Une matinée de réflexion pour aborder le thème des « esclaves modernes » était organisée par Bruxelles Laïque. Un sujet vaste et épineuxs’il en est. Trop sans doute pour en faire le tour de manière convaincante.
Il est rare qu’ils, et le plus souvent, elles, sortent de l’ombre dans laquelle on les confine : celle des ateliers clandestins, des cuisines ou buanderies, celle demaisons privées verrouillées. Pourtant, l’intérêt médiatique vient parfois éclairer la réalité sordide de ces travailleurs forcés,comme lors de cette perquisition dans un célèbre palace bruxellois, l’été passé. Une quinzaine de personnes au service de princesses émiraties avaientété entendues dans le cadre d’une enquête sur la traite des êtres humains, menée par l’Auditorat du travail. Passeports supprimés, exploitationéconomique, intimidations, des pratiques d’un autre âge qui persistent sous nos cieux et touchent les publics les plus fragilisés : les migrants à qui l’on afait miroiter une vie meilleure. La matinée d’échange organisée par Bruxelles Laïque1, sur « la traite des êtres humains : les nouvellesesclaves des temps modernes » et annoncée à grand renfort de mailings, avait l’ambition d’aborder la problématique de l’esclavage domestique leplus largement possible.
Pour les aspects juridiques, Patricia Le Cocq2 et Luc Falmagne3 ont retracé le cadre légal et opérationnel mis en place en Belgique pour lutter contre latraite des êtres humains. Un système jugé relativement pionnier et performant, selon les orateurs, tout en reconnaissant ses limites. « En ce qui concerne l’esclavagedomestique dans les ambassades, en tant que magistrats, nous buttons sur l’immunité diplomatique… L’Auditorat du travail peut enclencher une action au civil pourréclamer le paiement des salaires dus, même si l’exécution du jugement reste très aléatoire, étant donné la personnalité des exploiteurs», reconnaît Luc Falmagne. Pour lui, cependant, pas question de remettre en cause la sacro-sainte « immunité diplomatique » qui protège le personnel desambassades.
Un point de vue nuancé par Sophia Lakhdar, directrice du Comité contre l’esclavage moderne en France (CCEM). « Selon nous, lorsqu’il y a atteinte aux droits età la dignité de la personne humaine, il y a lieu de lever l’immunité diplomatique. Nous militons pour faire passer cette idée mais nous sommes conscients que celarisque de prendre de nombreuses années avant de faire bouger la législation », a expliqué la jeune femme. Si les victimes des diplomates ne représentent « que» le quart des 25 à 27 nouveaux cas dont s’occupe l’association française chaque année, il est aussi beaucoup plus difficile d’ouvrir les portes desambassades et de mener l’enquête. Pour un esclave sauvé, combien continuent de travailler vingt heures par jour dans des conditions sanitaires désastreuses ?
Une autre question cruciale a été soulevée par l’avocat Frédéric Ureel, au sujet du statut de victime de la traite qui ouvre, selon certaines conditions,le droit au séjour à durée indéterminée sur le territoire belge. « Il est primordial que les victimes soient informées de leur droit et aientaccès à un avocat pour les défendre. Car si le Parquet classe sans suite leur affaire, les victimes ne se voient pas reconnaître ce statut et peuvent êtrerenvoyées dans leur pays. » Pour étayer ses craintes, l’avocat relate l’affaire d’un atelier clandestin démantelé. « Sur les vingttravailleurs, cinq se sont vu proposer de déposer plainte et de demander le statut de victime de traite. Les autres ont dû quitter le territoire. Sur le plan du droit, c’estd’une injustice totale. Même s’il n’est pas difficile de comprendre ce qui s’est passé : difficile d’octroyer le séjour et l’accompagnementà autant de personnes en une seule fois… »
Hormis quelques interventions pertinentes – dont celle du CCEM – la matinée manquait tout de même de rigueur et semblait parfois se perdre dans des thématiques pluséloignées. Ainsi, quelques interventions ont laissé penser que « travail clandestin », « travail au noir » et « esclavage moderne » pouvaientêtre mis sur le même pied. Des approximations que l’absence de débat n’a malheureusement pas permis de corriger…
1. Bruxelles Laïque asbl :
– adresse : avenue de Stalingrad, 18-20 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 289 69 00
– site : www.bxlaique.be
2. Collaboratrice au service Traite des êtres humains du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme.
3. Premier substitut à l’Auditorat du travail de Bruxelles.