Comment inciter les jeunes à prendre part aux débats publics, à s’investir dans la société, à réfléchir à ses enjeux, bref,à devenir des citoyens pensant et agissant ? Au Québec, depuis cinq ans, l’INM1 tente de relever la gageure avec son « École d’été». Avec un certain succès.
En 2002, Michel Venne, directeur de l’information au quotidien québécois Le Devoir, réfléchit à la possibilité de créer un organismenon partisan, voué « au renouvellement des idées et à l’animation des débats publics ». Il pose la question de la nécessité d’une« structure de débat et d’information au Québec », dans les colonnes de son journal. Contre toute attente, les réponses affluent et confirment la pertinence desa réflexion. Avec une poignée d’intellectuels, philosophes et chercheurs, il crée l’Institut du Nouveau Monde (INM), l’année suivante.
D’emblée, l’INM se lance dans un projet ambitieux mâtiné d’utopies : celui d’inciter les jeunes à participer au débat démocratique,à devenir pleinement citoyens, à se réveiller à grands coups de réflexions critiques et de projets pour changer le monde. La première année, MichelVenne recrute huit jeunes dans le cadre d’un programme « premier emploi » et leur lance le défi d’imaginer de toutes pièces cet événement citoyenqui soit à la fois réflexif et festif, qui « parle aux jeunes » et les incite à s’engager. Ça phosphore à tout va au sein de la petiteéquipe : ces premières recrues sans expérience n’ont que quelques mois pour mettre l’événement sur pied ! Ils rempliront la mission haut la main avecune première « École d’été », organisée à Montréal en 2004 et attirant près de quatre cents jeunes.
Année après année, le projet phare de l’INM a vu son programme s’étoffer au même rythme que la masse des subsides gonflait, la liste des orateurs deprestige s’allongeait et que les partenariats se multipliaient. Au terme de sa cinquième édition, qui s’est tenue du 12 au 17 août dernier, l’Écoled’été peut se targuer d’avoir réuni un millier de jeunes âgés de 15 à 35 ans et issus des quatre coins de la planète.
« Agissons ! »
Lancée par les harangues engagées des « anciens » lors de la soirée d’ouverture, l’École d’été 2008 a démarréavec la proclamation de la « Grande Déclaration »2. Un manifeste citoyen où chaque signataire – plus de 5 400 à l’heure actuelle –s’est engagé à accomplir personnellement un acte concret pour bâtir « un monde plus juste, plus ouvert et plus solidaire » avec pour leitmotiv, uneapostrophe au public : « Agissons ! ». Fruit des réflexions des jeunes participants à l’École d’été 2007 sur les Objectifs dumillénaire3, la Grande Déclaration est sans conteste l’une des grandes fiertés de Michel Venne, dont le credo est d’inciter les jeunes àjoindre le geste à la parole.
Issus de plus de quatre-vingts pays différents, les signataires ont écrit noir sur blanc leurs engagements et signé une sorte de contrat moral avec la planète. AinsiSerge, du Bénin, s’est-il engagé à « faire disparaître l’injustice à tous les niveaux, à acheter des biens dont la production respecte lesdroits de la personne, à favoriser le transport en commun et à donner de son temps et de ses compétences bénévolement pour rendre le monde plus solidaire »,tandis qu’Anaïs, de Belgique, s’est engagée à « être ouverte aux autres et à leurs idées, à aller à pied à l’écolepour respecter l’environnement, à acheter plus souvent des produits du commerce équitable, à mieux réfléchir à ses décisions quotidiennes et àleurs répercutions sur l’avenir, à respecter les droits de l’homme ». D’autres encore se sont engagés à ne plus boire d’eau en bouteille ou àdénoncer les incivilités quotidiennes dans les espaces publics… Des engagements qui résonnent avec emphase et peuvent paraître dérisoires au regard de lacomplexité du monde ou des enjeux géopolitiques actuels. Mais à voir l’exaltation de ces jeunes, personne ne songerait à douter que ce soient les petits ruisseauxdes bonnes résolutions qui fassent les grandes rivières du changement…
Des jeunes très motivés mais rarement impertinents
Après la soirée d’ouverture et les concerts de rigueur, les choses « sérieuses » ont commencé dès le lendemain matin. Cette année, undéfi de taille est venu compliquer l’organisation : pour la première fois, l’École d’été s’est installée à quelqueskilomètres de la ville de Québec (et non à Montréal) afin de rentrer dans le cadre des festivités du 400e anniversaire de la ville. Outre le risque devoir les jeunes ne pas suivre, il y avait aussi celui de les voir déserter les bancs de l’Université Laval – où se tenaient la majorité des animations etconférences – pour les activités autrement plus légères du 400e… En fait, non seulement les participants ont suivi mais en plus ils se sontlevés (très) tôt, et massivement, pour assister aux conférences de la matinée qui débutaient à 8 h.
