Introduit en 2001, d’abord sous la forme de projets pilotes par la suite reconduits, l’accompagnement intensif de personnes à l’emploi – le jobcoaching –semble en passe de s’installer durablement dans le paysage de l’insertion francophone. C’est en tout cas le souhait des acteurs qui ont mené à bien les projetsexistants, dont le réseau Flora1, qui vient de publier le rapport de son expérience en la matière. En attendant une évaluation plus systématique del’ensemble des projets, tour d’horizon avec Marie-Christine Lefebvre de LConsult2, accompagnatrice de longue date du jobcoaching en Belgique.
Expérience originaire des Pays-Bas et de France, le jobcoaching a d’abord suscité un intérêt en Flandre, l’attitude étant plus méfiante au Sud,avant d’attirer, au niveau fédéral, l’attention du SPF Emploi et du Fonds social européen à l’arrivée de Laurette Onkelinx, ainsi que le soutiende la Fondation Roi Baudouin et de Marie Arena au niveau wallon. Le principe est relativement simple : proposer un accompagnement dans (et non pas uniquement vers) l’emploi, intensif etindividualisé aux populations les plus fragilisées, aussi bien qu’aux employeurs, avec un accent fort mis sur l’autonomisation des personnes suivies. Le métier dejobcoach s’inscrit donc dans une démarche triangulaire d’intermédiation.
Le jobcoaching chez Flora
À titre d’exemple, le projet jobcoaching de Flora comprenait six partenaires de terrain3. Chacun des partenaires disposait d’une jobcoach, pour la plupart à mi-temps,fonction que ces dernières conciliaient en général avec une mission de formation ou de suivi de stage. Étant donné les types de formation fournis par les organismesd’insertion partenaires, le projet s’est surtout déployé dans des secteurs comme l’Horeca, le nettoyage, les travaux forestiers, la couture, la vente ou encore lesservices aux personnes. En 2002 et 2003, 225 personnes avaient ainsi été coachées, dont 82 % de femmes. C’est précisément ici que se situe laspécificité de Flora : introduire l’approche de genre dans les différentes techniques de lutte contre les discriminations traditionnellement identifiées sur lemarché de l’emploi.
Les éléments quantitatifs ne doivent pas masquer certaines questions. Comme le note le rapport de Flora, il conviendrait de comparer les caractéristiques des emplois obtenus(durée déterminée ou indéterminée), et celles des personnes accompagnées, en particulier leur éloignement de départ – plus ou moins grand– vis-à-vis du marché de l’emploi. D’autre part, la seule obtention d’un emploi ne signifie pas que la personne est sauvée de la précarité,notamment vu le nombre de CDD offerts par les employeurs, ou l’instabilité des sources de financement, en cas d’emplois subventionnés, le tout à replacer dans ledébat autour de la qualité de l’emploi. Sans compter les accidents de parcours que peuvent connaître les personnes.
Mise en perspective
Selon Marie-Christine Lefebvre, qui a accompagné les différents projets pilotes de jobcoaching, tant au niveau fédéral qu’au niveau wallon, « lareconnaissance dont bénéficie ce type d’expériences est désormais indiscutable. En Wallonie, le jobcoaching fait désormais partie intégrante desmissions des missions régionales pour l’emploi ; de même, il constitue un des thèmes prioritaires dans Equal ».
Parmi les pistes de réflexion engrangées par l’expérience, la consultante note que le travail de jobcoach est une fonction à part entière, qu’il peutêtre difficile d’accomplir sur un temps partiel : « Il faut démarcher les entreprises et discuter avec les employeurs des critères de sélection, les mettre enrelation avec les personnes coachées… Sans oublier le fait que si l’autre mi-temps est utilisé pour une mission de formation, la personne coachée et sonvis-à-vis peuvent éprouver des difficultés à changer de mode de relation pour passer à une relation davantage basée sur l’autonomie. »
Marie-Christine Lefebvre relève également quelques chantiers qui attendent le jobcoaching. Tout d’abord, mettre en place un système d’intervision entre lesdifférentes expériences pour harmoniser les pratiques et favoriser le partage d’expériences. Un pas dans cette direction pourrait être accompli par « larédaction d’une charte, un peu à l’image de ce qui s’est fait dans le domaine de l’économie sociale, pour que le terme jobcoaching ne devienne pas tout etn’importe quoi ».
