Autour de la table pour débattre de l’accueil en urgence, de sa (non-)conditionnalité, de son anonymat ou pas, des représentants des services d’aide et d’urgence sociale detrois grandes villes : Charleroi, Liège et Bruxelles. Des absents : les CPAS d’Anvers et de Gand et l’associatif, présent dans la salle mais pas parmi les invités.
David Lambert, responsable du dispositif d’urgence sociale du CPAS de Charleroi1 ouvre le feu : « Nous disposons à Charleroi de trois abris de nuit. Un seul n’exige pas de fournirune identité à l’entrée. La personne hébergée peut passer maximum 4 nuits par semaine et 50 nuits par an. Pour contrôler cela, il faut qu’on puisse identifierles gens mais il n’est pas demandé de documents d’identité, un prénom, même inventé, suffit. À l’abri de jour, la personne donne son prénom et lapremière lettre de son nom, si un accompagnement plus poussé s’avère nécessaire avec, souvent à la clé, des démarches administratives, alors il estdemandé de décliner son identité complète. On peut donc parler d’un accueil anonyme mais une fois qu’on entre dans l’accompagnement social, on est obligé de sortirde l’anonymat. À noter que 8 à 9 personnes sur dix donnent d’emblée leur nom même s’ils savent qu’ils ne sont pas obligés. Quant à l’inconditionnalité,elle est importante si on veut pouvoir toucher des personnes qui n’ont souvent plus eu, ou jamais eu, de liens avec des intervenant sociaux. Mais cette inconditionnalité n’est pas totalepuisque chaque abri a son propre règlement d’ordre intérieur et des règles minimales à respecter. Et puis il faut aussi faire remarquer que la logique des CPAS enmatière d’aide urgente se heurte bien souvent à celle des abris de nuit, car l’aide des CPAS est comme toute aide publique soumise à conditions. »
Inconditionnalité : illusoire ?
« À l’abri de nuit, explique Josette Deltour, coordinatrice de l’urgence sociale au CPAS de Liège2, les personnes peuvent séjourner sans donner leur nom et sansconditions pendant 7 jours. S’ils veulent prolonger leur séjour et bénéficier d’un accompagnement social, alors ils sont invités à décliner leuridentité. » Quant à l’inconditionnalité de l’accueil, pour Josette Deltour, elle est illusoire si on veut arriver à orienter les usagers vers les personnesadéquates.
Une conditionnalité souvent inhérente aux structures publiques chargées de justifier les dépenses engagées et soumises à la loi. Mais le respect de la loiorganique des CPAS peut aussi revêtir une certaine flexibilité. Ainsi, David Lambert explique que le CPAS de Charleroi dispose d’un assistant social « hors les murs » qui se rend dans lesabris, les associations pour prostituées, etc. « Il est sur le terrain, organise des permanences et joue un rôle de médiateur, un rôle pro-actif en termes d’action sociale.Cet AS se rend aussi deux fois par mois avec les éducateurs de rue pour aller à la rencontre des personnes dans la rue. Il y a donc moyen de construire des partenariats avecl’associatif et pour une institution publique de se montrer relativement flexible. Ça donne chez nous de bons résultats. »
Un anonymat très peu demandé !
« Dans le secteur associatif, remarque la coordinatrice des centres de services sociaux de Liège, nous revendiquons l’inconditionnalité de l’accueil car les gens qui viennent dans nosservices ont d’abord besoin de se poser avant d’être orientés et de rentrer dans un processus d’accompagnement ou de réinsertion ».
Une analyse confirmée par la directrice d’une maison d’accueil pour hommes : « Chez nous, on a l’habitude de dire : accueil inconditionnel mais séjour conditionnel. Si nous fixionsdes règles dès l’accueil, beaucoup de SDF ne franchiraient jamais la porte. Quant à l’anonymat, selon notre expérience, il y a très peu de personnes qui lesouhaitent sauf si elles ont quelque chose à cacher mais dans ce cas, elles ne s’adressent pas à nous. Seule exception à la règle : les sans-papiers. »
« Je constate la même chose, confirme cette psychologue à l’antenne psycho-paramédicale de Verviers, nous n’avons quasi personne qui ne veut pas donner son nom. Appelerquelqu’un par son prénom ou son nom, est une forme de reconnaissance, les gens en ont besoin. »
Cachez ces parias que je ne saurais voir
Pascale Perreita, directrice du Casu (Centre d’action sociale d’urgence)3 de Bruxelles partage cet avis : « Quand on travaille avec des gens qui sont invisibles pour lasociété, il est important de leur donner un nom, une visibilité même si ce n’est pas leur vrai nom, peu importe. C’est une reconnaissance importante, parfois le dernierlien formel avec la société. Quant à la conditionnalité évoquée auparavant, chez nous, elle était dans un premier temps liée au nombre deplaces. ‘Plus de place, vous n’entrez pas ; places libres, on vous accueille’. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte qu’en travaillant comme cela, ce n’était souvent pas les plusvulnérables qui étaient accueillis car ils n’avaient pas accès au téléphone, ne savaient pas que le Casu existait, etc. Nous avons donc dû fixer descritères d’accès pour être sûrs de toucher les personnes les plus en besoin. Nous avons ainsi donné priorité aux personnes accompagnées d’enfants, auxmineurs, aux femmes battues avec enfants et aux personnes en chaise roulante. Nous avons également un règlement parce qu’il est nécessaire de mettre des limites, de fixer desbalises. Si par exemple, il y a un passage à l’acte, violent s’entend, il peut y avoir de 1 à 15 jours d’exclusion du Casu. Cela permet une prise de conscience, l’apprentissage du vivreensemble. Mais attention, personne n’est jamais exclu définitivement et le personnel est toujours disponible pour discuter du passage à l’acte, de la crise. »
Le mot de la fin ira à Yvon Henry, responsable du Relais social de Liège4 : « Depuis que les lois sur le vagabondage et sur les hôpitaux psychiatriques ontété modifiées, les personnes auparavant prises en charge par la gendarmerie et les hôpitaux se sont retrouvées dans la Cité. Cela crée aujourd’hui despeurs que les gens ne savent comment gérer. Le risque étant avec cette évolution de vouloir les remettre ‘dans les murs’, de les ré-enfermer, de les fairedisparaître de notre vue. Il suffit de constater : le seuil de tolérance baisse de plus en plus par rapport à la mendicité, aux toxicos, aux sans-papiers. On dit vouloirinsérer… dans une société excluante. Les associations n’agissent que sur les conséquences, mais il est important que nous nous penchions, avec le politique, sur lescauses. »
1. CPAS de Charleroi, Urgence sociale, bd. Zoé Drion, 21 à 6000 Charleroi – tél. : 071 32 12 12 – site : http://www.cpascharleroi.be
2. CPAS de Liège, place St Jacques, 13 à 4000 Liège. Urgence sociale, rue du Vertbois 86 à 4000 Liège – tél. : 04 221 13 13.
3. Casu, rue du Petit Rempart 5 à 1000 Bruxelles – tél. : 0800 99 340.
4. Relais social de Liège, rue Lonhienne, 2 à 4000 Liège – tél. : 04 223 78 73.