Au niveau de la programmation, les thématiques se sont partagées entre des préoccupations très locales – la francophonie du Canada, le développement desrégions, les peuples autochtones – et d’autres plus internationales – l’organisation des Jeux olympiques par la Chine avec des représentants de Reporters sansfrontières, l’engagement scientifique avec Jean-Pascal Van Ypersele ou la liberté d’expression selon Philippe Val. Il y avait là matière à débatssinon à polémiques. Pourtant, sauf rares exceptions – Philippe Val a visiblement un anti-fan club qui le suit partout où il va – les questions sont toujoursrestées d’une grande courtoisie. On pourrait s’en féliciter mais l’objet de cette École d’été n’était-il pas de susciter laréflexion et le débat ? Voire de bousculer un peu les « vieux » derrière leur tribune ? Peu de jeunes se sont risqués à remettre en cause les discoursdes orateurs, dont certa
ins ont pourtant servi une soupe insipide quand d’autres donnaient plutôt l’impression d’être en campagne électorale. « C’estune question de culture », nous ont expliqué plusieurs responsables de l’INM. « Au Québec, nous n’avons pas l’habitude de polémiquer pour le plaisirou de hausser le ton dans les discussions comme cela peut se faire en France. » Les débats sont donc restés policés mais certaines langues se sont déliées parla plume : grâce au journal quotidien de l’École d’été, réalisé par une équipe de journalistes en herbe, les critiques impertinentes etautres vérités bien senties ont été imprimées sans censure.
Chaque matin, les participants avaient le choix de suivre un des déjeuners-rencontres proposés, puis l’une des tables rondes. Ceux qui n’étaient pasparticulièrement intéressés par les dizaines de conférences et débats programmés durant les quatre jours pouvaient choisir de s’inscrire dans lesateliers de compétences. Ceux-ci étaient visiblement réservés à ceux qui avaient déjà un minimum d’expérience, probablement en fin decursus universitaire ou déjà en début de vie active. Au menu : apprendre à s’exprimer en public, à construire une équipe de bénévoles,trouver les stratégies et les sources pour financer son projet, devenir entrepreneur social, rédiger un plan d’affaires pour un projet d’entrepreneuriat social, etc.
Changer le monde ?
Durant l’après-midi, les participants avaient le choix de poursuivre par des « parcours citoyens » sur le campus universitaire ou par des activités plus ludiquesà l’Espace 400e, le rendez-vous des festivités de l’anniversaire de Québec. S’y mêlaient des spectacles « engagés » deslam, des pièces de théâtre, concerts, jeux « citoyens » et des conférences. Là encore, la concurrence n’était pas si déloyalequ’il n’y paraît de prime abord et les « parcours citoyens » ont fait le plein. À lui tout seul, le parcours « Dialogue international – les Objectifsdu millénaire pour le développement et la Grande Déclaration » a recueilli près de deux cents inscriptions pour 53 nationalités au total ! Ce parcoursétait proposé en partenariat avec Oxfam Québec. L’ONG organisait par ailleurs un autre parcours visant à créer un « réseau de leadersuniversitaires québécois en solidarité internationale ». Pour faire suite aux ateliers de la matinée, le parcours « À go, on change le monde» se déclinait en deux volets, l’un pour le « développement de projet », l’autre pour l’« idéation de projet ». Ce parcoursparticulier a donné lieu à une sélection des projets les plus aboutis par un jury de professionnels. Sélection toute symbolique puisqu’elle ne débouchait suraucun prix, facilité ou aide pour monter le projet. Néanmoins, la médiatisation de l’événement est censée servir de rampe de lancement et favoriser lacréation de « réseaux ». Un parcours artistique en trois volets – musiques engagées, danses d’intervention, crieurs publics – et un parcours salle depresse en deux volets – avec la publication du journal quotidien de l’École d’été et des reportages radiophoniques diffusés à Radio-Canada –complétaient le dispositif.
