Les mesures de guidance sociale énergétique visent à réduire le montant des factures des particuliers et leur consommation énergétique. Leurintérêt est donc avant tout collectif. Pourtant, la concentration des mesures d’accompagnement ou contraignantes (il y a aussi les compteurs à budget, etc.) sur lesménages aux revenus les plus faibles, allocataires divers et autres personnes fragilisées par un « accident de la vie », donne l’impression que ce sont les individusqui portent l’effort. La contribution des plus fragilisés au bien-être collectif serait donc « pour une fois » positive…
Ceci dit, ce sont les comportements de consommation de tous les ménages (et des entreprises) qu’il devient nécessaire de changer, et pas seulement ceux d’une partie de la populationplus « contrôlable » parce que plus vulnérable. Sans quoi viendra le jour où l’on n’échappera plus à des formes de rationnement, le plus souventlinéaires et rarement équitables : du compteur à budget au péage urbain en passant par l’interdiction de mettre certains biens énergivores sur le marché.
La libéralisation contre l’individualisme ? La nécessité de se comporter toujours plus en « entrepreneur chez soi » le laisse penser. À chacun defaire son (étude de) marché, d’évaluer sa consommation et de négocier ses contrats de fourniture. Finalement, à l’instar de Liebhaberg (cf. « Libéralisation :le gendarme désarmé« ) à propos de la possibilité d’une inversion de logique entre socialisation des coûts et privatisation des bénéfices, onserait tenté de demander : à quand une re-socialisation des contraintes et une individualisation des avantages ?
Plus que jamais, l’intervention publique et les innovations de terrain fondées sur la solidarité doivent s’articuler et se renforcer. Les enjeuxénergétiques, qui renouvellent la question sociale en y chevillant la question environnementale, pourraient aussi être considérés comme le champd’expérimentation par excellence de nouvelles régulations au bénéfice des ménages. « Pourraient », car la libéralisation, imposéepar l’Europe en amont, a d’abord été conçue pour favoriser Electrabel, la croissance et les gros consommateurs que sont les entreprises. Même si les marges demanœuvre réglementaires, en aval de la directive européenne, ont permis des avancées en matière de production d’énergie renouvelable.
Les ménages, aujourd’hui grands perdants de l’opération, ont-ils donc des raisons d’espérer ? Plusieurs signaux montrent la difficulté qu’il y aà s’y retrouver dans les plans tarifaires des fournisseurs, quand certains ne sont tout bonnement pas auteurs de pratiques douteuses (voir l’augmentation des plaintes, « Libéralisation :le gendarme désarmé« ). De ce point de vue, les récentes mesures présentées par le ministre fédéral de l’Énergie vont dans le bonssens : harmonisation des factures, transparence de la structure des coûts de la part des fournisseurs, pouvoirs de régulation des prix par la Creg renforcés, la mise en placeeffective d’un médiateur fédéral de l’énergie. Reste à voir si le gouvernement suivra, et quel gouvernement : Paul Magnette sera-t-il encore ministre del’Énergie après le 23 mars ? Et puis, il s’écoule toujours du temps avant l’application des normes sur le terrain.
La libéralisation est-elle amendable autrement qu’à la marge et sans en passer par une nouvelle montée en complexité dans la réglementation ? Si ce dossierdonne peu de raisons d’y croire, un de ses mérites est de rappeler que la libéralisation n’est pas tout. Avec ou sans elle, il semble de plus en plus évident que lecoût de l’énergie va inéluctablement augmenter. Le constat, de plus en plus partagé – fût-ce douloureusement pour certains –, signel’émergence d’un changement culturel.
Les comportements doivent évoluer, certes, mais les politiques aussi. Et surtout ? Oui, et vite ! Les fonds mazout et autres emplâtres nécessaires n’empêchent pascertains, de plus en plus nombreux, de brûler leur jambe de bois pour se chauffer un soir. L’efficience énergétique, la réduction des consommations – mais pasdu confort général – doivent prendre plus de poids dans les agendas gouvernementaux.
Vu du non-marchand, les pouvoirs publics donnent encore parfois l’impression de répondre aux problèmes énergétiques comme s’il s’agissait d’unemauvaise passe. Des mesures structurelles prises dès le début des années 2000 en Région wallonne (Ureba, etc.) servent de support cette année à uneopération exceptionnelle (un appel à projets doté de 50 millions d’euros) « que l’on songe à renouveler ». Tandis que la Région bruxelloiserattrape son retard d’une législature en la matière en renforçant et en multipliant les primes. Et que le fédéral veut faire essaimer en ledécentralisant le modèle de Fedesco, chargé avec peu de moyens de jouer les tiers-investisseurs auprès des administrations fédérales. Du structurel, certes,mais qui s’en tient à du procédural et à du conseil : à charge pour les autorités locales de trouver les financements pour jouer ce rôle.
Combien de ménages pourront se payer sans casse leurs factures d’énergie dans cinq ou dix ans ? Sauf à suivre plus avant la piste du rationnement et du contrôle social,la réponse ne se trouve clairement pas dans le champ du social. La démultiplication des sources de production d’énergie et la fiscalité apparaissent aujourd’huicomme les principaux instruments à actionner pour compenser les effets néfastes de la hausse des prix et compléter l’arsenal des primes – presque toujoursversées a posteriori. À condition d’anticiper les effets pervers du verdissement de la fiscalité. En particulier celui que l’on nomme « l’effetrebond ». Une étude récente, aux États-Unis, montre que les ménages ont tendance à consacrer leurs économies d’énergie àl’achat de nouveaux biens, en particulier des équipements consommant au final plus d’énergie encore…