1,25 €. Parmi ces structures, il y a des CPAS, des services d’insertion socioprofessionnelle, des maisons d’accueil, des centres de santé mentale, mais aussi des maisons de jeunes. Ainsi, tous secteurs confondus, 132.368 tickets ont été utilisés en 2023. Majoritairement par des CPAS (41%), tandis que le secteur jeunesse représente 12% des tickets utilisés au sein des structures sociales de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Ainsi, tous secteurs confondus, 132.368 tickets ont été utilisés en 2023. Majoritairement par des CPAS (41%), tandis que le secteur jeunesse représente 12% des tickets utilisés au sein des structures sociales de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Concrètement, le partenaire social achète des tickets à Article 27 et en distribue à ses bénéficiaires intéressés. L’association travaille par ailleurs avec des partenaires culturels qui reçoivent 1,25 € de l’utilisateur, en plus de ce ticket qui sera remboursé par Article 27 à hauteur de maximum 5 €. «Pour l’opérateur culturel, c’est une forme de sacrifice puisqu’il accepte un tarif réduit pour ce public», explique Aurélie Boeykens, chargée de communication pour l’antenne wallonne. En Fédération Wallonie-Bruxelles, pas moins de 1.091 partenaires culturels et 1.390 partenaires sociaux ont été recensés en janvier 2024.

«On sort d’une période qui n’a pas été facile pour les acteurs de la culture, surtout pour les indépendants et les plus petites structures: après la pandémie de Covid-19 a suivi la crise énergétique. Mais pour certains, la démocratisation de la culture fait partie de leur ADN et de leur raison d’être. Et ils acceptent donc assez facilement d’entrer dans le dispositif», poursuit Aurélie Boeykens.

«Je trouve que le rôle de cette association est important et juste: cela a normalisé l’accès à l’offre culturelle auprès de publics qui en sont parfois éloignés, comme les jeunes», déclare Olivier Blin, directeur général et artistique du Théâtre de Poche, à Bruxelles. Ce dernier a participé à la mise sur pied d’Article 27 et en est resté partenaire au fil des ans. «Ça réduit certes un peu nos rentrées, mais on est sur une mission de service public, la culture doit exister pour tout le monde. D’ailleurs, on a aussi une politique tarifaire qui permet aux catégories ayant le moins de pouvoir d’achat – et donc aux jeunes – d’assister aux spectacles. On fait du cas par cas, mais on arrive finalement à un système où les gens paient en fonction de leurs moyens.»

Mission de service public

C’est également le cas pour un autre partenaire historique d’Article 27: Les Grignoux. Cette entreprise d’économie sociale gère 13 salles de cinéma réparties sur trois sites liégeois et un namurois. «Dès que l’initiative est née, notre participation a été une évidence, assure Stéphane Wintgens, responsable de la communication. L’accès à la culture par le plus grand nombre fait véritablement partie de notre identité. C’est notre objet social. Cela se marque aussi dans notre politique tarifaire de base: les prix de nos billets d’entrée sont nettement inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans certains multiplexes. Et pour les étudiants, nous avons une politique volontariste avec notre ‘Passeport étudiant’, délivrable gratuitement aux guichets, pour les 12-26 ans. Il donne droit au tarif préférentiel de 6 €, au lieu de 9 €.»

Cette initiative résulte d’un choix conscient, en accord avec les valeurs portées par l’association. Les Grignoux organisent fréquemment des conférences-débats avec le monde associatif, des avant-premières avec réalisateurs et équipes du film, des séances gratuites en plein air ou encore des matinées scolaires. Ces efforts ne grèvent pas les finances car ils sont intégrés dans le calcul de l’équilibre budgétaire. «Comme nous ne visons pas de but lucratif et que nous n’avons pas d’actionnaire à rémunérer, l’argent gagné est réinvesti dans notre outil de travail, qui nous appartient, rappelle Stéphane Wintgens. Nous sommes une entreprise autogérée: ce sont donc les travailleurs qui prennent toutes les décisions. Notre objectif est de faire vivre la structure, pas de vendre nos places le plus cher possible. C’est un service que nous tentons de rendre à la société car la précarité – y compris infantile – est malheureusement loin d’être résorbée en Belgique.» Au cours des douze derniers mois, 6.000 tickets sur 375.000 places – soit 1,5% – ont circulé dans les cinémas du groupe à Liège, et 1.600 sur 160.000 entrées – soit 1% – à Namur.

Au cours des douze derniers mois, 6.000 tickets sur 375.000 places – soit 1,5% – ont circulé dans les cinémas du groupe à Liège, et 1.600 sur 160.000 entrées – soit 1% – à Namur.

Parmi les partenaires sociaux de ce dispositif, il y a donc les maisons de jeunes. «Grâce à Article 27, on a été voir le ballet Le Lac des cygnes à l’Opéra royal de Wallonie, mais on a aussi emmené les jeunes au festival LaSemo à Enghien, aux Solidarités à Namur. On distribue une centaine de tickets par an environ», souligne Stéphanie Degroote, coordinatrice de la MJ 404 à Couvin.

