S’exprimant sur la question de la délinquance des mineurs et de la politique qu’il convient d’y appliquer, Nicolas Sarkozy considérait en 2006 que «l’on n’est pas mineur aujourd’hui comme on l’était en 1945 ».
Pourquoi cette date ? Parce que les dispositions pénales qui concernent les mineurs délinquants en France sont régies par l’ordonnance du 2 février 1945– réformée régulièrement depuis, mais dont l’esprit et la lettre sont encore pour l’essentiel respectés. Ce qui n’est pas forcémentdu goût de tout le monde…
En substance, cette ordonnance considère qu’un mineur qui commet une infraction est un mineur en danger et qu’il convient dès lors de le protéger. Lesprocédures qui caractérisent la justice des mineurs sont donc établies dans le cadre de cette préoccupation constante qui place la dimension préventive au centre dudispositif. L’audience d’un mineur délinquant comporte donc deux phases : la mise en examen (quelle que soit l’infraction commise, la comparution immédiaten’est en effet pas possible comme elle est souvent de mise pour les adultes) et l’audience de jugement, qui intervient généralement plusieurs mois après. Pourquoi untel délai ? Pour permettre à la justice d’observer l’évolution du mineur dans ce laps de temps. « Il y a nécessité pour lemagistrat en charge d’un dossier de disposer d’une étude la plus approfondie possible du profil de l’adolescent, explique maître Christine Mennrath, avocate au barreaude Strasbourg. Tout est mis en œuvre pour appliquer une justice qui s’attache à son histoire personnelle, afin de mettre en œuvre une véritable personnalisation de lapeine, qui prenne en compte tous les critères, notamment sociaux et familiaux. » Dans cette optique, une Liberté surveillée préjudiciable (LSP) peutégalement être mise en place durant l’audience. Ce dispositif permet notamment de désigner des éducateurs chargés de suivre le mineur délinquant et del’accompagner dans une démarche de compréhension des faits et d’insertion sociale. « C’est, du reste, également une grande partie du rôle del’avocat, le plus souvent désigné par le bâtonnier, que de faire comprendre à l’enfant la réalité de sa situation et la portée de sesactes, souligne Me Mennrath. Au-delà de la dimension répressive, le souci constant des professionnels de justice doit être d’éduquer, de prévenir etau final de protéger. »
Protéger les mineurs ou se protéger des mineurs ?
Mais la dimension répressive, exacerbée par l’impact fantasmatique de certains faits divers, a de plus en plus souvent le vent en poupe, jusque dans le discours desresponsables politiques. A l’image du futur président de la République française Nicolas Sarkozy qui estimait, il y a quelques années, que présenter devant unjuge pour enfants une brute de 1 mètre 90 qui frappe sa victime à terre n’avait aucun sens… Un durcissement de ton qui cache bien souvent (et bien mal) le désarroides pouvoirs publics dans la gestion d’un problème social considéré à tort ou à raison comme de plus en plus préoccupant. Un durcissement de ton quiconduit parfois à des envolées un peu rances et à des propositions lancées en l’air au petit bonheur et sans grande réflexion préalable, comme celle deRachida Dati, alors ministre de la Justice, qui préconisait, en 2008, d’abaisser l’âge minimum d’incarcération de 13 à 12 ans dans le cas de crimes graves(une proposition retoquée par le premier ministre François Fillon). La question a été également soulevée de supprimer l’excuse de minorité afinque les mineurs de 16 ans puissent être jugés comme des adultes. Une volonté de sévérité qui pourrait bien s’avérer pire que le mal qu’elleprétend combattre. « Ce n’est pas parce que les adolescents ont l’air plus mûrs aujourd’hui qu’ils le sont réellement, explique Me CarolineMeunier, également avocate à Strasbourg. L’âge moyen du premier rapport sexuel n’a, par exemple, guère varié depuis des décennies… Il nefaudrait pas qu’à la préoccupation légitime de protéger les jeunes, on substitue celle de se protéger des jeunes. C’est à l’avocat aussi defaire entendre – au-delà des apparences – la vulnérabilité des mineurs délinquants. »
Une préoccupation qui demeure aujourd’hui largement partagée par l’ensemble des professionnels en charge de l’application de la justice en France et qui,insensibles aux rodomontades médiatiques, ont à cœur de travailler à la protection des mineurs, meilleur rempart contre la récidive. Dans cette optique, lapossibilité existe, lorsque le danger qui touche l’adolescent est manifeste, d’ouvrir un dossier sur le plan strictement éducatif, qui ne passe donc pas par le voletpénal et qui permet de nombreuses initiatives d’accompagnement du mineur en difficulté. Nous y reviendrons dans une prochaine édition.