Cela s’agite enfin autour de l’ordonnance économie sociale. Plusieurs textes, dont celui de Benoit Cerexhe (CDH)1, ministre de l’Emploi et de l’Économie de laRégion de Bruxelles-Capitale, sont sur la table. Écolo n’est pas en reste non plus.
La saga de l’ordonnance économie sociale en Région de Bruxelles-Capitale est peut-être en train de toucher à sa fin. Et si ce n’est pas le cas, c’est à tout lemoins un chapitre important de cette affaire complexe qui est en train de s’écrire. Arnaud Pinxteren, député régional écolo, vient en en effet de présenterlors d’un workshop organisé par Étopia2 (Centre d’étude et d’éducation permanente en écologie politique) le 30 juin 2010, une « propositiond’ordonnance relative à l’économie sociale en Région de Bruxelles-Capitale » censée répondre à certains problèmes du secteur alors que de soncôté, Benoît Cerexhe (CDH), ministre de l’Emploi et de l’Économie de la Région de Bruxelles-Capitale (et ministre de tutelle de l’économie sociale), tenu entreautres par l’accord de gouvernement, a présenté son propre avant-projet en une chorégraphie presque synchronisée ce jeudi 8 juillet. Si les deux initiatives ne sont pasconcurrentes, il n’empêche qu’elles semblent étroitement liées. En effet, si Arnaud Pinxteren se défend d’avoir voulu « tirer dans les pattes » de BenoîtCerexhe, son initiative ressemble fortement à une tentative de mettre un peu de pression sur un cabinet humaniste que certains accusaient de prendre son temps pour présenter son projetalors que le secteur trépignait depuis plusieurs mois (voire des années) à la suite de l’annonce de la commande, début 2008, par le cabinet de deux étudesdestinées à faire un check-up du secteur3. Un cabinet que l’on dit par ailleurs assez indisposé par l’initiative de l’élu écolo.
Pour rappel, l’économie sociale (d’insertion) à Bruxelles est aujourd’hui régie par une ordonnance datée du 18 mars 2004, censée organiser l’agrément etle financement des Ilde (initiative locale de développement de l’emploi) et des EI (entreprises d’insertion). Réalisé dans la précipitation, ce texte a depuisété l’objet de nombreuses critiques. Imprécisions, financements défaillants et, surtout, absence de « cadre » ou de définition claire de ce qu’estl’économie sociale à Bruxelles aujourd’hui (l’ordonnance se focalisant sur l’agrément et le subventionnement des seules EI et Ilde) sont les problèmes les plusrégulièrement identifiés. L’accord de gouvernement 2009-2014 à Bruxelles prévoit d’ailleurs la révision de cette même ordonnance.
Au cœur du workshop
Avant de s’intéresser aux derniers développements de l’affaire, revenons un instant sur la matinée organisée par Étopia. Lors de ce workshop, la structure avaitannoncé la couleur : il s’agissait d’initier un processus de consultation sur le projet de refonte de l’ordonnance économie sociale pour la Région de Bruxelles-Capitale. Unprojet pour lequel Écolo mettait des options politiques sur la table.
Portées devant une cinquantaine d’acteurs du secteur (fédérations d’économie sociale, Ilde, EI, des agences-conseil, l’administration de l’Emploi de la Région deBruxelles-Capitale et d’autres acteurs actifs dans le secteur) par Arnaud Pinxteren4, député régional actif dans la commission Environnement et Affaireséconomiques et ex-conseiller à la Cellule économie sociale de l’administration fédérale, les évolutions proposées sont nombreuses, tant pour lesstructures qui ont une mission de terrain en matière d’économie sociale (les EI et Ilde au premier chef) que pour les agences-conseil ou la Plate-forme économie sociale.
Ainsi, premièrement, le texte ambitionne de donner un cadre général à l’économie sociale en Région de Bruxelles-Capitale qui ne soit pas limitéà l’économie sociale d’insertion. Deuxièmement, il propose dès lors d’intégrer les ETA (entreprises de travail adapté) au paysage de l’économiesociale bruxelloise, une mesure qui permettrait leur agrément, mais pas leur financement. Les coopératives d’activités se voient aussi offrir un cadre officiel d’agrément(et de financement) tout en rendant des partenariats locaux (maisons de l’emploi, missions locales) obligatoires. Enfin, les « projets innovants » recevraient également lapossibilité de se voir accorder un financement de lancement, sur base d’appels à projets annuels et sous condition de mise en place d’une convention avec une agence-conseil enéconomie sociale.