L’organisation propose des activités culturelles à prix réduit, mais pour certaines fratries nombreuses, l’aspect financier reste un frein à la participation. «On a alors un dialogue avec les parents qui sont invités à nous contacter en cas de souci d’argent, indique Stéphanie Degroote. On peut faire des étalements de paiement, on peut les aider à remplir les documents pour qu’ils retouchent à la mutuelle, ou pour qu’ils bénéficient d’aides du CPAS. On organise aussi des ventes de lasagnes, des car wash et d’autres choses pour aider les jeunes à financer les sorties. Enfin, on répond à des appels à projets, notamment du Bureau international jeunesse, pour obtenir des subsides.»

Au-delà de la dimension strictement financière de l’accès à l’offre culturelle, les maisons de jeunes proposent un accompagnement souvent nécessaire. Franchir le seuil d’un musée, d’un théâtre ou d’une salle de concert de musique classique, cela ne va pas de soi pour tout le monde. «Parfois, nos jeunes ne se sentent pas légitimes d’aller à l’opéra ou bien ils en ont une vision tronquée. Ils ont l’impression de ne jamais écouter de musique classique, alors qu’il y en a dans la plupart des films et des séries qu’ils aiment», poursuit la coordinatrice.

Agir sur tous les freins

Les maisons de jeunes travaillent sur deux axes: le respect des cultures qui plaisent à leur public, mais également l’ouverture à de nouvelles formes artistiques. «La démocratisation de la culture, c’est permettre l’accès à la culture aux jeunes, entame Benjamin Cambron, coordinateur pédagogique de la Fédération des maisons de jeunes en Belgique francophone. On tente de les sortir de leur bulle culturelle, c’est-à-dire les amener à aller voir des choses vers lesquelles ils n’auraient pas été spontanément. Mais il faut d’autre part des projets en phase avec leurs aspirations. C’est ce qu’on appelle la démocratie culturelle, le refus de hiérarchiser les formes culturelles. On sait bien que l’opéra et la musique de chambre ne sont pas mis sur le même pied que le break dance et le hip-hop. Il faut accepter que les jeunes créent leur propre culture pour qu’ils puissent s’exprimer sur le monde et agir dessus.»

Au-delà de la dimension strictement financière de l’accès à l’offre culturelle, les maisons de jeunes proposent un accompagnement souvent nécessaire. Franchir le seuil d’un musée, d’un théâtre ou d’une salle de concert de musique classique, cela ne va pas de soi pour tout le monde.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe des dispositifs incluant des politiques tarifaires démocratiques pour certaines activités culturelles. Par contre, ils touchent plusieurs fois les mêmes ados et ne concernent pas les jeunes hors école.

Pourtant, les difficultés d’accès à la culture ne reposent pas seulement sur une question d’argent. Les déterminants de la participation à des événements culturels sont multiples, mais ils sont majoritairement centrés autour du milieu social. «Parce qu’il faut mettre la main au portefeuille, le plus souvent, mais aussi du fait de l’influence des personnes avec qui l’on vit, de ses origines familiales ou de son diplôme. Ceux qui ont eu l’habitude de visiter des musées dans leur enfance sont beaucoup plus familiers de ces lieux souvent intimidants. Même chose pour ceux qui ont eu accès aux clés de compréhension de l’art (l’histoire du créateur, de son œuvre, le contexte historique, etc.) au cours de leurs études[1]

En Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe des dispositifs incluant des politiques tarifaires démocratiques pour certaines activités culturelles. Par contre, ils touchent plusieurs fois les mêmes ados et ne concernent pas les jeunes hors école.

Dans un dossier sur le droit à l’épanouissement culturel[2], l’asbl Culture et Démocratie identifie trois catégories de freins: «La première concerne les conditions matérielles. Il s’agit du manque d’argent, de temps et de l’insuffisance d’informations sur l’offre. La deuxième catégorie rassemble les obstacles socioculturels, c’est-à-dire l’absence ou le manque de connaissances antérieures et de formation. Enfin, la troisième catégorie regroupe les freins dits psychologiques. Il s’agit du manque de confiance en soi, du manque de motivation ou du sentiment d’inaptitude.»

Désacraliser la culture, la rendre concrètement plus accessible à tous les jeunes et ainsi réduire les inégalités sociales est donc un enjeu politique majeur. Car cet accès est conditionné par un capital culturel, social et symbolique (concepts théorisés par le sociologue français Pierre Bourdieu) dont on hérite à la naissance… ou pas.

[1] Tiré de l’article «Les pratiques culturelles selon les catégories sociales et les revenus» de l’Observatoire des inégalités, publié le 21 septembre 2021.
[2] Intitulé «Culture et vous?» et publié en 2009. Autrices: Céline Romainville et Marie Poncin.

Sang-Sang Wu

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