Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Jeunes et drogues : la prévention mieux coordonnée, mais définancée

Deux études pour se pencher sur la problématique des assuétudes chez les jeunes et sur les politiques de prévention menées en Communautéfrançaise.

12-03-2010 Alter Échos n° 291

L’asbl Eurotox1 a publié son rapport 20092. La Communauté française a également réalisé un dossier sur les assuétudes chezles jeunes3. Une double occasion de se pencher sur la problématique des assuétudes chez les jeunes et sur les politiques de prévention menées enCommunauté française.

Pas d’augmentation de la consommation de drogues chez les jeunes !

Quelles sont les grandes évolutions dans la consommation de drogues chez les jeunes ? Le point avec Miguel Rwubusisi, de l’asbl Eurotox. Contrairement aux idées reçues, laconsommation de drogues, licites ou illicites, est en stagnation voire en régression chez 12-20 ans. Les chiffres pour la Communauté française sont issus de la dernièreenquête internationale HBSC (Health Behaviour in School-aged Children) menée en 2006 par le Service d’Information Promotion Éducation Santé de l’École deSanté publique de l’ULB (SIPES-ULB)4. L’enquête s’intéresse aux comportements des jeunes en matière de santé, un volet s’attardant à la questiondes assuétudes. Quelques résultats en vrac.

Que l’on parle d’expérimentation (la consommation au moins une fois au cours de la vie) ou d’usage régulier, la consommation d’alcool chez les 12-20 ans a tendance à sestabiliser depuis 1994. En ce qui concerne le tabac, la consommation aurait tendance à régresser depuis la fin des années nonante. En 2006, 77 % des jeunes interrogésse disent non-fumeurs. Parmi ceux s’étant déclarés fumeurs, 13,9 % se disent être des fumeurs quotidiens. La consommation de cannabis, drogue illicite la plusrépandue chez les jeunes, semble en fait largement gonflée par les médias : en 2006 toujours, 79,1 % des 12-20 ans se déclarent non-consommateurs et parmi les20,9 % restant, 9,4 % se disent usagers moyens et 5,3 % usagers fréquents. L’expérimentation de ce produit paraît stable depuis 1998 et sa consommationrégulière est en baisse en 2006 (bien qu’elle ait initialement augmenté entre 1994 et 2002). Enfin, on voit également diminuer l’expérimentation d’ecstasy chez les12-20 ans : après être passée de 5,3 % à 6,4 % entre 1994 et 1998, elle est redescendue à 3,8 % en 2006.

Dans l’ensemble, on constate que les usages de psychotropes sont plus prononcés chez les garçons que chez les filles. Ils sont aussi plus courants chez les jeunes quifréquentent l’enseignement technique et professionnel que chez ceux des filières de l’enseignement général.

Si l’on se penche sur la situation des jeunes adultes, il faut nous plonger dans les résultats de l’enquête de santé par interview menée tous les quatre ans parl’Institut scientifique de santé publique5. Les dernières données présentées par Eurotox sont celles de 2004 (!). On constate à titre d’exempleque l’expérimentation de cannabis a, entre 2001 et 2004, légèrement augmenté chez les 15-24 ans (+1 %), de manière plus substantielle chez les 25-34 ans(+7,4 %). Phénomène qui pourrait s’expliquer tant par une augmentation réelle de la consommation que par une plus grande propension à se déclarer consommateurd’une substance de plus en plus tolérée.

Quelques fantasmes battus en brèche

L’accroissement de la consommation de cocaïne tout d’abord. Selon les rumeurs, la coke se répand, est de plus en plus accessible mais aussi d’une qualité de moins en moinsbonne. Réaction de Miguel Rwubusisi : « L’impression d’Eurotox est qu’effectivement, il semble y avoir un frémissement, remontant du terrain, qui donnerait uneimpression qui va dans ce sens-là, mais cela n’a pas encore pu être objectivé. Si l’on se base sur les appels de la permanence téléphonique d’Infor-drogues, il yaurait même une certaine stabilité. Quant au prix de la cocaïne en rue, il a au contraire plutôt augmenté entre 2004 et 2006. » Le binge-drinking ou encorele fait de boire très rapidement plusieurs verres d’alcool dans le but de s’enivrer, lui aussi semble sur- ou mal estimé. « Encore une fois, poursuit Miguel Rwubusisi, ondirait qu’il n’y a pas de lame de fond. Mais nous avons trop peu de données pour déterminer comment se déroule vraiment la consommation. » La polyconsommation, si ellesemble fréquente au cours des événements festifs, serait quant à elle en régression depuis 2005. C’est du moins le cas chez les personnes qui s’adressentspontanément à une organisation de réduction des risques, présente lors de l’événement et qui ont été sondées à cetteoccasion6.

