Le Plan d’accompagnement et de suivi des chômeurs (PAS) a été mis en place en juillet 2004, avec deux volets théoriquement distincts : un voletd’accompagnement assuré par les services régionaux de l’Emploi (Forem, Orbem et VDAB), et un volet de contrôle – appelé Activation du comportement derecherche d’emploi – confié à l’Onem et ses facilitateurs. En près de trois ans, il n’avait toujours fait l’objet d’aucune évaluationscientifique quant à ses effets. Un manque désormais partiellement comblé par trois chercheurs de l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales de l’UCL).Bart Cockx, Muriel Dejemeppe et Bruno Van der Linden consacrent en effet à cette question la 49e livraison de la revue Regards économiques1. En attendant,peut-être, l’évaluation commandée par le ministre de l’Emploi, Peter Vanvelthoven (Sp.a), annoncée pour le second semestre de cette année…
Cum grano salis
Avant de présenter les enseignements de la présente étude, dont l’ambition est de mesurer non seulement le « volet répressif » du plan, maiségalement son volet de « soutien » (augmentation de l’offre de formation, intensification de l’accompagnement…), un long détour méthodologique s’impose.À propos de l’échantillon d’abord : la recherche ne concerne l’effet du PAS en matière d’insertion que sur le seul sous-groupe des chômeurs indemnisésâgés de 25 à 29 ans. Cette restriction est imposée par des contraintes techniques. À propos de la période analysée, ensuite : celle-ci porte sur lesdix mois suivant la réception par le chômeur d’un avertissement de l’Onem, qui lui signale qu’il sera convoqué – dans un délai moyen de huit mois– pour justifier ses efforts de recherche d’emploi. Cette dernière est envoyée après une durée donnée d’inoccupation (7 mois pour les moins de 25 ans et13 mois au-delà). C’est donc bien l’effet de ce seul avertissement, et de l’accompagnement qui en découle de la part du service régional de l’Emploi, quecherche à mesurer l’étude. Il est capital de noter qu’elle ne mesure pas l’effet des entretiens à l’Onem, qui constituent la face la plus visible dudispositif. À propos du groupe témoin2, enfin : il n’est pas constitué de chômeurs de 25 à 29 ans, qui auraient « miraculeusement »échappé à l’avertissement, mais bien de chômeurs ayant tout juste franchi le cap des 30 ans, et qui n’étaient donc pas encore concernés par le PASpuisque celui ci s’est mis en place progressivement (pour les moins de 30 ans à partir de juillet 2004 ; pour les moins de 40 ans à partir de juillet 2005 ; pour les moins de 50ans à partir de juillet 2006). Cet « artifice méthodologique » ne pourra plus servir dans une recherche ultérieure. En effet, les plus de 30 ans sont désormaisconcernés par le PAS au même titre que leurs cadets. Il est par ailleurs permis de s’interroger sur sa pertinence : considérer les 30 ans et plus comme non concernéspar le dispositif relève en partie de la fiction. En effet, même si, en juillet 2004, ils n’avaient pas encore reçu la lettre d’avertissement, un bon nombred’entre eux savaient bien qu’ils allaient la recevoir et, le cas échéant, avaient commencé à adapter leurs comportements en conséquence. Enfin, ilconvient d’ajouter que l’étude porte sur les premiers mois de mise en œuvre du PAS, qui en était encore à ses tâtonnements. Le passage,opéré depuis lors, à un régime de croisière n’est peut-être pas sans incidence sur la portée des résultats.
Un effet positif surtout pour les plus proches de l’emploi
Moyennant tous ces grains de sel – qui finissent par se transformer en de solides pincées –, l’étude débouche sur les conclusions suivantes :
• En Flandre et en Wallonie, le PAS a pour résultat de relever d’environ 5 % en moyenne les chances de trouver un emploi : 5 mois après l’avertissement de l’Onem, un chômeurcomplet indemnisé de moins de 30 ans résidant en Région wallonne (ou, respectivement, flamande) avait 27 % (ou, respectivement, 35 %) de chances d’avoir trouvé un emploi.En l’absence de PAS, cette probabilité n’aurait été que de 22 % (ou, respectivement, 30 %).
• L’effet positif du PAS sur la reprise d’emploi bénéficie aux chômeurs qui ont des caractéristiques plus favorables à l’embauche, ainsi qu’aux femmes etaux chefs de famille.
• Le PAS semble stimuler la reprise d’emplois peu rémunérés en Flandre. C’est ce qu’on pourrait appeler « l’effet titres-services ». D’après leschercheurs, « la menace de contrôle et de sanctions, sans accompagnement spécifique du SPE [Forem, Orbem ou VDAB : NDLR], pourrait ainsi inciter des chômeurs àabaisser leurs exigences à l’embauche. »
• Le PAS n’a pas d’effet sur la reprise d’emploi des jeunes chômeurs bruxellois – sans que les chercheurs ne soient à même d’avancer une « explicationdéfinitive » à ce sujet.
