L’accueil protestant, un service d’aide aux justiciables, organise une exposition retraçant dix années d’ateliers d’art dans l’annexe psychiatrique de la prison de Forest.
Une série de portraits colorent les murs en briques blanches de l’accueil protestant (APO). Un poème traîne sur une table. L’auteur y raconte qu’il voudrait être untambour « pour faire beaucoup de bruit ». Plus loin, un graffiti… réalisé au pinceau ! « Les internés ont voulu travailler sur le thèmedes arts de la rue, mais on ne pouvait pas amener de bombes de peintures en prison pour des raisons de sécurité », précise Daphné, l’une des animatrices del’atelier.
En découvrant l’expo d’APO 1, on aurait pu s’attendre à quelque chose de sombre, quelque chose qui exprime la dureté de la vie carcérale. Pourtantl’impression générale est plutôt à la bonne humeur.
T. a peint une pirogue qui vogue sur une mer azur, quelque part sous le soleil du Maroc. Une vision, un rêve qu’il a fait derrière les barreaux. « Participer aux ateliers,c’est une façon de s’évader, d’oublier qu’on est en prison et de rencontrer des gens qui viennent de l’extérieur », confie cet ancien détenu qui a tenu àgarder l’anonymat. Les détenus sont confinés vingt-trois heures sur vingt-quatre dans des cellules étroites et surpeuplées. Les ateliers sont avant tout une occasion poureux de passer deux ou trois heures supplémentaires chaque semaine en dehors de ces quatre murs étouffants. T. se souvient de l’atelier potager. « Derrière l’annexepsychiatrique de la prison de Forest, il y a un petit jardin, puis un mur, puis c’est la rue. A aucun autre moment, on ne pouvait être aussi près de la rue. Même pas lors despromenades dans le préau. Quand on travaillait dans le jardin, on pouvait entendre le bruit des voitures, les gens parler. Ça faisait tout drôle ! »
« Arrêter de penser »
T. a passé seize ans de sa vie à l’ombre. « Je connais toutes les prisons du pays. La pire, c’est Merkplas. Il y a des rats, c’est gris, les gardiens vous parlent enflamand et quand vous ne comprenez pas, vous vous prenez une sanction », raconte-t-il. Son frère aussi a connu cette prison. « Il a braqué un magasin et il a prisune balle dans l’œil. Les médecins lui ont ouvert le crâne à la disqueuse. Après neuf mois de coma, il s’est réveillé et ne se souvenait de rien.C’était sa première connerie. Après, il est tombé dans la boisson, puis la drogue. » L’histoire se termine aussi mal qu’elle a commencé. En 2005, il sepend dans sa cellule. Il avait vingt-cinq ans. T. reste tourmenté par ce souvenir tragique. Deux heures de peinture, c’est aussi deux heures sans penser. « Ça permetd’oublier un peu. On n’a pas le cerveau qui répond et ça fait du bien. Le pire, c’est quand on est entre les quatre murs de la cellule. Là, on peut vraiment péter unplomb. »
Manque de moyens
Les ateliers rencontrent un franc succès auprès des détenus. Malheureusement, les moyens pour organiser ce type d’activités restent limités, comme l’adéploré Carine Molatte, coordinatrice du centre social protestant, lors de l’inauguration. Dans les discours officiels, la ministre bruxelloise de l’Action sociale, Evelyne Uyetebroeck,n’a pas non plus manqué de le rappeler. « Au niveau de la Cocom, nous devons tendre avant tout à donner à chaque détenu l’accès aux programmes d’aides etde soutien. Nous devons bien entendu encore développer l’accompagnement en prison, ce qui, étant donné le carcan budgétaire dans lequel Bruxelles se trouve, n’estpas une tâche aisée. » On connaît la chanson.
Depuis un an et demi, T. goûte à sa liberté retrouvée. Et s’en tient à ses bonnes résolutions. « La prison, ça vous change.J’évite de boire, d’aller au café. Le soir, je ne sors plus après 21 h 30. Vous avez une chance, deux chances, trois chances, et puis un jour, il n’y a plus de chances.Soit vous comprenez. Soit vous finissez dans une bavure policière avec une balle dans la tête ou suicidé dans votre cellule. » Bien sûr, la peur de replonger esttoujours présente. « La nuit, je fais des cauchemars. J’ai toujours peur d’y retourner. Mais ma petite femme me surveille bien », dit-il en jetant un regardamoureux à sa compagne. Le couple occupe un logement de transit mis à disposition par l’asbl APO. Dans deux semaines, T. commencera un nouveau boulot. Magasinier à mi-temps.« Je voudrais que vous écriviez dans votre article que je remercie les assistants sociaux. Et aussi mon psychiatre qui m’a beaucoup aidé », ajoute-t-il alors quel’interview touche à sa fin.
L’ancien interné de la prison de Forest n’a plus jamais touché un pinceau. « En fait, je n’ai jamais été très doué. Mais ça n’a aucuneimportance. »
1. « De l’ombre à la lumière ». L’exposition des œuvres des internés se tient jusqu’au 16 décembre, tous les vendredisaprès-midi de 14 à 16 heures dans les locaux d’APO, rue Cans, 12 à 1050 Ixelles
– tél. : 02 512 80 80
– site : www.csp-psc.be.