Au-delà des chiffres, c’est bien la question d’une consommation problématique qui a de l’intérêt. Par exemple, on constate que parmi l’ensemble des personnes (tousâges confondus) ayant déjà expérimenté une fois le cannabis, seuls 1,5 % ont une consommation régulière et volumineuse (au moins 10 jours parmois). Plus préoccupant, chez les jeunes de l’enseignement secondaire, l’usage problématique d’alcool semble être en augmentation. Il est mesuré par la variable« avoir été ivre au moins une fois au cours de la vie » qui peut se révéler intéressante pour les classes d’âges inférieures,mais qui est plus discutable pour les plus âgés.

Pour enrayer les cas de « consommation problématique », il s’agit pour Eurotox de réussir à « agir sur les facteurs de bien-être et surl’environnement, afin de limiter le plus possible la fuite maniaque vers un comportement addictif quel qu’il soit. » Cela passe par des actions communautaires et un travail deprévention très en amont. Miguel Rwubusisi souligne à cet égard l’intérêt des nouveaux plans de cohésion sociale wallons, qui comprennent un voletassuétudes.

La prévention en Communauté française, une politique santé

En Communauté française, la prévention des assuétudes s’inscrit dans le cadre de la promotion de la santé. Priorité du Programme quinquennal de promotionde la santé 2004-2008 (renouvelé jusque fin 2010) et du Plan communautaire opérationnel 2008-2009 (renouvelé jusque 2011), elle se veut globale. C’est-à-direqu’elle ne vise ni un produit en particulier, ni les produits illicites exclusivement. « On est toujours sur le fil entre ne pas dramatiser et ne pas banaliser », nousprécise Catherine Spiece, de la cellule santé du cabinet de la ministre Fadila Laanan.

Deux grandes priorités émergent actuellement. La première : une volonté de concertation entre les gouvernements wallon, bruxellois et de la Communautéfrançaise pour plus de cohérence en matière de prévention
, d’accompagnement et de traitement. La seconde consiste en un travail de prévention à destinationdes jeunes, en collaboration avec les secteurs de l’enseignement, de l’aide à la jeunesse et de la jeunesse. Lors de la séance parlementaire du 3 mars 2010, Fadila Laanan a notammentinsisté sur sa volonté de renforcer la concertation avec les hautes écoles, les structures associatives des étudiants, les écoles du secondaire et les mouvements dejeunesse. La première concrétisation de cet objectif : une table ronde assuétudes avec les différents acteurs concernés. « La concertation existedéjà, mais il faut construire un cadre commun. Les acteurs de terrain seront amenés à faire un état des lieux, exprimer les difficultés qu’ils rencontrent…et on espère faire remonter tout cela au niveau de la CIM drogues (Conférence interministérielle drogues) pour ramener des moyens à la prévention »,commente Catherine Spiece.

La table ronde sur les assuétudes a eu lieu, fin mai 2010. Elle s’est même dédoublée en deux moments de travail: pour les compétences communautéfrançaise sur la question de la prévention et la réduction des risques, et pour les compétences wallonnes sur le traitement des personnes dépendants et leur suivipsychosocial. Et à l’automne 2010, des groupes thématiques vont se mettre au travail pour alimenter une table ronde finale qui aura lieu en Mars 2011 alimentant un plan deréduction des assuétudes. Un état des lieux du secteur a également été réalisé.
Quelques points à retenir de cet état des lieux, soulignés par Catherine Spiece, conseillère au cabinet Laanan:
– Parmi les points forts: la diversité des acteurs qui se sentent concernés et la volonté d’une action globale et intégrée pour la prévention desassuétudes. En effet, le décret en promotion de la santé permet d’envisager le « produit », l’utilisateur et le contexte, ainsi qu’un soutien politique etfinancier des acteurs engagés sur ce terrain.
– Parmi les points faibles: un manque de cohérence dû à l’éclatement des compétences, qui est très marqué sur cette thématique comme sur celuide la prévention en général, tant les acteurs concernés sont divers: écoles, aide à la jeunesse, police, communes, centre de santé… Mais aussi plusfondamentalement le cloisonnement des approches en matière de drogues: grande partie des acteurs se placent sur le plan de la seule réduction des risques et de la prévention dela consommation et non sur le constat que qu’il faut donc accompagner les consommateurs en tant que personnes responsables. Pas forcément en axant le discours et l’accompagnement sur lesevrage comme seule porte de sortie. enfin, la plupart des asbl de la promotion de la santé sont financées par programme d’action, et non de manière structurelle, ce qui rendcomme dans bien d’autres secteur, le travail social incertain, et qui défavorisent les petites structures.

fin encadré>

Prévention : un budget riquiqui

À la lecture du rapport 2009 d’Eurotox, Matthieu Daele (Écolo) et Willy Borsus (MR), députés à la Communauté française, ont questionnéFadila Laanan sur les budgets consacrés à la prévention (séance du 3 mars 2010). Ils ont souligné la nécessité d’ajuster ces budgets. Laministre de la santé en CF a réagi en expliquant qu’en raison de la situation économique, le budget de la prévention, s’élevant environ à 350 000euros, aurait peu de chances d’augmenter.

