Qu’il soit mineur étranger sans papiers, fils ou fille de parent(s) détenu(s), placé dans une Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) à la suited’un délit, ou souffrant de troubles psychiatriques, l’enfant confronté à la privation de liberté était au centre des plaidoyers, à Liège.
Les VIIIe assises des avocats d’enfants se tenaient du 6 au 8 décembre à l’Université de Liège. À l’ordre du jour : «L’enfant face à l’enferment ». « Notre pays, qui vient à peine de poser la dernière pierre du centre de détention d’Everberg, projette laconstruction d’un second centre. Les mineurs étrangers en séjour irrégulier sont fréquemment détenus pour l’unique raison qu’ils ne disposent pasde papier. On envisage d’abaisser l’âge minimum du dessaisissement à quatorze ans1 et de prévoir celui-ci de manière automatique pour certains faitsgraves… », rappellent, en préambule, les avocats d’enfant2.
La date choisie pour commencer ces assises était symbolique à double titre, puisque c’est aussi le jour du Saint patron des écoliers que fut prononcée lacondamnation d’un mineur pour «vol avec homicide involontaire», dans une affaire surmédiatisée. Les premiers commentaires de la journée ont d’ailleursstigmatisé un « jeu des médias » pas toujours très reluisant – « certains journalistes ont une approche spectaculaire et superficielle de ladélinquance juvénile », a remarqué François Jongen, avocat au barreau de Nivelles. Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Liège, Patrick Henry, arappelé les principales étapes des trente années de bataille nécessaires pour faire aboutir une représentation du mineur en justice : la Commission jeunesse dubarreau de Liège a ainsi permis, entre autres, l’obligation légale de la présence d’avocat aux côtés des mineurs, la fin de l’usagesystématique des cages dans lesquelles les jeunes étaient enfermés en attendant leur comparution devant le juge, le développement de sanctions alternatives. Des jalonsdont l’avocat se montre fier, à quelques nuances près : « la détention des mineurs existe toujours. Ils ont maintenant leur prison, que l’on appelle un centrefermé… ».
Sur les sections fermées, justement, la chercheuse Isabelle Delens-Ravier (Département de criminologie et de droit pénal de l’UCL) a présenté uneétude3 sur l’impact que pouvait avoir l’enfermement sur les jeunes, de leur point de vue. Très clairement, il apparaît que les mesures de placement dans lessections à régime fermé, si elles contribuent à « protéger la société », ne rencontrent pas tous leurs objectifs éducatifs – auxyeux des jeunes, du moins! Les ados relèvent la problématique de leur perte d’autonomie et contestent parfois l’intérêt des activités pédagogiques,perçues comme des mesures « occupationnelles ». Ils soulèvent en outre le paradoxe de la « réinsertion par l’enfermement », le problème de lastigmatisation à la sortie – difficile d’obtenir une inscription à l’école, de décrocher un emploi, voire le rejet de l’entourage familial ouamical une fois sortis des institutions.
L’enfermement, un mal nécessaire ?
Après cette approche relativement empathique, l’éclairage de Christian Mormont, professeur de psychologie, sur les effets de l’enfermement, a pris le public àrebrousse-poil, soulignant d’emblée que « le psychologue n’est pas porte-parole ». « Pendant longtemps, de nombreux enfants allaient en pension, en internat. Cen’était pas considéré comme une punition et pourtant le sort des pensionnaires n’était pas plus doux que celui des jeunes en IPPJ. Les valeursmédiatrices – civisme, travail, soumission à l’autorité – autrefois considérées comme nécessaires, sont aujourd’hui jugéescomme des atteintes à la liberté, voire de la cruauté », a commenté le psychologue. Se défendant de faire du « populisme sécuritaire » oumême de vanter les mérites de l’enfermement – « On sait que l’enfermement aurait plutôt tendance à insérer dans la criminalité que dansla vie socioprofessionnelle ! » – Christian Mormont a surtout plaidé pour la « redéfinition des pratiques et méthodes ». « Les pauses forcéespeuvent être bénéfiques pour l’individu qu’il soit mineur délinquant ou pas, toute la question est de savoir comment les organiser ».
En France, en tout cas, « on sait » et le constat dressé par la magistrate française Colette Clément-Barthez, conseillère juridique de la défenseuredes enfants, fait, a priori, froid dans le dos. En France, les mineurs peuvent être placés « en retenue » de douze heures dès l’âge de dix ans ; engarde-à-vue, sur les mêmes bases qu’un adulte, dès l’âge de treize ans et tous les mineurs peuvent être incarcérés à de la prisonferme dès treize ans. Jusqu’en 2002, les incarcérations de mineurs étaient organisées dans des quartiers spécifiques des prisons pour adultes, sauf pour lespetites filles qui, en raison de leur faible nombre, étaient détenues dans les quartiers des femmes. Depuis, le pays s’est doté d’établissementspénitentiaires adaptés aux mineurs et 3 500 enfants entrent en prison chaque année… Impitoyable ? La magistrate s’est fait fort de balayer quelques idéesreçues : « Le placement en garde à vue qui peut paraître pénalisant à première vue, confère des droits au mineur et un contrôle sur ledéroulement d’actes de la procédure qui n’existent pas si le mineur est entendu par une simple audition ». En revanche, pour ce qui est des incarcérations, lesrécentes lois françaises de prévention de la délinquance et sur la récidive des mineurs ont diminué les « paliers intermédiaires »(admonestations, sursis avec mises à l’épreuve) et augmenté la probabilité pour les jeunes délinquants récidivistes d’être condamnésà des peines de prison fermes.
1. Les mineurs représentaient 4% du flux total de la population pénitentiaire en 2003.
2. Les actes de ces VIIIe assises sont repris dans un ouvrage L’enfant face à l’enferment, édité aux éditions Jeunesse et droit. Infos :http://www.droitdesjeunes.com
3. Pour en savoir plus sur cette question, se référer aux études:
– I. Delens-Ravier, C. Thibaut, « Du tribunal de la jeunesse au placement en IPPJ: la parole des jeunes », in Revue du droit pénal et de criminologie, janvier 2003.
– I. Delens-Ravier, « L’enfermement des mineurs, du point de vue des mineurs enfermés en Communauté française de Belgique », in Revue suisse de criminologie, 1/2003.