Troisièmement, concernant les EI, la proposition d’ordonnance suggère notamment que la moitié du personnel d’exécution appartienne au public cible. La périoded’agrément est fixée à deux ans, renouvelable par périodes de quatre ans ensuite. Enfin, le projet propose également que l’appartenance au public cible sevérifie au jour de l’entrée en fonction. Une option qui permet au public cible de le rester sans limitation dans le temps, ce qui est censé favoriser une insertion durable dutravailleur. Notons pour conclure qu’une proposition de rendre l’importance des subsides « fonction des autres sources de financement » dont la structure dispose, devrait quant àelle être abandonnée suite aux réactions de certains membres du secteur.
Trois petites révolutions
Néanmoins, outre ces propositions, le projet d’ordonnance lance aussi trois pistes de travail plus radicales. La première concerne les Ilde, rebaptisées ILD (initiativeslocales de développement) pour l’occasion. Outre le fait qu’il puisse s’agir de cadrer les Ilde dans un contexte plus « global » (hors économie sociale d’insertion strictosensu, comme mentionné plus haut), une autre explication à cette initiative est proposée par Arnaud Pinxteren, contacté par nos soins. « Cette modification n’est pasle fait du hasard, nous dit-il. L’idée est de faire des ILD des services de proximité qui puissent répondre à des besoins collectifs insuffisamment rencontrés, unsecteur qui a besoin de soutien à Bruxelles. Dans ce cadre, 20 % au moins du volume des activités devra d’ailleurs s’adresser à des publics précarisés. Unsubventionnement horaire [NDLR de 21 euros au maximum par heure prestée] est d’ailleurs prévu à cet effet. » Les ILD seraient également agréées pourune période de « 2 + 4 ans », sans limitation du statut de public cible dans le temps, à l’identique de ce qui est proposé pour les EI.
Concernant la deuxième « révolution », le texte présenté recadre le rôle des agences-conseil en économie sociale sur les missions de conseil etd’accompagnement des projets, en évacuant la promotion. Un conventionnement entre l’age
nce-conseil prestataire et l’entreprise d’économie sociale suivie est également rendueobligatoire. Quant au financement, il se voit réparti entre une partie forfaitaire et une partie variable. Des mesures qui viennent faire écho à certaines des pistesproposées par l’étude sur le fonctionnement des agences-conseil en Région de Bruxelles-Capitale commandée par le cabinet Cerexhe et à propos de laquelle AlterÉchos avait fait un article dans son nº 287, de même que concernant l’étude relative aux Ilde et EI.
Enfin, une commission d’agrément serait instituée. « Son rôle serait un rôle d’avis, ajoute Arnaud Pinxteren. La Plate-forme économie sociale [NDLR qui secharge des avis à l’heure actuelle], quant à elle, se verrait confier un rôle prospectif, de promotion ou d’observatoire. » Détail important à noter : au casoù la commission d’agrément omettrait de remettre son avis au gouvernement dans les temps impartis, cet avis serait réputé favorable.
• un président et un vice-président ;
• deux membres et deux suppléants représentant les organisations représentatives des travailleurs siégeant au Conseil économique et social de la Régionde Bruxelles-Capitale ;
• deux membres et deux suppléants représentant les organisations représentatives des employeurs siégeant au Conseil économique et social de la Région deBruxelles-Capitale ;
• trois membres et trois suppléants représentant le secteur de l’économie sociale ;
• un membre et un suppléant représentant d’Actiris ;
• deux représentants et deux suppléants du ministère de la Région de Bruxelles-Capitale.
La matinée organisée par Étopia se conclura par un débat assez important : faut-il un texte qui décrit les caractéristiques générales del’économie sociale et des textes thématiques juxtaposés définissant chacun des dispositifs comme en Région wallonne ? Est-ce adapté à laréalité bruxelloise ? Ou bien se « contente »-t-on d’une ordonnance globale avec plusieurs chapitres, comme le proposait Écolo en ce jour ?
« Je suis un homme de dialogue »
Si cela a donc bien cogité du côté d’Écolo, Benoit Cerexhe n’est pas non plus resté inactif puisque, comme on l’a dit, son texte a étéprésenté au gouvernement le 8 juillet. « Un texte qui avait été concerté au sein de la Plate-forme depuis plus d’un an et qui se centre sur trois points,insiste le ministre, qui en dévoile les grandes lignes tout en gardant une certaine discrétion sur son contenu, celui-ci en étant encore aux premières étapes de sonparcours. Premièrement, il s’agissait d’une mise en conformité avec la législation européenne, notamment concernant les aides d’État. Deuxièmement, il yavait quelques améliorations techniques à apporter, par exemple en ce qui concerne le transfert ou la suppression d’un agrément. Enfin, nous en avons profitéégalement pour effectuer certaines innovations. » Des innovations au sein desquelles on retrouverait notamment une définition de l’économie sociale, des précisionssur le rôle des agences-conseil, un fonctionnement sur base d’appels à projets annuels ou encore de nouveaux calculs de financement.