Selon Catherine Spiece, le budget 2010 de la prévention des assuétudes se chiffre en réalité à 1 350 000 euros. Les 350 000 euros cités parFadila Laanan représentant la somme investie dans la réduction des risques. Toujours est-il que ce budget prévention des assuétudes en Communauté françaisesemble bien maigre. Il a été revu à la baisse, crise oblige : en 2008, il était de 1 600 000 euros. « On espère que la situation serameilleure à l’horizon 2012 afin de réinjecter des moyens dans le secteur », nous fait savoir Catherine Spiece.

Mais il paraît surtout bien étriqué au regard du budget global consacré aux questions de drogue en Belgique. « Sur l’ensemble des moyens financiersconsacrés aux assuétudes, tout confondu, seuls 4 % vont à la prévention, explique Miguel Rwubusisi, citant La Politique des drogues en chiffres, uneétude fédérale7. Tandis que 54 % sont affectés à la répression et à la sécurité. Et ces 4 % comprennent des moyenspour les plans drogues, l’objectif étant davantage de diminuer le sentiment d’insécurité et de combattre les « nuisances liées aux drogues ». Bref, le budget enmatière de santé consacré aux assuétudes, c’est peanuts ! » Selon les chiffres que nous a fournis Catherine Spiece, 295 millions d’euros ont en effetété consacrés en 2004 au financement de l’ensemble des politiques en matière d’assuétudes. 11,4 millions ont été affectés à laprévention, en ce compris les secteurs de la santé et de la sécurité. Soit 3,8 % du budget global.

Par ailleurs, le Fonds dit Demotte, un fonds fédéral de lutte contre les assuétudes mis en place fin 2006 par le ministre Demotte alors en charge de la santé au niveaufédéral, représente une manne importante de 5 millions d’euros affectés entre autres à des campagnes d’information et de sensibilisation. Des moyens importantsdonc, mais qui demeurent au niveau fédéral. Pour Eurotox (rapport 2009), il s’agit là d’une somme considérable que le secteur devrait pouvoir se réapproprier.

Le début d’une politique globale et intégrée en matière de drogue en Belgique ?

La prévention, le parent pauvre de la politique drogues en Belgique ? Sans aucun doute. Mais de nouvelles perspectives sont en train de s’ébaucher. Pour la première fois,l’ensemble des ministres et secrétaires d’État concernés ont signé, le 25 janvier 2010, une Déclaration commune au sujet de la politique enmatière de drogues en Belgique.

Pour l’asbl Infor-Drogues8, il s’agit là d’une avancée notable, voire historique. En effet, commente l’asbl, cette Déclaration conjointe affirme que la consommationde drogues doit désormais être considérée prioritairement comme un problème de santé publique. À ce titre, c’est d’ailleurs la ministrefédérale de la Santé publique qui préside la Conférence interministérielle (CIMD). La Déclaration réaffirme également que la plus hautepriorité doit aller à la prévention, qui doit viser la personne globalement. Cette politique, cohérente et globale, s’in
téressera aux substances illicites maisaussi à l’alcool, au tabac et aux médicaments psychoactifs. Elle devra tenir compte et faire intervenir les acteurs de terrain, en ce compris les enseignants, les éducateurs…Des acteurs de terrain qui « entendent avec intérêt la volonté politique de ne plus appréhender le consommateur de drogue(s) comme un délinquant mais comme unepersonne ayant, éventuellement, un problème de santé ou une difficulté », souligne enfin Infor-Drogues. Naissance d’une véritable politique globaleet intégrée en la matière ? C’est en tout cas le souhait d’Infor-Drogues, qui espère que cette initiative soit à la hauteur des espoirssuscités.

Article mis à jour le 23 septembre 2010.

1. Eurotox asbl :
– adresse : rue Jourdan 151 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 539 48 29
– courriel : info@eurotox.org
-site : www.eurotox.org
2. Le rapport est téléchargeable sur le site www.eurotox.org/actualites/dossier-le-dopage.html
3. La publication semestrielle Santé en Communauté française peut être téléchargée sur le site www.sante.cfwb.be

4. Les résultats sont téléchargeables sur le site :
www.ulb.ac.be/esp/sipes/publications.htm
5. Voir le site www.iph.fgov.be/epidemio/epifr/index4.htm
6. Cette information repose sur des enquêtes réalisées par les opérateurs de réduction des risques auprès des consommateurs qui s’adressent à eux. Uneprécaution d’usage s’impose : l’élargissement de l’enquête à de nouveaux types de milieux festifs, comme les bals de village a pu avoir une incidence sur ceconstat.
7. De Ruyver B., Pelc I., Casselman J. et al., La politique des drogues en chiffres, une étude des acteurs concernés des dépenses publiques et des populations atteintes,Academia Press, Gent, 2004
– tél. : 02 227 52 60
– courriel : courrier@infor-drogues.be
– site : www.infordrogues.be/

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)