• Le PAS stimule l’accès aux formations, et la reprise d’étude des jeunes chômeurs indemnisés, surtout en Wallonie.
Effet réel ou effet de substitution
Au-delà des précautions méthodologiques évoquées, il s’agit de rester prudent dans l’interprétation même des résultats. La plusgrande hypothèque qui pèse sur cette dernière concerne l’effet de substitution, c’est-à-dire le passage de l’effet individuel pour une personne appartenantà une catégorie donnée (les moins de 30 ans), à un effet collectif, de réduction du taux de chômage global. Il est en effet possible que la plus grandeprobabilité de retour à l’emploi des chômeurs concernés par le PAS se fasse simplement au détriment des chômeurs non concernés (soit, les plus de 30ans, dans l’enquête de l’Ires). Dans ce cas, les effets décelés ne reviendraient à rien d’autre qu’un changement dans l’ordre de la file de sortie du chômage (le PASferait passer les moins de 30 ans avant les autres), mais pas à une réduction de la taille de la file. Les auteurs admettent que les données dont ils disposent actuellement nepermettent ni de confirmer ni d’infirmer cette hypothèse.
La plupart de leurs recommandations politiques semblent d’ailleurs provenir plutôt du dépouillement de la littérature étrangère sur l’activation, quede leurs propres résultats. S’ils soutiennent le principe même du « contrôle de comportement des chômeurs », les chercheurs plaident néanmoins enfaveur de modifications substantielles du régime actuel. Ainsi, ils proposent de supprimer le contrôle administratif, c’est-à-dire la vérification de preuves écritesde démarches de recherche d’emploi (effectuées lors des entretiens à l’Onem, qui se situent, rappelons-le hors du périmètre de leur recherche). D’aprèseux, les contrôles de l’Onem devraient « plutôt porter sur des actions vérifiables comme le refus d’emplois convenables ». Il s’agirait alors, ajoutent-ils, de donnerune définition plus précise qu’actuellement du concept d’emploi convenable et, pour les services régionaux de l’emploi, de transmettre les offres d’emploirégulièrement et de manière individualisée. À cet égard, on se souviendra qu’une des revendications de la plate-forme « Stop chasse aux chômeurs» était précisément qu’aucun chômeur ne puisse être sanctionné, s’il n’avait préalablement reçu une offre d’emploi convenable : uneproposition qui rejoint donc celle avancée par les trois chercheurs. Pour Yves Martens, qui anime la plate-forme, le défi serait maintenant de parvenir à une définitionambitieuse de cette notion d’emploi convenable – qui aurait tendance à être détricotée depuis quelques années.
Réactions négatives
Parmi les autres – rares – réactions à la publication de l’étude, Peter Vanvelthoven (SP.A), considère l’analyse trop partielle, dans la mesureoù elle porte sur la seule catégorie des 25-29 ans, et la seule réception de la lettre d’avertissement. Réaction encore plus dure du côté du serviced’études de la CSC, où Paul Palsterman disqualifie l’étude, et particulièrement ses conclusions : « Les recommandations sortent de nulle part et n’ont pasgrand-chose à voir avec les constats. De plus, si on fait reposer principalement sur le Forem ou l’Orbem la charge de transmettre le refus d’emplois convenables, on risqued’encore brouiller leur identité institutionnelle. Il faut au contraire séparer les missions de soutien, qui sont les leurs, de celles de contrôle, qui doivent incomberà l’Onem. »
Quant aux chercheurs eux-mêmes, ils annoncent l’étape suivante : la recherche a été effectuée au départ d’un échantillon de chômeursindemnisés mis à disposition par l’Onem. Elle sera approfondie par l’exploitation de données plus complètes provenant d’autres institutions (ONSS, Inasti, etc.) quipermettront d’identifier le motif de sortie des personnes qui ne sont plus indemnisées par l’Onem. Un nouveau numéro de Regards économiques est d’ores etdéjà annoncé à ce sujet. Reste que les futures études devront affronter des difficultés méthodologiques au moins aussi importantes que celle-ci, dansla mesure où elles ne pourront, par exemple, plus s’appuyer sur un groupe témoin – fût-il artificiellement créé : il n’y a plus de hors-systèmepuisque toutes les catégories d’âge sont maintenant potentiellement concernées!
1. Ce numéro est téléchargeable sur le site de l’Ires. Il est tiréd’une recherche plus longue disponible sur www.uclouvain.be/4711.html
2. En statistiques, le groupe témoin désigne un groupe aux caractéristiques identiques à celles des personnes à qui un traitement est soumis. Le groupetémoin n’est lui, pas soumis au traitement que l’on souhaite tester.