Le coaching s’est peu à peu inséré dans les services publics de l’emploi. De la rédaction du CV au choix du parfum, le coach accompagne le demandeur d’emploi pour qu’il s’intègre dans un monde du travail toujours plus exigeant. Ce service est partiellement délégué à des sociétés d’intérim.
En 2017, le Forem a accompagné 90.000 demandeurs d’emploi. Parmi eux, 8.000 ont été orientés par leur conseiller Forem vers des opérateurs externes pour suivre un module d’accompagnement à la recherche d’emploi. Historiquement, ces partenariats sont confiés à des opérateurs du non-marchand (missions régionales de l’emploi, centres ou asbl d’insertion socioprofessionnelle). Mais, depuis 2002, les règles de libre concurrence exigées par l’Union européenne ont ouvert le «marché» au secteur commercial. Depuis 2004, opérateurs marchands et non marchands répondent à des appels à projets pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi. En 2017, l’enveloppe était de 10 millions d’euros. Sur les 120 opérateurs sélectionnés, 40% sont des opérateurs marchands, c’est-à-dire des agences de placement.
À Bruxelles, les partenariats non marchands sont nés dans les années 1990, à la suite de la première régionalisation de l’emploi. Ils ont été élargis au secteur marchand en 2008 après la sortie de l’ordonnance de gestion mixte de 2002. Chez Actiris, le budget alloué en 2017 à des partenariats conclus avec des partenaires privés commerciaux était de 3,5 millions d’euros. Tant à Bruxelles qu’en Wallonie, le budget alloué à des partenariats avec des agences d’intérim tend à rester stable.
Un accompagnement tout public?
Du module d’emploi au coaching, le vocabulaire pour désigner cet accompagnement a évolué. «La naissance du mot est liée au coach sportif, car la recherche d’emploi s’apparente à une compétition sportive qui nécessite de se dépasser, sortir de ses habitudes pour développer et montrer tout son potentiel», observe Fabrice Schuller, directeur adjoint de la mission locale pour l’Emploi de Bruxelles-Ville. Un terme plus attrayant tant pour les professionnels que pour les usagers, juge-t-il.
Mais derrière un même anglicisme, les réalités sont parfois différentes. Marchand et non-marchand se distinguent par les missions qui leur sont confiées et les publics ciblés. Les missions locales disent viser «un accompagnement complet» de l’accueil à la mise à l’emploi et le soutien après l’embauche, en utilisant la triangulation si nécessaire (forme de médiation entre l’employeur, l’employé et la mission locale qui se porte garante auprès de l’employeur). «On prend le temps d’analyser la situation de la personne, de voir les problèmes personnels et logistiques qu’elle rencontre (logement, endettement, problèmes familiaux)», détaille Fabrice Schuller.
Les agences d’intérim viseraient un public plus limité.«Dans le cadre des appels à projets, celles-ci accompagnent majoritairement les personnes disposant d’un CESS ou proches de l’emploi. Or, le Forem devrait être en mesure de pouvoir prendre en charge ces publics. Une évaluation menée sur le sujet avait mis en évidence le fait que les conseillers du Forem se sentaient démunis face à un public particulièrement éloigné de l’emploi. Les appels de la sous-traitance ayant pour vocation de compléter l’offre ordinaire du Forem devraient donc viser le public pour lequel le service public de l’emploi éprouve des difficultés : les personnes plus fragilisées », regrette Renaud Bierlaire, de la FGTB et membre du comité de gestion du Forem. Quand le niveau de français n’est pas suffisant ou que le candidat se voit confronté à des obstacles extérieurs trop importants, les agences d’intérim tendent à réorienter le candidat vers d’autres services. Chez Daoust, la responsable de l’équipe Jobcoaching Bruxelles Audrey Mouffe s’en défend: «Nous accueillons tout candidat, peu importe son parcours.» Mais précise tout de même: «Nous travaillons en collaboration avec Actiris et le Forem, qui nous envoient les demandeurs d’emploi qu’ils souhaitent que nous accompagnions.» Coup de pouce pour les publics en quelque sorte «prêts à l’emploi», cet accompagnement vise une «intégration durable et rapide», pour reprendre les termes de Fatine Daoudi, directrice du département partenariat d’Actiris.
Exaris, une agence d’intérim à vocation sociale mais dont l’activité reste commerciale – la seule aujourd’hui –, fondée par Daoust, Actiris et P&V Assurances, prend en charge quant à elle des jeunes bruxellois de 18 à 30 ans ne disposant pas d’un CESS. «Nous offrons un jobcoaching personnalisé avant et pendant la mise à l’emploi en insistant surtout sur les attitudes à adopter», explique Virginie Dumont. Et de poursuivre que, contrairement aux agences d’intérim classiques, ils ne présélectionnent pas sur la base du CV. «Le jobcoach consacre du temps en coaching même sans opportunité immédiate chez un de nos clients.»
Une porte d’entrée pour l’intérim
Si la directrice des relations partenariales au Forem, Carole Deschamps, considère que les agences d’intérim classiques «répondent à une dynamique plus en lien avec le marché de l’emploi», leur intégration fait débat. «Même s’il s’agit de partenariats relativement limités pour l’instant, cela reste de la subsidiation de structures commerciales. La personne peut donc devenir un potentiel client par la suite, ce qui veut dire rapporter de l’argent», pointe Fabrice Schuller, de la mission locale de Bruxelles-Ville. «S’agissant d’opérateurs liés à une activité d’intérim, il peut y avoir un effet d’aubaine. Ils reçoivent d’un côté de l’argent public pour accompagner, de l’autre ils peuvent également être rétribués en cas de placement des personnes coachées chez des entreprises clientes», renchérit Renaud Bierlaire (FGTB), qui pointe par ailleurs que cette mise en relation entre les services (jobcoaching et intérim) est difficile à contrôler.
«La personne peut donc devenir un potentiel client par la suite, ce qui veut dire rapporter de l’argent.» Fabrice Schuller, de la mission locale de Bruxelles-Ville
Les agences reconnaissent que des connexions peuvent avoir lieu avec leur service d’intérim. «Il nous arrive de faire un lien, dépendant de la demande, des besoins, du projet, confirme Amélie Vercamer, chez Trace. Mais ce n’est pas automatique. C’est en fonction de la personne.» Chez Manpower, même son de cloche. «On ne peut pas tous les envoyer en interne, mais c’est vrai que nous pouvons leur faire profiter de nos réseaux, et ils sont prioritaires. Après, nous les envoyons également chez des concurrents», explique Gregory Guetta, responsable du département Jobcoach chez Manpower.
Au-delà de la plus-value de leur accompagnement, c’est l’ouverture même du marché du jobcoaching des demandeurs d’emploi aux agences d’intérim – un secteur qui connaît un chiffre d’affaires de plus de 10%, selon Federgon – qui interpelle certains acteurs.