Renforcer la cohérence
Un autre défi à relever dans le futur sera de mettre au point un système permettant la cohérence géographique de l’offre, afin que les employeurs ne soientpas démarchés de manière anarchique par trop de coaches différents. « À terme, on risquerait une décrédibilisation. Une cartographie de qui enfait, à destination de quel secteur serait sans doute nécessaire. D’autant plus que l’expérience prouve que la mobilité de ce type de population estlimitée. Au-delà de vingt kilomètres, il est un peu difficile de les faire encore bouger ».
Il conviendrait également de renforcer les partenariats dans le monde de l’insertion, afin d’éviter les concurrences. « Le cabinet Courard (ex-ministre wallon del’Emploi) avait prévu de faire jouer au Forem ce rôle centralisateur. Le fait que tous les opérateurs wallons pratiquant le jobcoaching se soient regroupés pourintroduire un projet Equal, avec le Forem comme coordinateur, constitue un premier pas. » Reste à voir si tout le monde verra cette initiative d’un bon œil.
Dans le même ordre d’idées, il faut assurer une réponse optimale en termes d’adéquation à la demande, mais aussi et surtout en termes derapidité. Bref, une rationalisation de l’offre : « Le système ne sera crédible que s’il est rapide et capable de trouver une personne qui convienne àl’employeur ».
Intensif, sur mesure, le jobcoaching coûte cher, « parce que forcément il ne touche qu’un petit nombre de personnes, sans compter la qualification des coaches, qui sontsouvent des universitaires ou des personnes à l’expérience confirmée. D’un autre côté, au-delà des résultats quantitatifs, la valeurajoutée est indiscutablement l’action sur les employeurs ». En ce qui concerne l’évaluation : « On peut dire que les employeurs semblent satisfaits, mêmesi pour l’instant nous n’en sommes qu’au début de la collecte de données systématiques qu’il serait intéressant de traiter de
manière plusscientifique. »
Pérennisation
L’enjeu pour l’avenir est précisément de pérenniser et d’étendre l’expérience. Concrètement, à l’initiative ducabinet Courard, un partenariat regroupant, entre autres, les six projets pilotes wallons qui ont bénéficié du soutien de la Fondation Roi Baudouin, les missionsrégionales, les projets fédéraux soutenus par le FSE dont Flora, le Forem, ainsi que d’autres associations4, espère un financement via le programmeeuropéen Equal. S’il est obtenu, ce financement permettrait ainsi de réaliser ce que plusieurs semblent souhaiter : faire du jobcoaching un élément à partentière des politiques d’insertion en Wallonie.
1. Flora, Réseau pour la formation et la création d’emploi asbl, rue du Congrès, 333/8 à 1030 Bruxelles – tél. : 02 205 17 50 – courriel :info@flora.be – site : http://www.florainfo.be/flora/jobcoaching.htm
2. Marie-Christine Lefebvre, LConsult Bastion Tower, place du Champ de Mars, 5, bte 14, à 1050 Bruxelles – tél. : 02 550 36 76 – fax : 02 550 35 35 – courriel :lconsult@unicall.be
3. Flora asbl-vzw, Jobcoaching méthode et pratique. Projet jobcoaching 2001-2003 soutenu par le Fonds social européen Objectif 3 et le SPF Emploi, Travail et Concertationsociale.
4. Voir le dépliant récemment édité par la Fondation Roi Baudouin à cet effet : http://www.kbs-frb.be/code/page.cfm?id_page=153&ID=305