Au bilan de tous ces parcours, les organisateurs ont épinglé une soixantaine de projets « À go », quinze propositions concrètes issues des discussions surla Grande Déclaration et les Objectifs du millénaire pour le développement, quinze propositions pour améliorer le dialogue entre les Québécois, lesPremières Nations et les Inuits ou encore une centaine d’idées issues du parcours « Francophonie des Amériques ». Des idées et propositions quialimentent sans cesse la réflexion de l’INM et serviront à nourrir l’édition 2009 de l’École d’été.
Le bilan des jeunes est probablement plus contrasté. Il y a les enthousiastes convaincus, animés d’une irrépressible envie de « faire bouger les choses »,que l’on retrouvera l’an prochain à l’École d’été et, dans quelques années, dans les tribunes politiques, syndicales ou dans le militantismeassociatif. Il y a ceux, plus sceptiques, qui ont surtout profité de l’occasion – assez unique – de rencontrer des jeunes du monde entier, d’échanger, de «réseauter ». Et puis, il y avait aussi quelques déçus, quelques nostalgiques de l’édition précédente « où les débatsétaient bien plus relevés ». Peut-être ont-ils raison, ou alors ont-ils simplement vieilli…
En Belgique aussi…
Le Conseil de la jeunesse d’expression française (CJEF) et le Bureau international jeunesse (BIJ) se sont associés pour organiser un événement jeunessedestiné aux 17-25 ans, sous le label « Et puis quoi encore ? »4. Au total, 80 jeunes de Wallonie et de Bruxelles seront sélectionnés sur la base d’unpetit dossier de motivation pour participer à une « retraite » citoyenne durant le long week-end de Toussaint (du 30 octobre au 2 novembre). Le programme est conçuautour d’ateliers créatifs (vidéo, théâtre, publicité, journalisme, Internet, art de la parole, radio, etc.) pendant lesquels seront débattus des grandsthèmes de société : environnement, emploi, éducation, culture. Le séjour se clôturera par une rencontre au parlement de la Communauté françaiseoù les jeunes pourront interpeller les politiques qui auront accepté de se prêter au jeu.
« Le projet s’inscrit dans cadre de la Semaine européenne de la Jeunesse et vise à faire émerger les sujets qui préoccupent les jeunes », expliqueGeneviève Vandenhoute, détachée pédagogique du CJEF. « L’idée est de collecter leurs avis, réflexions et revendications, et de les porterà travers notre mémorandum qui sera adressé aux politiques avant les prochaines élections régionales. »
Le séjour (à l’hôtel à Louvain-la-Neuve pour les ateliers) sera pris en charge par les organisateurs à condition que les jeunes participent pleinement au programme.Les inscriptions se clôturent le 26 septembre.
1. L’Institut du Nouveau Monde – site :
www.inm.qc.ca
2. Le texte résulte d’un travail collectif de 26 jeunes âgés de 15 à 30 ans provenant de plusieurs régions du Québec. Une consultation nationale etinternationale a permis de recueillir les amendements. La version finale a été adoptée lors de l’École d’été 2007. Elle fait maintenantl’objet d’un processus de ratification à l’échelle internationale.
3. Dans leur Déclaration du millénaire (2000), les Nations Unies ont défini huit objectifs de développement – les Objectifs du millénaire pour ledéveloppement (OMD) – qui fixent un ordre du jour ambitieux et visent à améliorer les conditions de vie d’ici à 2015.
4. Voir le site consacré à l’événement :
http://users.skynet.be/bij/etpuisquoiencore.htm
Informations et inscriptions : CJEF:
-adresse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 29 44
– courriel : etpuisquoiencore@cfwb.be