Cette petite présentation faite, que va-t-il se passer à l’avenir ? Si c’est Benoit Cerexhe qui a très clairement la main dans ce dossier, du fait de son statut de ministre detutelle, on le voit mal néanmoins faire totalement fi des propositions mises sur la table par Écolo. S’il se susurre que le ministre a modérément appréciél’initiative des verts, l’élu CDH joue néanmoins la carte de l’apaisement. « Je suis ouvert à des compléments qui pourraient venir du parlement, nous dit-il. J’aid’ailleurs toujours dit à Arnaud Pinxteren que nous étions prêts à faire évoluer le texte. Maintenant, je tiens à préciser que j’applique l’accord degouvernement. Je suis un homme de dialogue, mais je suis aussi un homme qui se tient aux accords. »
Néanmoins, malgré cette volonté d’ouverture, trouver des points de convergences demandera un peu de travail, même si Benoit Cerexhe dit ne pas voir de grandescontradictions entre ce qu’il propose et le texte d’Écolo. Une première pierre d’achoppement pourrait d’ailleurs se trouver au niveau des fondements mêmes des deux textes : leurchamp d’application. Si, on l’a vu, la proposition d’Écolo tente d’élargir le cadre de l’économie sociale bruxelloise, Benoit Cerexhe est quant à lui tenu de revoirl’ordonnance Ilde/EI. Le texte présenté le 8 juillet devrait donc « se limiter » à ces seules structures, même si le projet devait, paradoxalement, donner unedéfinition de ce qu’est l’économie sociale dans son ensemble. Benoit Cerexhe se veut d’ailleurs prudent lorsque l’on parle « élargissement ». « Il faut faireattention, précise-t-il. N’oublions pas qu’il va y avoir un débat au fédéral concernant de possibles transferts de compétences et qu’il risque d’y avoir unerégionalisation accrue de l’économie sociale. »
Quid pour l’avenir ?
On le voit, les prochaines semaines, les prochains mois risquent d’être chargés. Aux dernières nouvelles, Écolo aurait d’ailleurs déposé sur la table unautre projet d’ordonnance se limitant « (…) désormais à établir une définition générale du secteur de l’économie sociale en soulignantles principes qui sous-tendent l’activité exercée ». L’objectif serait que « cette définition générale serve de référence et debalise lors de l’élaboration de dispositions légales particulières visant à organiser les dispositifs spécifiques ou sectoriels dans le domaine del’économie sociale ». Une manière de coller au « modèle wallon » évoqué plus haut ? Difficile à dire, même si Arnaud Pinxterennous avait bien confirmé son intention de présenter également un texte définissant les principes du secteur et de se baser par la suite sur ses réflexions et lesdiscussions ayant eu lieu à Étopia pour nourrir les débats éventuellement générés par le texte de Benoit Cerexhe. Si l’intention se veut constructived’après le député Écolo, ce nouvel épisode n’aide peut-être pas à simplifier la lecture d’un dossier aux allures de saga et qui viendrait presque faireoublier le problème majeur du secteur, outre l’ordonnance : le manque de financement.
Les acteurs autour de la table lors de la matinée organisée par Étopia ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés. Ils avaient en effet souligné le fait quel’argent reste le nerf de la guerre. En tout cas, nouvelle ordonnance ou pas, il faudra bien arriver &agrav
e; atteindre les objectifs de soutien financier annoncés en 2004, objectifs qui ontpoussé nombre d’acteurs de l’économie sociale à s’engager dans ce projet régional de promotion de l’économie sociale comme une réponse économique etsociale innovante aux défis du chômage bruxellois…
1. Cabinet de Benoit Cerexhe :
– adresse : rue Capitaine Crespel, 35 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 508 79 11
– courriel : info@cerexhe.irisnet.be
– site : www.cerexhe.irisnet.be
2. Étopia, Espace Kegeljan
– adresse : av. de Marlagne, 52 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 58 48
– courriel : info@etopia.be
– site : www.etopia.be
3. La première étude, réalisée par PriceWaterhouseCoopers s’intéresse aux difficultés financières des Ilde et de EI. La deuxième, menéepar Comase, se concentre quant à elle sur les agences conseil en tentant de cerner ce qui est réalisé par celles-ci en termes de promotion, de soutien et de suivi aux Ilde et auxEI.
4. Écolo, régionale de Bruxelles :
– adresse : place Flagey, 18 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 218 09 02
– site : http://web4.ecolo.be/?Regionale-de-Bruxelles